dim 08 septembre 2024 - 01:09

Dossier spécial : « Formation de la croyance chez l’homme »

1ère partie : la pensée magique (Gil Garibal)

2e partie : le fait religieux (Jo Adès)

Préambule

Gil GARIBAL :

Gilbert Garibal
Gilbert Garibal

Pour ma part, je ne peux pas dire, à propos des premiers pas de l’Homme su la terre “J’y étais, j’ai tout vu ! Je ne peux pas dire non plus “Dieu existe, je l’ai rencontré Alors, quant aux fondements du phénomène religieux, thème général de notre année et de la formation de la croyance, en particulier, vous me permettrez mes Frères, pour lancer le sujet, d’être le poste de service. C’est-à-dire d’imaginer d’abord comment notre ancêtre a pu voir le monde, en se redressant sur le seuil de sa caverne, puis aufil de l’Histoire, de chercher à comprendre sa pensée magique – origine de la nôtre – pour vous présenter une réflexion, si je puis dire… qui tient debout !

Jo ADÈS :

Jo Ades

Et si… et si, d’un coup de baguette magique, notre ancêtre Homo Erectus revenait parmi nous en nous demandant ce qui serait son droit

  • « Où en est l’Homo religiosus qui m’a succédé ?! »
  • « Et que sont mes croyances devenues ? »

À ces questions imaginaires – en constatant le fait religieux et observant l’Homme de l’an 2000 en quête de transcendance – le scientifique de service, après le poète, tentera de trouver des réponses !

Gil GARIBAL

1ère partie : LA PENSÉE MAGIQUE

1. Au commencement était le verbe …

Les premiers mots de l’évangile de Saint-Jean nous l’indiquent, dans leur symbole même : une Parole – donc une intelligence – est supposée par l’esprit humain, être à l’origine du monde. Dès son apparition sur la terre, l’homme ressent cette force supérieure et invisible qui le domine.

 « Que signifient au-dessus de ma tête, ce ciel immense parcouru de nuages aux formes bizarres et cloutés de milliards d’étoiles?! Cette lumière du jour qui me fait découvrir l’horizon, et cette nuit noire qui me rend aveugle ? Pourquoi ce vent, cette eau, cette grêle, cette neige qui me cinglent le visage? Pourquoi ce froid glacial, puis cette chaleur étouffante? Quels sont ces grondements inquiétants sous mes pieds, ces rivières qui sortent de leur lit, ces montagnes en colère qui crachent le feu?

Et de fait, moi-même, qui suis-je, petit être fragile entouré d’animaux monstrueux ? »

Que puis-je espérer en me dressant sur mes pattes de derrière? Quel est mon rôle, le sens de ma vie, au milieu de ces éléments et créatures hostiles ?!

Ainsi – il y a un million d’années- a pu s’exprimer dans son for intérieur, avant même d’articuler un langage, notre lointain prédécesseur. Qu’il s’appelle LUCIEN ou LUCY, affectueux prénom opportunément synonyme de lumière, choisi par le paléontologue Yves COPPENS, pour désigner notre ancêtre homo erectus, dont il a récemment découvert les ossements en Afrique de l’est.

Ce mystère de l’Univers aujourd’hui encore au centre de toutes les interrogations du sapiens sapiens que nous sommes, a conduit l’hominidé a de multiples réflexions et hypothèses. Elles n’ont pas manqué d’installer en lui, accompagnés de leur cortège d’étonnements et de peurs, les croyances les plus diverses.

Un schéma de pensée retrouvé au fil des siècles – avec une belle unité, remarquons-le, dans toutes les civilisations du globe et qui peut nous permettre, non sans malice, de paraphraser la Bible. En ajoutant simplement un mot à la célèbre phrase initiale, pour constater que :

Au commencement était le verbe croire.

Personne priant sur une Bible
Personne priant sur une Bible

CROIRE “du latin credere, avoir confiance. Tenir quelque chose pour vrai, l’admettre comme une certitude”, nous indique le dictionnaire. Cette disposition de l’homme à accepter un principe premier, en l’espèce à se persuader de l’existence d’une puissance cachée, surnaturelle, qui de toute évidence le dépasse, l’a d’entrée amené à déduire – ne serait-ce que pour Se rassurer – qu’il devait “pactiser” avec elle. C’est-à-dire, en quelque sorte, s’attirer ses bonnes grâces, puisqu’il en est de fait, complètement dépendant Ainsi, du besoin si fort de croire, est née la pensée magique, et dans la foulée la magie, cet ensemble de rites et de pratiques, qui depuis l’aube des temps, suggère au fils d’Adam de se faire bien voir de l’énergie inconnue, de l’amadouer, comme lui indique son instinct de conservation. Aux fins, bien sûr, d’en obtenir à la demande, toutes sortes de bénéfices à son profit ou de maléfices contre ses ennemis !

Pour le cerveau humain primordial – mot que je préfère au péjoratif vocable primitif – se concilier la force suprême, jouir de sa bienveillance, signifie donc également être capable d’agir sur elle et par là-même de s’attribuer quelque pouvoir! Puisque cette organisation supérieure est en soi un langage, pourquoi ne pas dialoguer avec elle…et espérer l’influencer ?! Jusqu’à en devenir le manipulateur, … autant dire le maître à volonté ! Ainsi ont vraisemblablement commencé à cheminer la magie, le mage et son imaginaire – indissociable trilogie – sur la longue route des croyances qui traverse les millénaires.

2. La naissance de la magie “primitive”

Un pentacle qui brule à côté d'un crane
Un pentacle qui brule à côté d’un crane

Croire, c’est imaginer. Le cerveau humain a vite fabriqué des représentations d’êtres surnaturels, bons génies ou affreux démons, qui ne peuvent être que célestes. Le soleil, la lune, les étoiles, les nuages ne sont-ils des entités dont notre ancêtre constate l’action sur sa vie ? Mais s’il parvient à communiquer avec ses congénères, comment communiquer avec les créatures cachées que sa pensée lui projette ? Comment leur répondre aussi, quand elles se manifestent par des coups de tonnerre et des éclairs qui zèbrent la nuit? || tente bien, en précurseur des jeux du stade, d’envoyer des lances de bois vers l’azur. Ou même, dès qu’il fabrique un arc, d’expédier quelques flèches vers les cumulo-nimbus pour les faire pleuvoir ou au contraire les éloigner. Mais peine perdue, l’orage tonne quand bon lui semble, la pluie ruisselle à sa guise et le soleil luit quand il veut !

L’hominidé prend tout-à-coup conscience du pouvoir de ses onomatopées et de ses gestes. Il sait qu’avec eux, il peut attirer ses semblables et les animaux. Alors tout naturellement, il lève les yeux et les bras au ciel puis il enjoint les forces mystérieuses de l’écouter et de lui obéir. Au fil de ses incantations. il se persuade de son pouvoir et suprême satisfaction, il se rassure en même temps. Euréka! L’homme de Cro-Magnon vient d’inventer la magie!

Ainsi, lorsqu’il personnalise son environnement, il attribue aux choses visibles et invisibles, la faculté de penser et d’agir. En cela sa raison « déraisonne » d’entrée avec une perception fausse du monde. Sa compréhensible ignorance l’empêchant d’étudier logiquement les phénomènes cosmiques – démarche que la science fera beaucoup plus tard – c’est son imaginaire qui les explique sur le champ! On peut donc dire qu’une forme de délire, de “rêve éveillé”, ont constitué la première manifestation de la pensée humaine, entièrement appuyée sur la croyance, et ce dans toutes les cultures primordiales, dites primitives. Cette vision de la nature, où lesdits phénomènes se produisent comme par enchantement, et sur lesquels l’homme préhistorique prétend agir de même, permet ainsi d’évoquer l’intervention d’une pensée magique.

Aujourd’hui notre connaissance sans cesse plus approfondie de la matière et de ses lois, peut nous faire juger ces conduites ancestrales bien naïves. Pourtant nous ne devrions jamais oublier que, comme chaque être humain, notre esprit est passé par ce stade de la vision magique du petit enfant Puis de cet enchantement au pré-logique avant d’accéder au rationnel. Nous gardons sans nul doute une part de ce rêve initial dans un coin de notre tête!

3. La matérialisation de la pensée magique originelle

Livre magique
livre, noir, magie, rouge, pages, ouvert, rayons, lumières

Le constat de sa solitude, la crainte des éléments et du milieu, la peur d’une mort imminente ont d’évidence été les premières angoisses de l’homme. C’est de leur terrible pression que sont nées les pratiques exutoires de la magie.

L’ethnologie a pu observer dans toutes les peuplades de la planète, un même système de sauvegarde” qui a franchi les millénaires. Le descendant des primates a directement subordonné sa survie à des cérémonies conjuratoires, chants et danses rituelles, déguisements et maquillages, offrandes de fleurs, combustions de résines aromatiques et malheureusement, sacrifices d’êtres humains et d’animaux, Selon l’anthropologue britannique George FRAZER (1854-1941) qui établit précocement une filiation entre la magie et la religion, suite à ses travaux auprès des peuplades océaniques, les premiers hommes pensèrent qu’il suffisait de s’unir par « sympathie » avec les éléments pour les reproduire. Cette conception aurait donné lieu à deux types de magie, basées sur les lois fondamentales de la pensée (la similarité et la contiguïté).

Ainsi la magie homéopathique (ou imitative) résulte de l’association d’idées similaires. Exemple : l’homme préhistorique décorait les grottes avec des représentations d’aurochs et de bisons dans l’intention d’attirer ces animaux et de les tuer pour se nourrir. Posséder l’image revenait à posséder la chose et à agir sur elle. Les marabouts africains, nos médiums et autres magnétiseurs ne font pas autre chose aujourd’hui quand ils « travaillent » sur la photographie d’une personne!

De son côté la magie contagieuse s’appuie sur l’association d’idées contiguës

Exemple Notre ancêtre exposait au ciel une petite quantité d’eau avec l’espoir de faire tomber la pluie, en fait pour que l’eau du ciel rejoigne celle du récipient. Posséder une partie de la chose équivalait à obtenir le tout. Ce que continuent de pratiquer les sorciers de nos campagnes quand ils veulent nuire à quelqu’un en jetant des sorts sur une mèche de cheveux où une rognure d’ongle lui appartenant !

4. Le circuit magique

magie des nombres
Homme assis regardant la fin du monde

Les hommes préhistoriques étaient persuadés que les pierres, les plantes, le soleil la lune, possédaient une conscience et à leur image, une force vitale. N’est-il pas troublant de savoir que cette croyance, dont ils nous ont laissé des traces, ait existé sur tous les continents simultanément, à une époque sans moyens de communication, cela va sans dire ?! Notons que ladite conviction, base même de l’animisme, est encore répandue chez les aborigènes d’Australie et les Papous de Nouvelle-Guinée ou des îles Fidii. L’idée d’une force surnaturelle, donc énigmatique, parait imprimée dans l’inconscient collectif polynésien depuis le fond des âges. Sous l’appellation de mana, elle représente pour plusieurs groupes d’autochtones des archipels – Iles Marquise, Touamotou, Tonga, entre autres – une mystérieuse source locale d’énergie où les sorciers puisent magiquement leurs pouvoirs salutaires, au service la communauté. Je citerai également pour mémoire, l’Afrique central, les Antilles et le Brésil où le Vaudou, ce culte animiste, greffé sur une croyance monothéiste, est toujours largement pratiqué.

S’il est donc effectif que la pensée magique a concerné, dès leur origine, toutes les civilisations du globe sous diverses formes, c’est autour du bassin méditerranéen qu’elle semble avoir vraiment pris son essor, environ quatre mille ans avant Jésus-Christ. Elle nous est ainsi, par essence, plus familière que celle qui s’est développée sur les autres rivages. Et nous bondissons ici d’un trait de la préhistoire à l’antiquité.

Penser “magiquement” revient a se projeter vers l’avenir. Tous les historiens s’accordent à dire que ce désir de savoir de quoi demain sera fait et d’agir sur lui est né dans l’esprit curieux des Chaldéens. Le mot magie vient d’ailleurs de la langue chaldéenne, de magdin exactement, qui signifie science. À noter que c’est ensuite le grec puis le bas-latin, qui en le prononçant respectivement mageia et magia, ont donné au mot magie le sens de religion.

Arts libéraux

Si en Chaldéen, magie veut dire science, c’est que ce peuple créatif a développé une pensée rationnelle, parallèlement à la pensée magique. Ainsi, de la patiente observation de l’univers et de ses cycles a surgi la science de l’astronomie, puis dans la foulée l’astrologie, et pratiquement toutes les formes de divination. Ce savoir s’est ensuite rapproché de celui des régions voisines, Sumérie, Mésopotamie, Babylonie, Perse, notamment, pour offrir au monde avec les sciences occultes, des outils el des arts aussi précieux que l’écriture et la littérature, les mathématiques, la musique où l’architecture

Qui dit magie antique, dit également sorcellerie. Les Babyloniens, habitants de l’lrak actuel, se croyaient entourés de forces du bien et de forces du mal. 15demandaient donc à leurs mages de solliciter des divinités, amour, santé et biens matériels et à leurs sorciers, d’intercéder auprès des démons pour nuire à leurs ennemis. Les mêmes pratiques existaient en Egypte où les prêtres, à la fois mages, guérisseurs et devins, faisaient parler le sphinx, le soir au pied des pyramides, nous dit la légende!

Pour leur part, les Grecs, nous le savons, choisirent de vénérer plusieurs milliers de dieux et déesses, par eux créés et calqués sur l’homme. Les grands philosophes, tels Platon et Pythagore, qui croyaient à la survie de l’âme, se firent presque naturellement les promoteurs des pratiques magiques. Ce d’autant mieux que les pythonisses en poste, qui prédisaient l’avenir en observant le vol des oiseaux ou le foie des génisses mortes avaient habitué chacun au surnaturel !

Quant aux Romains, c’est des Etrusques qu’ils reçurent le savoir magique, Leurs augures, pratiquantes des rites incantatoires étaient les fameuses Sybilles, qui non seulement interprétaient le vol des oiseaux, mais déchiffraient aussi leurs cris. C’est également aux Etrusques que les Romains empruntèrent les jeux du cirque. Curieusement, l’histoire a peu ébruité que les milliers de sacrifices humains qui eurent lieu dans les arènes, pour le plaisir malsain de la foule, avait le plus souvent valeur adoration divine.

Si l’on en croit la loi hébraïque, la pratique de la magie était interdite au peuple juif. Seul le prophétisme lui était permis, que ses porteurs accrédités distinguaient de la divination. Pourtant, Moïse, le premier des Hébreux, ne prouva-t-il ses fantastiques dons de mage en ouvrant la mer rouge, pour conduire ses compatriotes vers la terre promise?! Ne dit-on pas qu’après lui le roi Salomon, expert également en rituels magiques, savait se rendre invisible ?! En tout cas, bravant l’interdiction reçue, les Hébreux ont réussi à confirmer leur véritable “génie de l’occulte” en concevant la Kabbale, cette fascinante philosophie qui leur permettait de communiquer avec les esprits et qui aujourd’hui encore, ne semble pas avoir livré tous ses secrets !

À la même époque, naît une civilisation antéislamique en Arabie, alors que s’ouvre le commerce caravanier et que le pays est parcouru en tous sens par les tribus nomades. Chacune d’elles vénèrent ses dieux et ses fétiches. Les Bédouins croient à des êtres invisibles peuplant le désert, les djinns, envoyés d’Allah autant adorés que craints et les Ifrits, démons réputés hostiles à l’homme. Aux étapes, les groupes se réunissent autour des bétyles, grandes pierres levées comparables aux menhirs bretons pour invoquer ces forces surnaturelles. Ainsi l’existence d’un dieu “supérieur est reconnue, bien avant l’intervention du prophète Mahomet. C’est au VIIème siècle, rappelons-le, que celui-ci lancera son message à la Mecque et persuadera toutes les tribus de se tourner vers l’Islam, dont il a reçu les règles de l’Archange Gabriel.

Nous devons revenir mille ans avant Jésus-Christ pour rencontrer les Celtes, ce groupe de peuples qui a envahi le sol gaulois, mais aussi l’Espagne, l’Italie et les iles britanniques. Animistes convaincus, ils vénéraient les quatre éléments. Comme les arabes, ils pensaient le monde peuplés d’esprits fantastiques que les contes ont perpétué avec les lutins, les fées, les nains et autres farfadets, dont les aventures continuent d’endormir les petits enfants en pays d’Armor.

De croyances en rituels est né le druidisme, religion basée sur l’éternité de l’âme, sous le signe du gui. Plante sacrée, elle était censée favoriser la fécondité et concrètement, le poison de ses fleurs permettait aussi aux druidesses d’envoyer les gêneurs au cimetière!

Lorsque Jules César conquiert la Gaule, le druidisme se révèlera un obstacle difficile pour la christianisation naissante. Il ne sera aboli qu’au VIème siècle. De cette rivalité entre les deux croyances a probablement surgi- par réaction des païens, ce qui à pu être appelé une ‘magie « anticléricale », qui fut assimilée à la sorcellerie. Ainsi s’installait l’idée du Mal, qui en prenant corps dans l’imaginaire collectif devint le Malin, et plus communément le Diable. Tout pratiquant de l’occulte était alors censé pactiser avec ce « prince des démons ». D’où la terrible Inquisition et sa « chasse aux sorcières », qui vu à la suite de Jeanne d’Arc, des centaines de milliers de femmes brûlées vives à travers l’Europe du XIIIème au XVème siècle !

Il faut attendre la Renaissance pour qu’un esprit d’ouverture permette à la pensée magique – première religion de l’homme – de se montrer à nouveau au grand jour à travers les devins, mais aussi par le biais des alchimistes et des kabbalistes, et que les cultes cessent de la diaboliser. Les XVIIIème et XIXème siècles la verront ensuite en quelque sorte “récupérée” par le magnétisme du franc-maçon Mesmer, le spiritisme d’Allan Kardec, la radiesthésie de l’abbé Bouly, l’hypnotisme du Professeur Charcot, autant de pratiques non complètement élucidées encore aujourd’hui, toujours empreintes de mystères sinon de mysticisme et en soi, de magie. Notre XXème siècle finissant n’est pas en reste avec elle puisque sous l’appellation générique de parapsychologie continuent d’être étudiés dans beaucoup de pays du monde, les “perceptions extra-sensorielles” de l’homme qui ont pour nom télépathie, clairvoyance et autre psychokinésie, c’est-à-dire le déplacement des objets ou leur déformation par la seule force de l’esprit. Nous sommes encore bien là dans le domaine de la magie!

5. Magie et religion

La Cène (bas-relief, Wieliczka, Pologne)
La Cène (bas-relief, Wieliczka, Pologne)

Par bonds successifs, de pays en pays, de siècles en siècles, nous venons de boucler notre circuit magique Il constitue en même temps ce que l’on pourrait appeler l’aventure de la magie.

Avant de passer la parole à notre frère Jo ADÈS, qui va développer le fait religieux, et sans empiéter sur son thème, il me parait précisément intéressant de différencier magie et religion, la seconde découlant de la première.

On peut se contenter de définir la religion comme un moyen de reconnaissance par l’être humain d’un pouvoir ou d’un principe Supérieur de qui dépend sa destinée. Co quí nous limite au traditionnel religare, relié.

Les linguistes modernes s’accordent aujourd’hui sur une autre racine qui verrait « religio » venir plus justement du verbe relegere, à traduire par “vénérer” et qui s’oppose à neglegere, c’est-à-dire négliger, regarder avec détachement. Cette seconde acception n’annule pas la première mais elle est pertinente parce qu’elle nous permet d’aller plus loin dans l’analyse, au sens où elle indique bien, selon la formule de Benjamin CONSTANT que “le sentiment religieux ‘est un attribut essentiel, une qualité inhérente à notre nature’ En se persuadant de l’existence d’une force surnaturelle, l’homme dit “primitif” a en quelque sorte inventé Dieu. Ce que pense FREUD dans sa théorie du “meurtre du père”. Qu’elles nomment Dieu dans leur langue Tout-Puissant, Allah, Yahvé ou Visnu, les principales religions – filles de la magie – se défendent pourtant vivement de son invention, puisqu’elles affirment toutes avoir été inspirées par le Créateur lui-même Au-delà de cette révélation qui n’est pas ici mise en cause, c’est l’attitude des deux ‘croyants’ qui nous intéresse nous pouvons constater que le « magiste » prétend agir sur les éléments cosmiques à l’aide d’incantations, alors que le “religieux”, lui, par la prière, se soumet inconditionnellement à la volonté de Dieu avec une grande dévotion et une totale humilité. Bref, l’incantation vise à influencer, à séduire, la véritable prière, elle, dans son vrai sens religieux, est avant tout un acte verbal d’adoration, qui ne veut pas charmer et ne demande rien, sinon le courage de supporter la volonté de Dieu. Que ta volonté soit faite, dit la prière.

En réalité, lorsque le croyant prie son Dieu – ou ses saints – ne le fait-il afin de solliciter le plus souvent quelque chose pour lui ou ses proches, qu’il s’agisse de protection ou de réussites diverses ?! Dès lors, avec cette demande d’avantages particuliers à l’instance divine, ne s’agit-il d’un retour pur et simple à la magie ? La question mérite d’être étudiée. Nous sommes renvoyés ici à la foi religieuse et aux interprétations individuelles, du type adhésion totale à une croyance, engagement à une promesse (baptême par exemple) où adhésion déiste pour obtenir quelque chose, nous venons de le dire. || n’est donc pas si évident, à mon sens, d’établir une nette distinction entre magie et religion. Même si la seconde condamne la première et la juge sacrilège!

6. Magie, religion et superstition

On ne peut enfin parler de magie et de religion sans parler de superstition. Définie classiquement comme une croyance à des influences irrationnelles, et plus précisément même comme la conviction de la survenue d’un évènement particulier – malheureux ou heureuxsuite à un fait matériel fortuit, nous sommes bien renvoyés à nouveau à la pensée magique. Plusieurs centaines de pratiques superstitieuses ont été recensées en France, qui ont surtout à voir avec le malheur. Au plan du bonheur, que nous le voulions ou non, lorsque nous croisons les doigts (pour appeler le succès d’un évènement) ou touchons du bois (pour pérenniser une bonne chose), nous sommes bien en plein dans la magie et sa gestuelle

Si magie et superstition se rejoignent et ne constituent qu’un seul et même système de croyances, il est clair que nombre de pratiques cultuelles restent imprégnées de la pensée magique, aux antipodes même d’une authentique religiosité. Lorsque dans le cadre du rite catholique – celui que je connais – une prière est faite & Saint-Antoine pour retrouver un objet perdu, ou à Saint-Christophe pour effectuer un bon voyage, nous sommes bien dans une pratique superstitieuse. I! en est de même avec le cierge que Ton fait brûler pour réussir un examen ou avec la médaille bénie portée sur soi dans un but protecteur. Loin de moi l’idée de heurter tout pratiquant religieux mais force est de constater avec l’œil du sociologue, qu’il y a ici, total amalgame entre religion et superstition. L’Eglise est évidemment consciente qu’un effet magique est à tout moment attendu de la pratique cultuelle. Il n’est donc pas étonnant qu’elle montre la plus grande prudence quand survient une guérison dite “miraculeuse” sur un lieu de pèlerinage. Les mots « miracle », du latin mirari « s’étonner », et magie. différents pour l’Eglise, ne sont-ils alors susceptibles d’être confondus? Autre question qu’il est bon de se poser. A en juger par le nombre de porte-bonheur qui pendent aux rétroviseurs des voitures, il est possible de déduire qu’une bonne partie de la population française est superstitieuse. Le succès des émissions télévisées sur le paranormal confirme cette impression.

Qui est superstitieux, c’est-à-dire animé par une pensée magique? Les enquêtes psychosociologiques nous répondent que ce sont les jeunes, suite à une formation religieuse sommaire et les femmes, qui seraient plus crédules mais pourraient ainsi mieux s’affirmer socialement, après une éducation souvent plus stricte que les hommes. La superstition serait enfin plus active en milieu urbain – ce qui est étonnant au regard des praticiens du surnaturel dans le monde rural – et elle affecterait principalement les ‘classes moyennes. Pourquoi est-on superstitieux? Bien entendu, pour satisfaire le besoin primordial de “gérer” son environnement, d’avoir de la sorte, une conduite adaptée. Ce qui prouve que la fonction magique, blottie quelque part dans notre cerveau reptilien est toujours active et a encore de beaux jours devant elle ! La superstition dont on peut certes se moquer, a pourtant pour beaucoup de gens, par le biais de ses divers rituels affectifs et en situation d’attente, de doute, de frustration ou d’insécurité, un pouvoir anxiolytique. En cela, elle n’est guère éloignée de la fonction religieuse.

Au commencement était le verbe. N’évoque-t-on toujours, comme pour en souligner le merveilleux, la magie du Verbe! Parvenus à la première étape de notre voyage, nous espérons avoir montré le rôle fondateur de la croyance, ou comment, grâce à la chaine universelle du langage, la société humaine est lentement passée d’une vision “délirante” du monde à la culture. De la magie dite primitive aux religions.

Précisément, le XXIème siècle sera religieux, nous a-t-on annoncé. À quelles conditions peut-il l’être? Notre frère Jo ADÈS va maintenant nous donner ses réponses.

Temps infini
montre, temps, spirale, infini, spirale, nombres, blanc, or

Jo ADÈS

DEUXIÈME PARTIE

Je suis toujours confondu d’admiration devant les déclarations des paléontologues modernes, qui, à chaque découverte d’un fragment de tibia où de débris de mâchoire datant de millions d’années, n’hésitent pas à reconstituer son propriétaire dans son intégralité : sa taille, ses mouvements, ses maladies d’enfance voire même ses habitudes alimentaires, son mode de vie domestique, son statut social. Certes les techniques modernes et une certaine dose d’imagination autorisent de telles extrapolations et nous permettent plus ou moins consciemment de nous comparer à notre lointain ancêtre : dimension de la boîte crânienne longueur des membres antérieurs, pouvoir préhensif des orteils etc. et de mesurer non sans une certaine autosatisfaction le chemin parcouru, bien entendu dans le sens de notre conception de progrès.

Il en va tout autrement si l’on se propose d’explorer son univers mental, ses premiers émois et les questions qu’il n’a pu s’empêcher de se poser devant les mystères qui l’entouraient: la naissance la maladie, la mort, l’obsession de survie dans un milieu particulièrement hostile.

Egypte Anubis dieu de la mort
Egypte, spiritualité, pyramide, oeil, anubis, dieu, mur, Dieu, mort, sombre, représentation,triangle

Et pourtant, comme nous il a été homme, comme nous il a aimé, comme nous il a souffert, comme nous il a vécu d’espoir et crié son désespoir ! S’il ne nous a laissé aucun écrit ou aucune représentation significative de ses états de conscience ou des croyances qui l’ont habité, il a réussi à nous transmettre, bien avant la lettre, l’expression physique de ses élans de spiritualité Encore aujourd’hui des traditions remontant à des temps très anciens (cultes, rites, cérémonies initiatiques ou commémorative, représentations artistiques…) sont toujours observables dans de nombreuses régions, et constituent une matière première de travail infiniment précieuse. Elles ont été développées dans la première partie de cette étude.

Dans cette deuxième partie nous nous poserons la question de savoir dans quelle mesure, ce que nous nommons aujourd’hui “religions” est issu de ce terreau primitif, ce qu’il nous en reste où ce que nous en avons fait. Tenter de remonter à la source de notre spiritualité, à la recherche de nos premières croyances voyage fascinant mais en même temps entreprise périlleuse.

A plus d’un titre :

1° Le premier réside dans notre forme de pensée : celle d’occidentaux éclairés, bardés de certitudes, prompts à porter le qualificatif de primitif dans le sens de primaire aux fait et gestes qui n’entrent pas dans la sphère de nos références.

Un exemple : si nous avons encore aujourd’hui la chance d’observer dans certains groupes de population des rites miraculeusement préservés, trop de nos contemporains ne veulent y voir que des comportements excentriques sinon aberrants ou folkloriques sans tenter de comprendre le sens qui les anime. Le Spectacle de nos charters de touristes en mal d’exotisme en short blanc et Ray Ban vidéoscopant à tout va des cérémonies d’initiation africaines en sont la douloureuse illustration.

2° Autre piège : l’ampleur et la diversité du domaine à explorer-celui du fondement des croyances humaines- tant dans le temps que dans l’espace. dans le meilleur des cas nous avons quelques chances de nous familiariser avec des visions religieuses encore observables et plus proches de notre culture, tenter d’aller plus loin avec des traditions aussi riches qu’anciennes telles que celles du Mexique, Chine Japon ou Inde c’est risquer une dilution et une dispersion qui faute de compétences spécialisées, n’ont pu trouver leur place dans le cadre de cette réflexion.

C’est dire que les propos qui vont suivre n’ont nullement la prétention de faire autorité en la matière et qu’ils ne se veulent témoigner que d’un point de vue qui s’efforcera de rester le plus objectif possible dans le cadre des deux grandes conceptions spirituelles qui s’offrent à notre champ de recherches :

– La conception « déiste » de la croyance : qui reconnait l’existence d’une puissance ou d’une divinité supérieure Conception qui rejette toute révélation ‚tout dogme et qui s’appuie sur la raison. C’est l’homme qui est en quête et qui trouve. En simplifiant à l’extrême, c’est lui qui construit sa croyance autour d’un principe supérieur qu’il nomme et qu’il organise.

– La conception « théiste » qui fait intervenir un seul Dieu, personnel, transcendant, créateur de l’univers et de l’homme. 1 y à révélation, dogme et envoyés charismatiques. En simplifiant toujours c’est Dieu qui vaà la rencontre de l’homme avec lequel il conclut en quelque sorte un partenariat, une alliance. Je me propose de parcourir ces deux grandes options et tenter d’en analyser le contenu, bien entendu en refusant de les relier entre eux ou d’y chercher une quelconque échelle de valeurs tant sur le plan de la chronologie historique que sur celui de la spiritualité.

De la croyance au fait religieux

L’homme en quête de transcendance

Homme seul musulman en lecture
religion, musulman, homme, lecture, seul, coran, interieur, mosquée, assis, colonne, prière

Imaginons… imaginons notre ancêtre « homo » tout juste « sapiens »sur le devant de sa grotte ou au seuil de sa forêt. De la complexité de la nature qui l’entoure il a acquis au moins une certitude, c’est qu’il est mortel qu’il mourra un jour, que son instinct de survie le porte à retarder le plus possible cette échéance. Il a conscience de faire partie d’un environnement naturel qui ne lui est a priori, ni hostile ni favorable, dans lequel il s’intègre et dont il doit tirer et sa subsistance et sa sécurité.

Mais cette nature le dépasse : ses manifestations, ses colères sont hors de toute logique hors proportion. L’orage, le tonnerre, la pluie, la grêle, le vent, les éclairs l’arc en ciel cela vient d’en haut, du ciel Il releva tête. Là serait la demeure de la “toute puissance” la demeure des dieux. La simple observation de la voûte céleste est déjà une expérience religieuse. Tout juste ‘sapiens’ voici notre ancêtre promu « religiosus », « homo religiosus ».

De cette « toute puissance »qui réside dans le ciel il a compris qu’il a tout intérêt à s’en concilier la bienveillance pour mener bien ses entreprises la chasse, la victoire, la fécondité, etc., voire même, et pourquoi pas tenter défaire modifier le cours des éléments sur lequel l n’a pas prise. En même temps que faire soumission, contracter une espèce d’assurance tous risques.

Sacrifice
Sacrifice

Cet être suprême, bien sûr ne peut l’imaginer ni même le concevoir … il ne peut en percevoir que les effets bénéfiques ou néfastes à son égard. En bon psychologue il a compris qu’il ne fallait pas le contrarier, mais lui être agréable voire même lui offrir des cadeaux. Il faut aussi que le cadeau soit en proportion du service rendu ou à rendre. Ce ne peut être que ce qui pour lui a e plus de valeur, un feu, un chant, un sacrifice, humain ou animal les prémisses d’une récolte, offrandes spontanées concrètes d’abord, intellectuellement symboliques plus tard.

Mais voilà, difficile de s’adresser à un interlocuteur aussi invisible qu’inaccessible, difficile aussi de l’imaginer compétent dans tous les secteurs d’une vie quotidienne qui devient de plus en plus complexe. Chasseur ou pasteur, nomade ou sédentaire vainqueur ou vaincu les besoins sont aussi variés que nombreux. Voilà aussi qu’il se déplace : il voyage, il guerroie, découvre d’autres cieux, d’autres dieux, plus séduisants ou plus efficaces. Pourquoi un seul dieu qui semble s’être retiré bien loin ? D’autres figures apparaissent dans son panthéon ancêtres mythiques, déesses mères dieux fécondateurs, etc. de plus en plus spécialisés.

« Homo religiosus » va mériter son nom. Il sacralise, il fait la séparation de ce qui pour lui est du domaine des dieux et de ce qui ne Test pas .Avec un sens surprenant de l’art l va donner des formes à son imaginaire : il dessine il sculpte des animaux normaux ou singuliers, des êtres grimaçants, des monuments symboliques. Le monde des dieux s’organise, se hiérarchise aux divinités principales s’ajoutent des divinités secondaires voire même des familles entières qui épousent la vision du cosmos qu’il s’est bâti : des dieux naissent, se marient, se séparent, voire s’entretuent et disparaissent. Une hiérarchie s’instaure, une communication plus structurée devient nécessaire. Une organisation aussi. Il n’est plus seul. Il est social : il appartient à une famille, à un clan, à un groupe avec des passages obligés où l’intervention supérieure paraît nécessaire dans tous les actes de la vie naissances initiations, mariages, mort construction de la maison, début de la récolte etc. Des lieux de culte se définissent ‚un rituel s’instaure, des périodes bénéfiques ou maléfiques s’instituent.

Très vite des intermédiaires intercesseurs s’avèrent indispensables chaman, sorciers, magiciens personnages possédés assurent et codifient les relations dans une espèce de dialogue à trois nature-hommes-dieux. Des pratiques rituelles naissent et se transmettent consécration d’autels, offrandes, sacrifices, prières, initiations, masques, musiques, danses, magie, sorcellerie, possession.

La croyance dépasse l’expérience psychique individuelle : elle s’inscrit dans un quotidien relationnel institutionnalisé qui distingue en les reconnaissant les deux domaines du sacré et du profane.

Assistons-nous ainsi à la naissance des “religions” selon la définition généralement donnée à ce mot: “ensemble des croyances qui déterminent la relation de l’homme au sacré ? Ou selon celle qu’en donne Leroi-Gourhan, plus proche à mon sens à ce stade d’évolution : système organisé de mythes et de rites destinés à établir de manière permanente des relations entre l’homme et les puissances de l’invisible”(ancêtres, esprits, divinités) dans l’intérêt de la communauté.

L’ennui avec les définitions c’est qu’à vouloir être généralistes, elles en viennent être terriblement réductrices. Aussi, avant d’aborder le deuxième volet de ce travail, celui de la naissance des monothéismes, il m’a semblé nécessaire d’extraire du scénario historico imaginaire ci-dessus, quelques lignes de forces significatives.

– La croyance est un comportement individuel ou collectif qui remonte aux temps les plus immémoriaux de l’humanité.

– File témoigne de la perception d’une puissance qui se reconnaît aussi bien dans des états affectifs subjectifs qu’à des signes objectifs naturels – Elle se propose de relier l’être humain à un autre plan de réalité suprasensible et invisible le divin.

– Qu’elle que soit sa charge émotionnelle, ne s’enferme pas dans une intimité personnelle, mais se prolonge par une représentation intellectuelle et physique.

– Elle se partage avec d’autres membres d’une même communauté et aboutit à une mise en forme collective par l’intermédiaire de rites qui vont prendre des formes symboliques. Exemple un arbre : Lorsque on devient capable de voir en lui ‚non pas une forme végétale dotée de qualités techniques ou esthétiques mais l’expression analogique de la vie universelle, de la fécondité cosmique, de l’immortalité des êtres.

– Elle se fixe dans un modèle facile à intérioriser et à transmettre dans des formes très diversifiées (animisme, fétichisme, polythéisme, panthéisme …

– Elle poursuit un double but: dégager une transcendance et consacrer un ordre social.

Sommes-nous si éloignés de notre concept actuel de ‘religion’ ? C’est l’objet de cette deuxième partie.

« Déisme » ou « Théisme »

“Evolution” ou “Révolution” : autre approche de la croyance.

« Le monothéisme »

les 3 religions monothéistes
symbole, musulman, chrétien, juif, judaïsme, catholique, lune, croix, étoile, david, croissant, islam, religion, paix, croyance, monothéisme

À ce stade de la réflexion la tentation est grande de situer le concept monothéiste dans un schéma linéaire à étapes successives : animisme, totémisme, fétichisme polythéisme, monothéisme.

L’hypothèse la plus vraisemblable étant le passage en douceur de la croyance en une infinité de dieux ramenée à un seul qui serait en quelque sorte au-dessus. Hypothèse qui ne serait à vrai dire, ni nouvelle ni originale dans la mesure où des tentatives de réforme ont pu être observées: la Bible regorge d’allusions à des pratiques polythéistes (culte de plusieurs dieux.) syncrétistes { culte du Dieu d’Israël associé à des dieux cananéens), monolâtriques (culte d’un dieu national) vite étouffées ou violemment réprimées.

Le nouveau concept qui prônait la négation explicite de tous les autres dieux eut toutes les peines à s’imposer même au sein du peuple d’Israël qui en tenait l’origine. Très schématiquement, trois grandes périodes furent nécessaires.

– Celle des patriarches : Abraham, Isaac, Jacob, Mole intuition, révélation, institution de l’unicité.

– Celle qui va de Canaan à l’exil déviationnisme, syncrétisme, perte d’identité.

– Celle de l’exil : les Prophètes : retour aux sources et fixation des canons.

En fait pour celui qui s’intéresse à l’origine des croyances l’apparition du monothéisme, constitua un véritable traumatisme dans un univers ordonné de divinités La nouvelle croyance, pas encore “religion”, revendiquait pour le groupe humain qui en avait reçu la révélation, la foi en un DIEU unique celui que depuis des millénaires, judaïsme, christianisme, islam enseignent, celui d’Abraham, Isaac, Jacob, Jésus, Mahomet et exclusivement pour eux. Sans pour autant nier l’existence d’autres dieux, d’autres cultes, ceux-ci tant du domaine des autres ethnies.

Soutenir, comme l’affirment encore certains dictionnaires de théologie, que 1e” monothéisme est la religion selon laquelle il n’existe qu’un seul Dieu” surprendrait bien des prophètes de la Bible qui n’eussent jamais osé gommer ainsi l’univers spirituel de l’humanité. En fait on ne trouve dans la Bible aucune trace polémique contre les mythes et mystères des croyances polythéistes preuve d’une rare tolérance. Leur seule volonté étant de vivre en conformité avec la volonté de Yahvé exprimée dans sa Loi révélée.

– Comment une conception aussi originale d’une si apparente ascétique pauvreté : un Dieu unique, sans nom, sans histoire présent dans un seul sanctuaire a-t-elle- pu s’imposer dans un environnement païen, autrement plus représentatif ?

– Comment a-t-elle réussi d’abord à exister, à séduire, à convaincre, à essaimer, résister aux vicissitudes de l’Histoire ? Nous ne pouvons ici que proposer quelques pistes de réflexion : peut-être cette conception était-elle :

– Révélation ? Ce n’est plus l’homme qui cherche Dieu mais l’inverse : Dieu s’adresse à l’homme travers des envoyés charismatiques : Moïse, Jésus, Mahomet.

– Révolution ? Dieu n’est pas le roi des dieux et le roi terrestre détenteur du pouvoir temporel n’est pas lui-même divinité.

– Vocation universelle ? Le message n’est pas limité à un peuple, mais à l’humanité entière.

– Éthique ? Apparition des valeurs morales associées à la religion interdiction des rituels sacrificiels, orgiaques, etc. Notion du bien et du mal.

– Messianisme? Alliance ? Promesse de vie future Loi qui régit la vie quotidienne, les rapports sociaux,

– Concept d’amour qui se substitue au sentiment de crainte, la prière à l’incantation, la responsabilité à la fatalité, etc.

Énumération forcément limitative tant l’univers des croyances résiste à la simplification !

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

« 2000 ans déjà … et pas une religion nouvelle ! » disait Nietzche. Voire !

Sous nos yeux, et en particulier dans nos sociétés occidentales qu’on aurait cru protégées par des valeurs intangibles, prolifèrent devins, astrologues, magiciens, mages, sorciers , gourous ou autres maîtres à penser De nouvelles chapelles sectaires attirent un nombre toujours croissant de nos contemporains vers des paradis imaginaires en même temps que se désertifient églises, synagogues et mosquées.

Tout se passe comme si le déclin du religieux entrainant une banalisation du sacré créait un vide orphelin que l’homme s’est dépêché de combler avec des ersatz (bienfaits de la civilisation industrielle, extase des drogues, possession des sectes, transes ludiques, intellectualisme outrancier…) le libérant ainsi d’une transcendance devenue encombrante.

Le sacré issu de la religion cesse de séduire. De même le sacré issu du mystère et de l’interdit. Certes le monde s’est diversifié, et devient plus complexe dans ses structures dans ses formes de culture, dans ses idéologies. L’homme est-il encore préparé à croire, à recevoir ?

Qui sait lire aujourd’hui dans les cathédrales ? Qui y voit autre chose qu’expression figurée, harmonies ou couleurs ?

Peut-être encore nous, les Francs-Maçons, pour qui le sacré issu de la séparation des genres, celui qui refuse l’amalgame, reste une fin en soi, une fin dans l’inaccessible, l’absolu, le transcendant

Sacré dont nous pouvons nous considérer comme les gardiens et qui ne saurait appartenir ni à une personne, ni à une institution, ni à un lieu, ni à un objet.

Ni dogme, ni religion la Franc Maçonnerie telle que nous la concevons ne prétend détenir aucune vérité et n’a l’ambition. d’en imposer aucune.

Elle se propose de réunir des hommes de conviction au-delà des clivages socio-professionnels, au-delà de l’intransigeance des idéologies, autour d’un Principe Créateur : le Grand Architecte de l’Univers dans une totale liberté de conscience et le respect de celles des autres.

Une autre source de spiritualité … de la même façon qu’il y plusieurs demeures dans la maison du Seigneur.

Dans le Manifeste du Convent de Lausanne de 1875 était une recommandation ainsi conçue ” Aux hommes pour qui la religion est la consolation suprême la Maçonnerie dit : cultivez sans obstacle votre religion, suivez les aspirations de votre conscience : la Franc Maçonnerie n’est pas une religion, elle n’a pas un culte, sa doctrine est toute entière dans cette belle prescription : « Aime ton prochain ».

Les religions se devaient de réunir les hommes. L’intransigeance des croyances les ont séparés.

Conjuguer le verbe « croire » ne suffit plus : il faut aujourd’hui décliner un autre verbe c’est le verbe « aimer ».

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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