Rencontres et divergences entre franc-maçonnerie et psychanalyse
« L’éthique m’est étrangère et vous êtes pasteur d’âmes. Je ne me casse pas beaucoup la tête au sujet du bien et du mal, mais en moyenne, je n’ai découvert que fort peu de « bien » chez les hommes. D’après ce que j’en sais, ils ne sont pour la plupart que de la racaille, qu’ils se réclament de l’éthique de telle ou telle doctrine-ou d’aucune »
(Sigmund Freud) Lettre au Pasteur Pfister du 9 octobre 1918
Nous tenions, avec un malin plaisir, à faire figurer cette citation de Freud, en réponse à un courrier du Pasteur Oskar Pfister où ce dernier le louait pour son éthique supposée ! Mais ceci est surtout destiné à mettre une frontière à notre réflexion sur le rapprochement que l’on pourrait tenter de faire entre deux mondes que de multiples choses séparent : la psychanalyse s’inscrit dans le champ thérapeutique (essentiellement celui des névroses) et celui de l’anthropologie, la Franc-Maçonnerie dans celui de la philosophie, voire d’une spiritualité, religieuse ou non. Contrairement à Jung qui s’est détaché de la psychanalyse pour se rattacher à une psychologie analytique, en prônant l’interférence entre les spiritualités et l’inconscient, Freud n’a voulu voir dans les spiritualités que le camouflage imaginaire aux instincts que nous partageons avec le monde animal du fait de l’évolution darwinienne ; bien que toute sa vie il appartint au « Bnai Brith », institution juive ressemblant à la Maçonnerie, où il ne manquait pas de présenter ses recherches sur l’inconscient, en priorité par rapport à ses collègues scientifiques ou le « grand public ». Tout en se déclarant athée et seulement attaché à la culture juive, même s’il ne manque pas d’en montrer les racines imaginaires inconscientes, comme dans ses célèbres « Moïse et le monothéisme », « L’avenir d’une illusion » ou « Malaise dans la civilisation », par exemple.
Psychanalyse et Franc-Maçonnerie partagent cependant, d’emblée, le constat de la déchirure interne des sujets entre deux natures, avec la tentative de « rassembler ce qui est épars » dans la fonction symbolique, complexe et latente, qui embrasse toute l’activité humaine, comportant une part consciente et une part inconsciente, qui est rattachée à la fonction du langage, qui fait de l’homme un « parlêtre », selon la formule de Lacan.
Franc-Maçonnerie et Psychanalyse en viennent à évoquer un « ordre symbolique » régissant de façon sous-jacente les formes prévalentes de la vie imaginaire comme les effets de compétition, de prestance, d’agression de séduction et toutes les manifestations rituéliques qui se veulent traductrices de « mystères » qui pour la psychanalyse n’en sont pas, mais peuvent être nécessaires au groupe pour assurer sa cohésion. Par-delà l’échange des dons, des pactes d’alliance, la prescription de sacrifices, les rituels, les prohibitions, les tabous, existent en dernière instance des lois de la parole au fondement de ces systèmes et ce, de caractère universel, a-travers les cultures et les croyances. Nous en arrivons ainsi à un rapprochement inattendu entre Franc-Maçonnerie et psychanalyse : le manque symbolique serait la porte ouverte à la pathologie où à ce que nous pourrions nommer le « mal » dans la définition que Paul Ricoeur en donne. Pour lui, « une vie humaine, c’est un hasard transformé en destin par un choix continu ».
L’instinct met alors la parole en esclavage, la « bête » prend le pouvoir sur l’ « ange » ! Tout aboutissement thérapeutique ou spirituel devient alors une démarche vers la restauration du symbolique. En psychanalyse et en Franc-Maçonnerie, le postulat de l’ordre symbolique repose sur le lieu de la parole d’origine (« Au commencement était le Verbe ») qu’il soit fait référence au Grand « Autre » ou au « GADLU ». Ce lieu n’étant jamais accessible (sauf chez les mystiques dans de cours instants ou aux psychotiques) il permet cette tension permanente vers « La » parole qui nous dirait tout de nous, la parole des autres étant insuffisante et nous condamnant à une insatisfaction permanente, voire à la solitude qui mettrait en route, pour Freud, l’Instinct de mort qui serait le retour souhaité dans le ventre maternel, hors des tensions et du renouvellement permanent du désir, reposant sur le manque. Cette attirance vers le Principe nous conduit à l’éthique, ce que nous dit avec humour, l’écrivain Philippe Sollers, en évoquant cette référence à une puissance supérieure : « Dieu, c’est une fonction qui introduit, quel travail ! de l’éthique dans les gênes et de la gêne dans l’éthique » ! Nous en arrivons alors à une « métaphysique de la transcendance radicale » qui s’étend au-delà de l’être et de l’intellect.
Psychanalyse et Franc-Maçonnerie opèrent, sur certaines visions proches, un cheminement parallèle, à bonne distance, sans que le champ d’action puisse se confondre. Bien que la Franc-Maçonnerie soit impliquée de plain-pied dans l’ordre symbolique, elle ne peut se vivre comme solution thérapeutique à ce qu’elle déclenche par le fonctionnement même de son rituel et de ses légendes. Prenons deux exemples :
A- excursion du côté de la sacrée famille !
La famille est le lieu mythique par excellence de la psychanalyse et de la Franc-Maçonnerie, lieu qui est, dans les deux cas un endroit pas très recommandable où se côtoient sexe et violence. Organisation indispensable au développement du sujet et porte d’entrée dans l’ordre symbolique, la famille vit dans l’imaginaire : la poursuivre si elle fut jugée satisfaisante, la réparer en cas de carences et ce, à-travers la création d’une nouvelle famille, la participation à une vie associative, la Franc-Maçonnerie ! Cette dernière présente tous les caractères requis : des FF. Et des SS., enfants de la Veuve, dont le mari fut assassiné. Nous sommes là en pleine crise œdipienne ! Sur cette trame, chaque maçon va vivre et revivre sa mise en scène personnelle avec sa propre théâtralité, créant ainsi, à chaque tenue, une pièce unique où l’inconscient individuel tente d’y trouver son compte dans un inconscient collectif ritualisé. D’où les tensions, les plaisirs où les conflits suivis de départs. La tenue est-elle le lieu où je rencontre l’autre ou le lieu où je revis des épisodes propres à mon histoire, pas très bien résolus ? Il y a dans cette démarche quelque chose de la recherche ou d’une quête de l’amour dont le sujet est insatiable. Ce que nous dit Pascal Quignard (1) : « Il y a un extraordinaire élan au fond de l’amour, qui décompose entièrement l’état ancien et qui est si puissant qu’il parvient à dévaster la mémoire de l’enfance ».
B- vous avez dit sérendipité ?
L’inconscient, se voulant libre et sans entraves, prend toujours un malin plaisir à contourner ce qu’il en est d’un rituel où d’un discours structuré. Nous nous apercevons ainsi que notre vérité se manifeste par la surprise des associations. Un peu comme Christophe Colomb découvrant l’Amérique, en allant vers les Indes, croyait-il ! Nous pensons nous réfugier dans la tranquillité du rituel ou des planches et nous découvrons alors des territoires en nous, inconnus et parfois inquiétants, « çà parle » …
Maçonnerie et psychanalyse, tout en conservant cette bonne, distance nécessaire adressent à l’homme cependant, cette injonction goethéenne « Werde was Du bist » ! Ce « Deviens ce que tu es » rejoint alors la pensée du grand philosophe indien, Kabir, quand il nous donne cette injonction (2) : « Enfourche la monture de tes pensées, et place ton pied dans l’étrier de l’absolu » …
Notes
– (1) Quignard Pascal : L’amour-La mer. Paris. Editions Gallimard. 2O22. (Page 30).
– (2) Kabir : Au cabaret de l’amour. Paris. Editions Gallimard. 1959. (Page 131).
Le petit d’Homme, contrairement à nombre d’animaux, nait avant terme du fait de l’étroitesse du bassin de la femme. Défaut de la Nature. Partant, une croissance longue – qui n’est pas une maladie – lui est nécessaire pour atteindre sa maturité. Tant que les sciences humaines, telles que la psychanalyse et la franc-maçonnerie qui en font partie, seront considérées comme des thérapies alors qu’elles sont des outils qui contribuent par le verbe et la symbolique à ce développement personnel, tant que les citations de la philosophie ( “Deviens qui tu es” est un aphorisme de Pindare) seront considérées comme des “pansements intellectuels” alors qu’elles sont des boussoles et des “guides de vie”, tant que les religions occidentales qui sont des “consolatum” utiles seront vécues comme des instances de commandements culpabilisants, l’Homme devenu sera infantilisé et se sentira infériorisé! Il est une plante verte qui a besoin pour croître ( pour se “perfectionner dans son être” dit Spinoza) de nutriments et de lumière. Etre adulte c’est avoir confiance en soi. Pas aux chimères ni aux prêchi-prêcha! Gilbert Garibal
Il me semble que nous devons à Nietzsche ce “deviens ce que tu es”. Bien que supportant de nombreuses interprétations elle représente pour moi une invite, dans un processus ontologique d’individuation, au dépassement d’un soi prisonnier de ses croyances limitantes. A devenir l’égal du père ou pour Freud à tuer le père comme Cronos coupa le sexe de son père, comme Zeus destituera Cronos pour prendre le pouvoir ou plus modestement de se réaliser comme nous le propose A. Maslow en atteignant le dernier étage de sa pyramide.
Ayant travail au rite Francais Moderne au GO, j’ai toujours regretté l’abandon de la référence au GADLU qui est à mon sens un symbole fort dans le processus initiatique. mais c’est une autre histoire
Très cordialement