mar 03 décembre 2024 - 18:12

L’œil de la Providence – Par Laurent Ridel

De notre confrère Décoder les églises et les châteaux par Laurent Ridel

Chers passionnés de patrimoine, bienvenue dans cette nouvelle édition de l’Infolettre du dimanche ! Aujourd’hui, nous allons lever le voile sur le mystérieux “Œil de la Providence”, explorer la “loi du cadre” qui a façonné la sculpture romane, et vous surprendre avec une image insolite. De plus, je suis ravi de vous inviter à ma prochaine conférence sur les artistes de la fin du Moyen Âge. Installez-vous confortablement, la découverte commence maintenant !

Dans quelques églises, on peut surprendre un œil sans paupière inscrit à l’intérieur d’un triangle lumineux. Hâtivement, certains observateurs en concluent à une trace laissée par les francs-maçons.

Non, la franc-maçonnerie n’a ni le monopole ni l’antériorité de ce symbole. C’est d’abord un signe chrétien.

Il n’est cependant pas impossible qu’il s’inspire de l’œil d’Horus. Ce motif de la religion égyptienne apparaissait sur des amulettes, sur des tombeaux ou sur la proue des navires. Il représentait le bien-être, la guérison et la protection.

Dans le christianisme, l’œil de la Providence apparaît dans le tableau de l’italien Pontormo, Le Souper d’Emmaüs, mais il ne devient courant dans l’art chrétien qu’après la fin du XVIIe siècle.

Le triangle évoque la Trinité :

Les angles représentent ses trois composantes : Dieu le Père, Jésus et l’Esprit saint. 
Les lignes du triangle les relient pour symboliser leur unité. 

L’œil, dit œil de la Providence, représente Dieu qui voit tout, connaît tout, ordonne tout. Cet œil veille aussi sur les hommes.

Aussi efficace et polysémique qu’un logo, ce symbole dépasse ensuite le christianisme. Il intègre la panoplie des symboles maçonniques dès 1772 sous le nom de « delta lumineux ».

Avez-vous remarqué qu’il figure aussi en tête de l’affiche de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789 ?

Enfin, les Américains l’ont toujours dans leur portefeuille : l’œil de la providence a sa place sur les billets verts d’un dollar.
La loi du cadre

La sculpture romane obéit souvent à un principe : le sujet doit s’adapter à la forme de son support. Cette loi se vérifie en particulier sur les chapiteaux. L’espace est si restreint que le sculpteur est obligé de contorsionner ses figures ou de varier leur échelle au mépris du réalisme.

Dans le chapiteau ci-dessus de la basilique de Vézelay, l’archange Raphaël se saisit du démon Asmodée et le garrotte. Les deux personnages sont pliés pour entrer dans l’espace contraignant du chapiteau.

Pour réaliser ce chapiteau de la cathédrale d’Autun, le sculpteur fut bien embêté. La scène représente une des tentations de Jésus au désert. Errant dans le désert, le Christ est soumis à différentes tentations par le diable. Ici, Satan lui tend une pierre pour le tenter de la transformer en pain et ainsi apaiser sa faim. Epaulé par un ange, le Christ repousse l’importun. Dans cette scène, le sculpteur a voulu surélever le Christ et l’ange. Il n’y a réussi qu’au prix d’un non-respect de l’échelle des personnages. Satan est démesuré par rapport aux deux autres.

En 1938, l’historien de l’art Henri Focillon est à l’origine de cette définition de la « loi du cadre » : « pour entrer dans l’ordonnance de la pierre, l’homme est forcé de s’incurver, de s’arcbouter, d’allonger ou de rétrécir ses membres, de devenir géant ou de devenir nain. Il sauve son identité au prix de déformations et de ruptures d’équilibre ».

C’est probablement la seule loi que les magistrats ne connaissent pas.

L’image insolite de la semaine

Une abonnée, Liliane de Suisse, a été saisie par cette statue-buste découverte dans une modeste église du Var (Montauroux).

Avec ses yeux hallucinés et son arme brandie, le personnage ressemble à un psychopathe.

Une fois remis de notre peur, la raison nous revient : il s’agit certainement d’un apôtre. Le livre qu’il tient, l’Évangile, le suggère. Le couteau désigne précisément saint Barthélemy dont le délicat martyr fut d’être écorché vif.

Le saint semble grogner : « la bourse ou la vie ». Face à une telle menace, les fidèles s’empressent sûrement de vider leur portefeuille de ses billets et d’en bourrer le tronc.
Ma prochaine conférence

Jeudi 19 octobre, je suis invité par les Amis des musées de Lisieux pour une conférence sur le sujet : « Les artistes à la fin du Moyen Âge ».

Dans les infolettres, j’ai l’habitude de vous décrire les chefs-d’œuvre de l’art médiéval. Cette fois, je m’attarderai sur ceux qui les font : les architectes, les peintres, les sculpteurs, les enlumineurs, les orfèvres…

Si je vous demandais de me citer un artiste du Moyen Âge, la plupart d’entre vous auraient des difficultés. Leur nom est rarement parvenu jusqu’à nous. Est-ce par mépris des contemporains pour les artistes ?

Je vous introduirai aussi dans l’atelier. Comment les artistes travaillaient-ils ? Comment étaient-ils entrés dans le métier ?

J’en profiterai pour citer des figures hautes en couleur : le sculpteur aux joues marquées au fer rouge, le célèbre peintre qui signait des œuvres sans les avoir faites, les trois frères enlumineurs qui faisaient des cadeaux humoristiques à leur mécène et oncle du roi de France… Je vous raconterai également le fameux concours de sculpture de Florence en 1401.

Au final, vous vous rendrez compte que le titre banal de ma conférence « Les artistes à la fin du Moyen Âge » cache un problème.

Rendez-vous à l’espace Victor-Hugo de Lisieux, jeudi 19 octobre, à 14 h 30. Durée : environ 1 h 30. Entrée : 8 € (6 € pour les membres de l’association et ceux de l’Université Inter-Âge).

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