jeu 21 novembre 2024 - 11:11

La maladie maçonnique

Un corps social c’est un peu comme une personne humaine ;  il peut bien se porter mais il peut aussi être souffrant !

Jacques Chouillot  rappelle que :

« L’Etat selon Platon était conçu à l’image du corps humain, divisé par lui en trois zones d’influence : intelligence, cœur, fonctions animales. L’Eglise selon saint Paul est identifiée au corps du Christ. La fable d’Esope sur les membres et l’estomac applique le principe de solidarité biologique aux rapports de classes.

Parmi les écrivains qui ont eu la plus directe influence sur les écrits politiques de Diderot, il faut retenir la puissante personnalité de Hobbes qui définit le Léviathan, figure de l’Etat, comme « la réunion de tous les hommes en une personne unique » en vertu d’un contrat par lequel chacun se lie à chacun. Une fois que ce résultat est obtenu, « cette multitude se constitue en une personne unique qu’on appelle état ou république. Et c’est ainsi que naît le Grand Léviathan, ou pour mieux dire, le Dieu mortel auquel nous sommes redevables de la paix et de la sécurité sous l’autorité du Dieu immortel ».Il ne faut pas non plus négliger la théorie des « systèmes » énoncée par Shaftesbury. Malgré son orientation platonicienne, elle utilise volontiers le vocabulaire biologique. « Tous les animaux composent un système, et ce système est soumis à des lois mécaniques selon lesquelles tout ce qui y entre est calculé ». (sources)

Ainsi en est-il pour la franc-maçonnerie !

On peut la définir comme un corps social mondial, syncrétisme de toutes les franc-maçonneries nationales, elles-mêmes  fusionnant les obédiences nationales.

Si on admet généralement que l’excellence de l’histoire de la franc-maçonnerie provient de son approche tolérante des relations humaines, sa recherche de la perfection aussi bien morale, artistique que opérationnelle, on peut parler de pathologie lorsque d’autres comportements apparaissent en contradiction avec ces valeurs.

La maladie maçonnique peut affecter différents éléments de ce corps social ; souvent ce ne sont que quelques symptômes ; on peut aussi observer des syndromes. L’atteinte peut être circonscrite ou étendue. La maladie est souvent bénigne mais peut parfois être grave entraînant la démission ou la disparition d’une loge ou d’une obédience.

De quelques signes de la maladie maçonnique :

Il n’est pas question de détailler ici les symptômes de cette maladie ; je me contenterais d’en lister quelques uns :

  • La cordonite,
  • La perte du sens critique ,
  • Un comportement de « sauvage » où un minimum de civilité disparaît,
  • Le clanisme,
  • La soumission à l’autorité,
  • Le sectarisme,
  • Le machisme,
  • Le délire mégalomaniaque,
  • La dérive mystique.
  • L’engagement intéressé.

Globalement la maladie maçonnique aboutit au sectarisme !

De quelques membres atteints, on peut en arriver à quelques loges et aussi à quelques obédiences ! Toute l’histoire de la franc-maçonnerie est ponctuée par ce processus sectaires ! Pour une recherche de perfection qui n’est en fait qu’un prétexte pour se démarquer de l’ensemble de la communauté maçonnique on se divise !

Des raisons politiques ont également joué un rôle dans la mesure où les obédiences maçonniques ont souvent été manipulées par des forces politiques. L’exemple le plus probant est la main mise de l’aristocratie sur la franc-maçonnerie anglaise ! Sous prétexte de landmarks, la Grande Loge Unie d’Angleterre contrôle tout un courant de la franc-maçonnerie mondiale en utilisant le critère « Régularité » !

Une maladie insidieuse et terriblement destructrice !

Lorsqu’on voit le nouveau Grand Maître du Grand Orient de France se positionner comme un rédempteur face à l’extrême droite en France , on voit bien où cette prétention mégalomaniaque peut conduire !

Bien que la réalité montre un corps déchiré, des comportements intéressés, une incapacité à s’engager, le discours prend des envolées lyriques !

Une responsabilité claire

Si cette maladie s’est étendue et a progressivement vidé de son sens premier la motivation philosophique d’une grande et belle idée, c’est d’abord dû à l’incapacité des cadres de la structure maçonnique à assumer leurs fonctions : le ou la vénérable maître et les principaux officiers sont les premiers fautifs en ayant réellement démissionné de leurs responsabilités !

Ensuite cette irresponsabilité s’est étendue aux autres fonctions électives et en particulier aux conseillers de l’ordre et à la grande maîtrise !

Un exemple récent illustre cette situation : lorsqu’on sait que pour assumer une responsabilité il faut une certaine durée, les trente trois conseillers de l’ordre du Grand Orient de France ont choisi d’élire un grand maître qui ne restera qu’en un an en fonction ! Les qualités de la personne ne sont pas en cause mais avouons que c’est quand même incompréhensible sauf à faire intervenir des justificatifs profanes !

Une maladie qui affecte l’ordre maçonnique dans sa globalité !

Quel que soit le pays, quel que soit l’orient, on retrouve cette maladie peu ou prou aux différents étages de la structure maçonnique ! Les organisations rituelles comme les suprêmes conseils ne sont pas épargnées. L’exemple du rite primitif ancien de Memphis-Misraïm est assez caricatural.

Mais cela touche aussi tous les mouvements pseudo-fraternels qui savent s’écharper de la plus belle façon. Notre Directeur de Publication, Franck Fouqueray, en a fait les frais alors que son projet était avant tout de réunir et de laisser une liberté s’exprimer !

Malgré tout, ne désespérons pas !

De nombreuses sœurs, de nombreux frères montrent par leurs comportements que le socle des valeurs maçonniques est toujours d’actualité et qu’il peut être un outil pour réformer nos sociétés à la dérive !

Avec humilité, beaucoup de sérieux et surtout l’exemple de comportements exemplaires et solidaires désintéressés on peut sortir du vide de la langue de bois !

10 Commentaires

  1. En fait, Mon Très Cher Frère Alain, tu le sais mieux que personne en tant que médecin, chacun, chacune de nous porte sa ou ses névroses. Elle constitue même parfois notre “colonne vertébrale”. Je l’ai constaté moi-même en tant qu’analyste. D’où les précautions bienveillantes que nous devons prendre dans nos relations inter-fraternelles. Sans pour autant bien sûr tolérer l’intolérable! A y bien regarder la devise “Liberté, Egalité, Fraternité” que nous clamons haut et fort… est bien souvent malmenée dans nos loges. Le coupable de ce désordre est largement ce “fichu” tablier qui nous fait ( ou nous a fait un jour) loucher sur celui du dessus ( même si l’on s’en défend!). Et partant, peut créer un détestable climat de compétition. Je ne veux pas généraliser ici, quoique! Il s’agirait donc d’inventer des rites sans degrés ( confondus trop souvent avec des galons!). La fraternité est une guerre qu’il faut décider de ne pas se faire! La Maçonnerie est en soi une “poétique” qui devrait être une école de l’Amour. Je m’accorde ici le droit de rêver! Elle doit bien pourtant nous procurer plus que des “bénéfices secondaires” ( comme on dit en psychanalyse) et en nous rendant finalement quelque peu meilleurs… puisque nous sommes contents d’y rester! Là est son secret! Gilbert Garibal

    • Merci MTCF Gilbert pour cette belle contribution ! Ne pourrions nous pas dire que tout être se trouve confronté à deux problématiques : seul-e face à notre solitude et à notre plus ou moins bonne capacité à l’assumer (et on retrouvera là notre statut psychologique – pour simplifier névrose ou psychose) et aussi chacun-e dans un univers collectif avec des règles et des codes où la règle hiérarchique comme tu le rappelles prime même si par pudeur on prétend le contraire ! L’allusion au tablier que tu rappelles rentre dans le cadre de cette 2ème problématique ! La franc-maçonnerie est aujourd’hui par essence une organisation “fermée et psycho-rigide” ! Elle a un besoin urgent d’évoluer et de modifier son mode de “gouvernance” interne ! C’est à mon humble avis du ressort des conseils de l’ordre ! Au lieu de faire de la représentation il me semble que cela devrait être leur rôle premier dans l’intérêt de l’ordre maçonnique ! Fraternellement !

  2. PS : J’ajoute qu’il suffirait souvent d’être renseigné sur “l’aptitude relationnelle” du postulant ou de la postulante pour éviter de recruter des membres plus ou moins ” sociopathes “. Certes celà demanderait davantage “d’investigation” ( sans tomber dans l’interrogatoire policier!) que 3 enquêtes qui ne sont souvent que de gentilles conversations, au cours desquelles le postulant ou la postulante présente évidemment le “meilleur de soi”. C’est humain, pour les “normopathes” que nous sommes tous et toutes! GG

    • Je partage cette opinion que les enquêtes et le bandeau ne peuvent être des filtres qui évitent de proposer à l’initiation maçonnique des personnes qui ne sont pas prêtes à la vivre ! Il me semble qu’une période probatoire faite d’échanges répétés dans le cadre d’une “promotion” sur une durée d’un an donnerait plus de satisfaction !

  3. Sans aller jusqu’à souscrire au terme “maladie” certainement trop fort, qui évoque donc une pathologie, je me permets de rappeler ici que j’ai récemment abordé le “désordre mental” que la maçonnerie peut occasionner chez certains membres “fragiles” en employant et expliquant le terme “névrose” et ses effets. Il me semble plus approprié et n’est pas “généralisateur” comme peut le laisser supposer le terme “maladie”. Peut être la qualité de médecin du rédacteur de l’article n’est pas étrangère au vocabulaire choisi. Toujours est-il que la symbolique, socle même de la franc-maçonnerie spéculative, n’est certes pas une démarche innocente. Elle demanderait, de mon point de vue, un recrutement bien plus sérieux que 3 enquêtes (questionner est un métier) et un “bandeau” ( quoique ce dernier – au vrai inutile et folklorique- peut être très traumatisant!). Cela dit, il ne suffit pas de lister les pathologies éventuelles susceptibles de contaminer la maçonnerie mais analyser les parades possibles! Sans accuser ledit rédacteur, humaniste et raisonnable s’il en est, je voudrais tout de même lui faire aimablement remarquer que son article ( avec gros titres) peut être “culpabilisant” pour les milliers de maçons et maçons ne souffrant d’aucune pathologie. Et décourageant pour le,profanes désirant nous approcher. C’est un psychanalyste qui écrit et signe le présent commentaire! Gilbert Garibal

    • Je comprends que l’expression “maladie maçonnique” puisse choquer mais elle ne concerne pas les individus mais plutôt le corps social que constitue la franc-maçonnerie dans son ensemble !
      Dans un article intitulé “Les maladies de la société – Approche d’un concept presque impossible” Axel Honneth, Traduit de l’allemand par Olivier Voirol, explique les corrélations avec l’approche spécifique de Freud et d’Alexander Mitscherlich. C’est clair que ce n’est pas facile de démêler ce qui ressort de la pathologie personnelle de celle du groupe ! Dans cet article c’est naturellement l’aspect collectif qui primait mais cela ne s’oppose pas à ce que tu affirmes et qui est tout à fait vrai ! I

  4. L’évocation, MTCF, de ce qui s’est passé au Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, rite auquel je suis né ne me rajeunit pas.
    Quand Robert Ambelain est passé à l’O⸫ éternel, il tenait l’ordre d’une main de fer, lorsque Gérard Kloppel a pris la suite, ce fut la première explosion suivie d’autres.
    Le temps passant, j’ai constaté que les métaux, quoi que disent les rituels, sont bel et bien présents dans les tenues de toutes les obédiences que j’ai visitées, ils ne restent pas à la porte du temple comme ils le devraient.
    J’ai connu Dakar au siècle dernier, j’y ai fait mon service militaire, cela non plus ne me rajeunit pas.
    Quant au diagnostic que c’est une maladie, n’étant pas médecin, je n’ai pas de commentaire.
    Il semble que ces comportements sont inhérents à la nature humaine.

    • Merci MTCF Philippe pour ce témoignage d’un vécu ! Si on aborde le fonctionnement de la franc-maçonnerie comme celui d’un corps social il est logique de le comparer à d’autres corps sociaux ; cette comparaison aboutit à la conclusion que tous les corps sociaux ne sont pas confrontés au sort de “la nature humaine ” ! Et c’est justement là que réside l’espoir d’un changement !
      Dans ton témoignage , tu fais mention de la poigne avec laquelle Robert Ambelain conduisait son “management” ! C’est une réalité indéniable ! Un régime autoritaire peut être un facteur de cohésion ! L’histoire en donne de multiples exemples ! C’est beaucoup plus difficile de créer un développement harmonieux sur le mode corroboratif et c’est aussi là que réside notre crédibilité !
      Le mercantilisme et l’irresponsabilité des dirigeants des structures maçonniques m’apparaissent les écueils à éviter pour éviter que cette maladie stérilise tant d’heureuses vocations !

  5. Merci Marcelle pour cette contribution et votre appréciation. J’ai opté pour cette présentation sur le mode d’une “maladie” pour susciter la conclusion que l’on peut en guérir et que ce n’est pas sans espoir. J’espère que les VM sauront reprendre un peu plus de responsabilité et d’engagement pour rétablir un fonctionnement et un comportement conforme à nos valeurs ! Quant aux conseillers de l’ordre il y en a sûrement qui sont conscients des déviances mais ils apparaissent bien silencieux !

  6. Cher M. Bréant,
    Vous listez un certain nombre de symptômes de la maladie maçonnique qui, à mon humble avis, touchent l’ensemble des obédiences, à commencer par celles qui ont un sytéme de style pyramidale (genre entreprise de vente directe avec réseau)…
    On croiraît la Miviludes donnant quelques conseils pour reconnaître toute association à dérive sectaire !
    Merci de votre éloquant développement. Continuez, j’aime bien vous lire.

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Alain Bréant
Alain Bréant
Médecin généraliste, orientation homéopathie acupuncture initié en 1979 dans la loge "La Voie Initiatique Universelle", à l'orient d'Orléans, du GODF Actuellement membre d'une loge du GODF à l'orient de Vichy Auteur sous le pseudonyme de Matéo Simoita de : - "L'idéal maçonnique revisité - 1717- 2017" - Editions de l'oiseau - 2017 - "La loge maçonnique" - avec la participation de YaKaYaKa, dessinateur - Editions Hermésia - 2018 - "Emotions maçonniques " - Poèmes maçonniques à l'aune du Yi King - Editions Edilivre - 2021

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