« La charité est une patrie quand elle est vraie » (Henry de MONTHERLANT)
Plusieurs définitions habillent le mot “charité”. Issu du latin ecclésiastique « caritas », il nous indique d’entrée que “l’autre, notre frère, nous est cher”. La charité – avec la foi et l’espérance – est une vertu théologale qui prône l’amour de Dieu et de son prochain. Cette connotation religieuse ne doit toutefois pas nous faire oublier que “charité” signifie aussi, laïquement parlant, bienveillance, complaisance et encore bonté, bienfaisance. Bref, la charité nous renvoie avant tout à l’homme, à sa force et à sa faiblesse. Donc à sa dimension altruiste.
La solidarité
Il y aurait effectivement à desespérer du descendant des primates, belliqueux par nature, s’il n’était pas en même temps habité par un sentiment de commisération pour la souffrance de ses semblables, à la différence des autres animaux. Cette pitié reste toutefois suspecte quand elle nous fait agir sur les seuls effets de la misère et pas sur les causes. Nous avons encore beaucoup de progrès à accomplir pour ajuster nos actes à notre devise républicaine “Liberté, Egalité, Fraternité”. Ce dernier mot de la trilogie, qui devrait nous faire considérer notre alter ego comme notre frère ou sœur de chair, donc l’aimer comme tel, mérite toute notre attention!
En entrant dans le troisième millénaire, il faut espérer que nous laisserons derrière nous nos attitudes égoïstes des années fastes. Un nouveau temps d’ouverture à autrui paraît s’annoncer avec le formidable développement des associations humanitaires. Elles nous permettent en pratiquant le bien et en “donnant de nous-mêmes”, de trouver dans l’action collective, un épanouissement personnel. Bien entendu, chacun de nous peut, selon sa nature, s’intéresser à titre personnel à son entourage immédiat en difficulté et y trouver un enrichissement, sans obligation de s’enrôler dans l’ un de ces groupes.
Matière inerte, matière vivante, matière ra
rampante, matière dressée, matière pensante…telle a donc été la progression humaine, et qu’elle continue, au fil de notre fantastique voyage sidéral, emportés par la flèche du temps. En tant qu’êtres “in-finis”, ne nous reste-t-il encore à devenir matière aimante, au vrai et noble sens de ce terme? C’est-à-dire cet homo amorosus, qui s’estime lui-même, qui aime les autres, d’accord, mais aussi qui voit ces autres comme des égaux. Qui donc souffre de leurs souffrances! Et qui s’émeut en leur tendant une main secourable pour les remettre debout.
Nous aurons vraiment atteint cette sixième étape de notre développement quand cet amour – dont nous n’avons pas encore de centre dans le cerveau – sera devenu physiologiquement et psychologiquement émotion, à côté des quatre autres, peur, colère, tristesse, joie. Alors nous serons enfin passés de l’humanité à l’humanitude, selon le mot combien profond du généticien-philosophe Albert Jacquard.
Si l’idée de “reliance” des vivants à une force ou un Etre supérieur a pu introduire la notion de “sacré” dans notre existence et nous inciter au respect et à l’enterrement des morts, ce sur toute la planète, il est observable que nous n’avons pas universellement le même respect pour les vivants, nos frères! Certes, contrairement aux bêtes qui abandonnent leurs congénères défavorisés, un esprit de solidarité propre à notre espèce, nous engage généralement, à assister nos plus faibles – enfants et vieillards -, à soulager les souffrants et à prendre en charge leurs divers handicaps…
…Mais en même temps un esprit de compétition, un désir de suprêmatie et possessivité – réalité humaine justement dénommée “hiérarchie de dominance” par le biologiste Henri Laborit – anime les peuples nantis. Il est incontestable qu’elle les pousse à tenir à distance les populations démunies avec seulement des aides alimentaires ponctuelles et des dons de matériels dépassés, à type de lunettes recyclées et de lits d’hôpitaux “relookés”.
Ainsi, pour simplifier, le nord, géographiquement avantagé, tend à entretenir la misère du sud, en le maintenant en état d’urgence et de dépendance, quand il faudrait opérer des transferts technologiques massifs (et pas seulement l’informatique et Internet!). Autrement dit l’occident joue encore trop le rôle de pompier de service, alors qu’il devrait devenir le jardinier du monde.
Paraphrasant le prophète, on peut dire que le riche préfère donner du blé au pauvre, plutôt que de lui apprendre à semer. Nous pourrons vraiment parler de progrès humain, quand en France même, nous aurons appris à transmettre savoir et savoir-faire, dans le cadre même de notre trilogie républicaineet le respect de la dignité des personnes des “autres rives”. Qu’il s’agisse d’un pays lointain ou du trottoir d’en face! Ainsi, le mot “solidarité” retrouvera son sens authentique, magnifique en soi, issu de l’espagnol ancien solidaridad : “qui offre le soleil”!
Aller plus loin
Il y aura toujours un observateur ou statisticien pour déclarer que notre analyse est caricaturale, que les choses vont au contraire de mieux en mieux, précisément grâce aux aides nationales et mondiales qui se multiplient.
Il n’empêche, les flux migratoires montrent, eux, que la géographie est têtue : l’homme ne peut pas encore faire pousser du blé sur tous les terrains arides, et – à l’image des troupeaux qui se déplacent au gré des pâturages – il se dirige lui aussi tout naturellement, vers les lieux où il peut survivre. Par ailleurs, comme existe une baisse de natalité persistante dans les pays industrialisés, ceux-ci ont besoin d’une main-d’œuvre supplémentaire et en auront besoin des années encore. L’homme du sud est ainsi fait pour rencontrer l’homme du nord, et inversement! Ce constat, par sa simplicité même, permet à la fois de raisonner et d’exposer notre registre émotionnel à l’épreuve des faits. C’est ici, hors de toute considération politique et de volonté polémique, mon unique but, dans le cadre même de cette colonne gravée.
A la différence des animaux qui n’alimentent et ne soignent que leur progéniture au seul titre de la pérennité de l’espèce, nous autres humains – parce que l’intelligence de notre coeur peut dominer le “biologique” – sommes capables autour de nous d’actes altruistes, parfaitement désintéressés.
- Une dame rate la marche du trottoir en traversant la rue et s’étale de tout son long. Je me précipite pour l’aider à se relever. Elle a le genou “couronné”, et souffre visiblement. Je la soutiens et l’accompagne chez le pharmacien proche qui lui prodigue tout de suite des soins.
- Au moment de payer mon journal au kiosque sur le boulevard, un voleur m’arrache mon porte-monnaie et s’enfuie en courant. Sur le coup, je suis dépité, sans un sou pour rentrer chez moi. Un témoin, que je ne reverrai jamais, me réconforte et m’offre un ticket de métro.
Deux gestes, que chacun de nous est d’évidence à même d’accomplir, simplement par élan solidaire, voire instinctivement. Et de plus sans attendre de retour particulier, sinon d’éprouver après ces attitudes compatissantes, le bref sentiment de satisfaction du citoyen attentif venant de faire son devoir.
Le schéma n’est pas tout à fait le même avec la charité. Lorsque je vois tous ces gens demander l’aumône aux feux rouges, sur les trottoirs ou les quais du métro, quel comportement dois-je adopter? Emu, je donne une pièce au plus grand nombre si je le peux, en constituant pour cela un budget quotidien… ou, gêné, je détourne résolument mon regard, jugeant que ces quêteurs sont tous des pochards, dont je n’ai pas à entretenir le vice!
Au vrai, aucune des deux manières n’est la bonne. En distribuant quelques pièces selon mes moyens, donc sans me priver, je m’achète une bonne conscience…à bon compte! En demeurant indifférent, je m’abrite derrière l’excuse facile de l’alcoolisme, mais au fond je ne suis pas tranquille, parce que je sais bien qu’il y a de vrais démunis parmi ces personnes! Ainsi, après mon obole, cette exigence morale, je peux aller plus loin…
L’effet et la cause
Aller plus loin, proposition faite aux maçons par les Constitutions d’Anderson – qu’est-ce-à-dire? Il vaux mieux, certes, prendre le risque de donner quelques francs à un clochard qui vont se transformer en un litre de vin rouge, tant pis, que de ne rien donner du tout et finalement priver de nourriture une personne qui, dans le lot des divers solliciteurs, a vraiment faim. Si celle-ci meurt dans la rue et l’indifférence, il sera trop tard ensuite pour s’apitoyer, en dinant tranquillement devant mon écran de télévision!
On voit bien ici que la pratique de la charité place celui qui donne en position de supériorité, et celui qui reçoit en situation de dépendance. Le don, quand il est de la sorte lié à la fantaisie, au caprice du donneur, peut être humiliant pour le receveur, comme le dit très bien un proverbe africain : “la main qui donne est toujours plus haute que celle qui reçoit”. Nous constatons en l’occurrence le côté pervers de la charité, son comble même, quand le pauvre se croit obligé (à entendre ici comme tenu et redevable) de remercier le riche, ainsi conforté, gratifié, dans une démarche condescendante qui ne lui demande aucun effort, aucune privation et ne lui coûte rien.
Mon propos ne se veut pas culpabilisant mais d’abord analytique, pour déboucher sur une solution efficace. Je souhaite effectivement montrer la nécessité de dépasser le processus dominant/dominé, générateur du très discutable sentiment de pitié, le plus souvent davantage lié à la parole qu’à l’acte. Et partant, fausse monnaie en soi, si la commisération n’est pas suivie d’une mesure réparatrice de l’injustice sociale constatée.
Il s’agit en fait, dès que l’on veut bien manifester son intérêt pour le démuni, de prendre en compte, non seulement les effets de la misère, mais aussi ses causes, je le disais plus haut. C’est toute la différence qui existe entre un pansement gastrique pour soulager un ulcère et une psychothérapie pour en supprimer la raison, donc le faire disparaître.
Autrement dit, plaindre son semblable “deshérité” (entre nous, un mot bien inadapté pour désigner quelqu’un privé d’un héritage…inexistant!) est évidemment insuffisant. Il convient, dans le cadre même de la dignité humaine (thème du prochain colloque maçonnique) et de l’égalité morale caractérisant les Droits de l’Homme qui nous sont si chers, de permettre à la personne stoppée et jetée à terre pendant son parcours, de se relever et de reprendre sa marche autonome. Avec ses droits, justement!
Aller plus loin en sa faveur veut dire dès le départ “être au clair” avec soi-même, en tant que bienfaiteur. C’est-à-dire avoir la pleine conscience de notre tendance ancestrale, blottie au fond de notre cerveau reptilien, à vouloir dominer l’autre. Nous voyons bien ici l’utilité de nos règles sociales et pour nous maçons, l’intérêt de nos valeurs fraternelles. En polissant la pierre rugueuse et blessante que nous cherchons à rester par réflexe archaïque, nous sommes enclins à l’expression de nos émotions et sentiments positifs. Du respect à l’estime, de l’amitié à l’amour, et finalement, progression logique, de l’acte de charité à l’acte de partage. Encore faut-il que nous abandonnions préjugés et rancunes tenaces, pour tels ou tels groupes, ethnies ou communautés. Il n’y a qu’à cette condition que nous pouvons aider l’autre, sans arrière-pensées et avec Amour.
La fraternité
En maçonnerie, le naturel et l’automatisme aidant qui recouvrent l’appellation de “frère”, peuvent nous faire oublier son sens fédérateur, à étendre à la cité. Au vrai, y a-t-il une conception plus belle de l’humanité que de voir tous les êtres humains comme notre fratrie, en sortant du Temple? Positionner notre vie sur cet “esprit de famille”, ô combien positif, c’est immédiatement refuser l’égoïsme, le repli sur soi, l’indifférence, l’intolérance. C’est aimer, accueillir, aider, secourir l’autre comme notre frère ou notre sœur de chair. C’est aussi, à travers cette fratrie, occasion d’altruisme (la fameuse philia d’Aristote, du grec philein, aimer), c’est aussi dissoudre notre peur de l’autre dans le plaisir de la rencontre et favoriser notre épanouissement personnel.
Certes, nous savons que “l’homme est un loup pour l’homme”, tel que l’a défini le poète latin Plaute, il y a plus de deux mille ans. Ce que Freud a confirmé depuis en démontrant que l’instinct de destruction de ses semblables est inhérent à l’être humain, dans un contexte groupal. Mais nous le savons aussi habité par un instinct de conservation propre à son espèce. Il est donc possible de parier sur cette contradiction : Puisque notre survie est tributaire de la société, ne sommes-nous pas condamnés…à fraterniser?!
Il faut bien dire qu’en Europe, dans la liesse des “trente glorieuses” – ces années d’abondance qui ont suivi la dernière guerre – s’est forgé un climat d’individualisme exacerbé instituant largement le règne du “chacun pour soi”. Il a fallu le “choc pétrolier” de 1973, avec l’augmentation du prix de l’énergie et la grave crise économique correspondante, malheureusement durable, pour qu’intervienne une salutaire prise de conscience. Chômage, précarité, manque de logements, exclusions, ont brutalement comme l’on dit, “remis les pendules à l’heure” en rappelant la société des hommes à ses devoirs. Alors, comme autant de petites lumières dans cet interminable tunnel, sont apparues nombre d’initiatives individuelles d’assistance aux “blessés de la vie”, parallèlement aux actions humanitaires des réseaux associatifs. L’Europe du nouveau millénaire ouvre enfin les yeux sur sa grande famille et se met en position d’ouverture et de partage.
Partager est vu ici sous l’angle du don de soi, avec ses diverses formes. Il s’agit donc d’aller plus loin que le devoir de charité, nous le répétons, en donnant de sa personne. Littéralement, je peux de mon vivant, faire “don de moi” en offrant sang ou moelle osseuse à l’hôpital le plus proche. Je peux aussi faire en sorte qu’après ma mort, soit permise la vie d’une autre personne, grâce au don de mes organes. Je procède ainsi à une offrande physique, et je donne bien “une part de moi-même”, sur le champ ou à long terme. Il n’est qu’à voir l’émotion d’un “receveur” parlant de son “donneur d’organe”, pour sentir ce que ce transfert de vie a de merveilleux!
On voit ici comment la charité peut nous faire aller plus loin, lorsqu’elle est entendue dans son sens d’amour d’autrui, et telle qu’elle est comprise par l’Ecossisme. Donner de soi revient alors à donner littéralement “de sa personne”, “de sa chair”, mais encore à offrir temps, régularité, compétence, idées, dialogue, sourire aussi. Parce que le démuni a autant besoin d’un regard chaleureux pour exister que de secours matériels. On trouve toujours de l’argent. Beaucoup moins des “caresses de l’âme”!
L’aide sociale
Conditionné par son instinct de mort, l’homme – à qui il ne suffit pas de seulement se défendre – éprouve dans les limites de son territoire une envie irrésistible de l’agrandir et un besoin viscéral répétitif d’attaquer quelque pays proche, histoire de tester ses derniers matériels militaires dévastateurs!
En attendant la suppression des Etats – pour l’instant une belle utopie – qui pourrait, dit-on, éviter ces fléaux que sont la guerre et sa barbarie – la planète est sans cesse embrasée par des séries de conflits, responsables de millions de victimes, depuis des générations. L’Organisation des Nations Unies et “le droit d’ingérence” dans les pays concernés constituent une première réponse de “l’intelligence émotionnelle” de l’homo modernus, mais il lui reste beaucoup d’avancées à accomplir, si l’on en juge par la constance de ses actes de sauvagerie, que la télévision nous montre jusqu’à la nausée.
Paradoxalement, notre sentiment d’appartenance à une nation, une ethnie, un groupe, un clan, qui peut armer notre main droite pour tuer autrui, guide dans le même temps notre main gauche pour le soigner et l’aider…puisque nous n’aimons pas qu’il souffre, ni qu’il soit en difficulté! Non, décidément, cette contradiction le démontre, nous ne sommes pas des êtres finis : il nous manque bien une dimension mentale! Affaire à suivre…
Cet esprit d’entr’aide, ce désir “de préserver la vie”, qui espérons-le, supplantera totalement un jour notre pulsion de mort, n’est pas nouveau bien sûr. Au Moyen-Age, les confréries professionnelles regroupaient notamment nos célèbres aînés les constructeurs de cathédrales, unis par le “mestier” et la foi religieuse, dans le but de leur assurer assistance matérielle, formation artisanale et épanouissement spirituel. Quand on sait que la plupart de ces “éleveurs” de pierre, ne voyaient pas la fin de l’œuvre lancée vers le ciel, on peut imaginer la puissance de leur investissement physique et affectif!
Qu’il s’agisse de la franc-maçonnerie, du compagnonnage ou des diverses guildes du bâtiment et du commerce, ces organisations, qui percevaient des adhésions pour assurer leur fonctionnement, peuvent être considérées aujourd’hui comme les ancêtres des syndicats et mutuelles, voire de notre sécurité sociale.
Dans notre monde anonyme du XXIème siècle, où l’on communique de plus en plus mais où l’on se parle de moins en moins, n’est-il pas bon de s’inspirer de ces valeureux opératifs, nos prédécesseurs, dit-on? Chacun de nous peut, à sa mesure, “bâtir sa propre cathédrale”. En approchant sa voisine ou son voisin de palier, parfois malades, souvent inconnus. En se présentant à la mairie de son domicile ou au bureau local d’un mouvement caritatif. Pour qui est tenté par le bénévolat, cette charité que j’appelerai active, le chantier est immense : famille, justice, droits de l’Homme, anti-racisme, délinquance, chômage, éducation, immigration, consumérisme, culture, loisirs, environnement, santé, sports, aide internationale, tiers-monde…Autant de pierres à tailler et à superposer pour élever l’édifice social!
Au stade actuel de son évolution, l’homme est donc toujours capable du pire et du meilleur. Nous venons plusieurs fois d’évoquer le pire, dont on peut être horrifié certes, puisqu’il est clair que chacun de nous abrite un démon. Il ne s’agit pas de désespérer toutefois, puisque l’ange est aussi notre hôte, pour la réalisation du meilleur!
Celui-ci, quand il a invité à la compassion les fondateurs des grands mouvements humanitaires, s’est toujours manifesté chez eux par une vive émotion préalable, nous précise l’histoire. Un jour, un être est fortement choqué par la misère ambiante et décide d’agir, seul d’abord, ensuite avec une équipe, puis d’autres encore, qui se répandent dans le monde. Quelques cas de “dons de soi” célèbres, fournissent une chronologie très édifiante, en matière de charité :
1099.Le Frère Gérard touché par l’état de faiblesse des pélerins leur ouvre l’hôpital de Jérusalem. Godefroy de Bouillon admire son organisation et crée un Ordre Hospitalier.Celui-ci fixé en 1550 sur l’île de Malte, en prend le nom puis vient à Rome en 1831,où l’Ordre de Malte siège aujourd’hui.
1617. Un prêtre, Vincent Depaul, qui deviendra Saint Vincent de Paul, est sensibilisé par une famille en détresse dans l’Ain. Il crée avec ses paroissiens la première Confrérie de Charité, puis fonde avec Louise de Marillac une oeuvre qui aboutira aux actuelles Equipes Saint-Vincent.
1864. Révulsé par le carnage de la bataille de Solférino auquel il assiste, un philanthrope suisse, Henry Dunant, pense à la création d’une assistance aux blessés de guerre. Avec quatre amis, il fonde la Croix Rouge, qui deviendra la première organisation humanitaire mondiale.
1878. Un jeune et pauvre anglais William Both est très affecté par le spectacle des desoeuvrés errant dans les rues de Londres, du fait de la révolution industrielle. Devenu pasteur, il réunit ces malheureux en un grand groupe qu’il structure de façon militaire. L’Armée du Salut est née!
1899. En Afrique Australe, le Général anglais Robert Baden-Powell résiste aux Boers. Il y utilise de jeunes garçons comme estafettes. Surpris par leur civisme, il a l’idée la paix revenue, de fonder le scoutisme (de l’anglais scout, éclairer) qui forment les jeunes et les incitent à l’entr’aide. (Nos tabliers sont ornés de cette croix scoute).
1946. Très impressionné lors du pèlerinage à Lourdes de 100 000 prisonniers de guerre rapatriés, Monseigneur Jean RHODAIN, lui-même ancien prisonnier évadé, crée le Secours Catholique, organisation charitable, filiale de Caritas Internationalis (œuvre allemande née en 1897)
1949. Un soir d’hiver, l’abbé Pierre, recueille un “sans-logis” suicidaire. Bouleversé par sa détresse, il le convaint de l’aider à fonder une communauté de chiffonniers. Avec le produit de ses ventes, celle-ci crée Emmaüs (du nom de cette localité de Palestine où des désespérés reprirent goût à la vie).
Sept exemples parmi des centaines. Chacun de ces pionniers, avec une idée différente, s’est élevé lui-même en faisant “la courte échelle” aux autres!
L’action collective
Que nous montre ce millénaire traversé au pas de course? Que la solidarité – qu’on la nomme compassion, fraternité ou charité – véritable “élan émotionnel” consistant à soigner spontanément la misère corporelle, a progressivement évolué, du moine Gérard de Martigues à l’abbé Pierre, vers une continuité de soins et aides matérielles, certes, mais assortie de l’invitation des démunis à leur autoresponsabilisation. Aujourd’hui, le vocable “charité” ne devrait plus signifier “aumône” mais “resocialisation”.
Sur cette idée , en 1947, un autre prêtre, Joseph Wresinsky, révolté par le spectacle des familles vivant dans des bidonvilles de la région parisienne, décide de créer avec elles, des “cités autoadministrées”. Du coup le démuni redevient acteur social. Ainsi apparaît ATD Quart-Monde (Aide à Toute Détresse et Quart-Monde en référence aux indigents, “le quatrième ordre”, qui a tenté sans succès de s’affirmer aux Etats Généraux , sous la révolution française en 1789).
Cette entreprise humaniste visant à redonner aux personnes défavorisées, un cadre d’accès à la citoyenneté et à la parole, selon les termes même du père Wresinsky, ne se veut pas une exclusivité religieuse, bien au contraire. A côté des organisations chrétiennes – dont l’Entraide Protestante – tout à fait dans leur philosophie, le monde laïque, par le biais du Secours Populaire Français, entre autres, prône lui aussi cette “assistance de réinsertion” depuis 1926, date de sa fondation avec une devise universelle: “Tout ce qui est humain est nôtre”
Comme en écho à cette affirmation, et dans la mouvance des avatars politico-économiques du turbulent XXème siècle, nombre d’associations humanitaires nationales et internationales ont vu le jour, avec à leur tête de fortes personnalités, interpellées par le triste sort de leurs semblables. Exemple :
L’Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Inadaptés, initiée en 1948 par un groupe de familles touchées par le handicap mental, et longtemps animée à Paris, par l’un des nôtres, Gérard MESNIL.
Et puis encore, crées ensuite, S.O.S. Amitié, l’ Association Française Contre les Myopathies, Amnesty International, Médecins Sans Frontière et Médecins du Monde, les Restaurants du cœur, suggérés par Coluche pour distribuer nourriture et aide sociale aux démunis.
Ces associations, et des dizaines d’autres, ont besoin de bénévoles. Leur proposer notre concours, c’est participer illico à une action collective menée entre authentiques compagnons (du latin companem, qui partagent le pain).
Le développement personnel
Je l’ai dit, il n’est pas nécéssaire d’entrer dans une association pour faire le bien autour de soi. Des milliers de gens, individuellement, discrètement, donnent argent, nourriture et vêtements à des malheureux, apprennent à lire et compter à des enfants en retard scolaire dans leur immeuble, rendent visite à des malades hospitalisés, à des vieillards ou a des détenus, etc. C’est cela aussi la charité.
Il est indéniable toutefois qu’adhérer à un groupe caritatif, important ou non, c’est d’emblée s’intégrer à une nouvelle famille, c’est profiter de sa dynamique, dans la joie d’être utile ensemble. Si l’on aime le travail en équipe, c’est aussi donner une dimension supplémentaire à sa vie.
Il y aurait en France, quelque dix millions de personnes, qui, indépendantes ou associées, “servent” ainsi leur prochain. Ce verbe “servir”, devenu “servir nos seigneurs les malades” dans la magnifique devise de l’Ordre de Malte, est aussi superbement conjugué par “les clubs-service”. Ces mouvements pour la plupart d’origine maçonnique, ont été créés au début du siècle, d’abord aux Etats-Unis et en Angleterre, puis dans le monde entier, alors que n’existait nulle part de protection sociale. Qu’il s’agisse du Rotary, fondateur d’Hôpital Sans Frontières ou du Lions-Club, co-organisateur en France du Téléthon.
II faut avoir participé un jour à une quête sur la voie publique, par exemple au profit des non-voyants, pour percevoir combien l’altruisme peut impliquer tout le registre émotionnel avec : La peur, quand au début, vous sollicitez les gens en tendant une sébile. La tristesse, quand cette sébile reste désespérément vide dans votre main. La colère, lorsque les regards se détournent du vôtre pour ne pas donner. La joie, lorsqu’enfin les pièces tintent et s’accumulent dans la boîte en fer. L’amour, lorsque heureux vous embrassez une grand-mère, pour la remercier de son obole.
Oui, c’est tout çà à la fois la pratique du don de soi et de la charité : une école de maîtrise et de développement personnel, d’expression orale et gestuelle, d’estime de l’être humain. Crever sa bulle auto-protectrice pour s’intéresser aux autres, permet d’entrer d’un seul coup dans le monde de la rencontre, de la générosité, de la sérénité. Et de ressentir en fait, une profonde satisfaction. Cette notion de plénitude est importante pour moi à souligner en terminant cette planche, car elle est synonyme d’énergie. Cette énergie que nous fabriquons dans cet atelier même et que nous emportons dans la cité, au service du prochain
Aller vers l’autre en difficulté pour lui offrir une véritable charité reconstructrice, c’est donc en même temps nous renforcer pour mieux exister. Comme l’a dit Melvin Jones en 1917, cet agent d’assurances fondateur du Lions International : “On ne va pas bien loin dans la vie, si l’on ne commence pas par faire quelque chose pour quelqu’un!”
Je pense avoir précisément décliné le terme “charité” en “solidarité dans mon développement. Il existe même le terme “solidarisme” pour définir l’aide humanitaire sous toutes ses formes. Certes, l’idéal est que disparaisse cette “charité” ( même si le terme signifie “amour” en latin !) : Offrir un logis, une nourriture et un travail à un démuni, c’est mieux qu’une pièce de monnaie qui renvoie à la mendicité. Remettre un homme debout, c’est s’élever soi-même!
Pardon pour les “guillemets” et autres lettres en italiques mais ils sont souvent nécessaires pour exprimer ou valoriser le sens d’un mot! Mais je veillerai à ne pas en abuser. Promis! Salut et Fraternité, comme on dit dans plusieurs Obédiences, Gilbert Garibal
Bonjour à tous,
Un énorme merci à Gilbert Garibal pour ce texte remarquable sur la charité au 21ème siècle.
Je suis toutefois effrayée par tous ces guillemets. Je sais que c’est la nouvelle mode, mais est-ce vraiment nécessaire ?
Une petite remarque mais qui n’engage que moi et mes FF et SS d’une Loge d’une Obédience libérale ou adogmatique : nous remplaçons le terme charité par solidarité car nous considérons qu’il représente un geste destiné à quelqu’un qui est notre égal, ce qui n’est pas le cas pour la charité.
En tout cas, NTCF m’a convaincue et la prochaine fois qu’il y aura quelqu’un qui me demandera une pièce au feu rouge, je la lui donnerai avec le sourire au lieu de lui faire non de la tête.
Bien frat, Didine