Pause estivale ?
Voici le temps du lézard qui dort au soleil, repu et béat après sa quête fébrile de l’insecte nourricier. Parce que si le ventre vide n’a point d’oreilles, comme dit l’adage, en revanche ses gargouillis interdisent la quiétude post-prandiale, d’après repas.
Voici l’heure calme de la mer immobile, du grec *kaiô, brûler, *kauma, brûlure du soleil, celle où les voiles faseyent et le vent tombe sous l’effet de l’excessive chaleur, comme s’il avait lui aussi besoin de s’alanguir dans une telle fournaise, l’accalmie avant la tempête à venir. Alors, le bateau se voit encalminé faute de souffle. On cesse le travail en chômant. Chômage délicieux et roboratif.
Dans les sociétés rurales, la cloche de l’église sonne le deuxième angélus de la journée et appelle à la pause et à la sieste, au sens propre, repos de la sixième heure, non pas au cadran inexorablement précis des montres et des horloges, mais à la moitié du jour, hivernal ou estival, c’est-à-dire midi au zénith. C’est le temps préposé à la sieste, quand on dépose toute charge.
Même la divinité réclame cette pause, après les six jours intenses de la création. Repos du sabbat, sahabbat en araméen, que le grec sabbata a emprunté pour désigner la semaine.
A son origine, l’école est le lieu du répit. *Skholè en grec désigne l’espace du loisir, du temps libre, que l’on peut consacrer à l’étude et à la réflexion, *schola en latin nomme la salle d’attente et de repos dans les bains, la scolastique concerne les havres monastiques où l’on prend le temps d’assimiler sereinement et non moins rigoureusement les connaissances plurielles.
L’école se chargera ensuite, dans le monde séculier et profane, d’enseigner les savoirs basiques, ensuite plus complexes.
C’est par leur fréquentation du monde grec, deux siècles avant notre ère, que les Romains ont découvert, et de plus en plus apprécié pour certains, la douceur de l’*otium, temps de repos, de retraite, de loisir dans l’inaction, de paix, en opposition au bellicisme sans répit et au *neg-otium, l’hyperactivité du négoce. Charme surprenant pour ces Latins jusque là peu accoutumés à l’oisiveté pénétrée d’une détente profonde du corps et de l’esprit. Condition incontournable pour accepter la dilatation du temps qui autorise la jouissance sereine de l’instant présent, sans autre utilisation que lui-même, “inutile” en somme, vide d’autre sens.
Espace de la pause, au sens grec de “ce qui fait cesser”. Le latin l’a repris en l’assimilant à son propre champ sémantique du repos. *sinere exprime l’idée de “laisser, permettre”, d’où *po-sinere, poser.
A considérer nos sociétés contemporaines d’agitation et de course à l’abîme, tous azimuts, on ne peut qu’être inquiet de leur propension généralisée à juger tout temps non occupé comme un temps perdu. Perdu pour quoi ? Que gagne-t-on à interdire la pause aux oreilles polluées par le brouhaha ambiant, à ne jamais fermer les yeux, ne serait-ce que pour les reposer, face aux écrans omniprésents dispensateurs d’images qu’on ne prend pas le temps de digérer ? Les tympans vibrent d’acouphènes, les yeux larmoient et le cerveau en surchauffe ne parvient plus à absorber le gavage auquel on le soumet. Faute de quoi, on se lance dans la course au somnifère, quelles qu’en soient les modalités physiques ou mentales.
Clore les paupières pour ouvrir l’espace du rêve et favoriser la fertilité de l’imagination… Ouvrir les oreilles pour accueillir le silence, grand vide de bruits qui n’est pas néant, mais ampleur recouvrée de soi et de ses musiques intimes.
Repos ! Ah, si la soldatesque de tout poil pouvait enfin donner cet ordre, de concert sur les divers champs de ses jeux guerriers… L’industrie si lucrative en serait mise au chômage, mais quel calme bienvenu !
Annick DROGOU
« Nos Frères n’aspirent pas au repos », rappelle une formule finale de nos rituels au premier degré écossais. Mais, à un grade ultérieur (dit supérieur), la tenue se terminera par d’autres mots : « Puisque les travaux sont terminés, nous avons droit au repos ». Peut-être qu’en vieillissant les initiés ont besoin de plus de repos, ou tout simplement qu’ils sont devenus plus sages, acceptent et reconnaissent le besoin de repos.
Repos divin de l’œuvre accomplie : « Le septième jour, Dieu avait achevé l’œuvre qu’il avait faite. Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il le sanctifia puisque, ce jour-là, il se reposa de toute l’œuvre de création qu’il avait faite » (Genèse 2, 2-3).
Dans tout repos, il y a un avant et un après. Après et avant l’action. Le repos comme l’étape dans la marche des jours, dans le cheminement de nos vies. Il faut pouvoir poser le fardeau des peines et des joies. Bienvenue au bivouac du soir quand on délace ses chaussures de marche et qu’on se délasse en oubliant la fatigue. Car, paradoxe, le repos n’est pas un temps de sommeil, d’enfouissement, il va plutôt avec l’allègement.
Le repos comme un dessaisissement de soi-même. Comme le jardinier laisse reposer la terre pour qu’elle soit plus féconde, comme le pâtissier laisse reposer la pâte pour qu’elle lève mieux. Le temps du repos n’est pas un non-temps, c’est un temps de silence.
Le repos, à l’écart de l’agitation, des troubles et du tourbillon des pensées. Et nos vies comme une eau turbide qui décante et retrouve calme et pureté. Légèreté, paix et joie. Débrancher les prothèses numériques, ne rien faire, dépasser le stade de l’ennui. Goûter au repos : Heureux les enfants qui apprennent à s’ennuyer, ils sauront un jour se reposer.