« Je souhaite venir combler un vide spirituel…je recherche une forme de transcendance… je m’intéresse aux traditions et aux mystères, je suis attiré par les valeurs du passé… je désire découvrir le monde symbolique… je voudrais apaiser une angoisse métaphysique… la vie actuelle, trop matérialiste me déçois… J’aspire à rencontrer d’autres personnes dans le même état d’esprit… je désire réfléchir en commun sur le devenir de la condition humaine… »
Au fil des “bandeaux” dans nos ateliers, nous avons tous entendus, nous entendons encore ces véritables cris de solitude intérieure, bref, ce grand “manque” moderne. Il est exprimé de façons diverses avec les mots en vogue – en fonction même de leurs fantasmes sur notre mouvement – par les profanes qui viennent frapper à la porte du Temple.
Don de soi, don de choix
“Maçonner” est donc difficile, au sens où l’opération exige un incessant va-et-vient interne “dedans-dehors“, et un permanent aller et retour “de moi à l’autre“. Que signifierait une maçonnerie de quinzaine, se contentant des belles paroles d’un rituel, aussi beau soit-il, sans mise en actes, sans expérience pratique, le parvis franchi ?!
Et qu’est-ce que cette maçonnerie pratique, sinon, parmi nos offrandes possibles, l’exercice de la solidarité – impératif d’aujourd’hui – qu’il soit individuel ou associatif ?! Le mot “solidarité“, notons-le, vient de l’espagnol ancien solidaridad, qui veut dire soleil.
Lorsqu’on choisit d’aller vers les autres dans le besoin, et de les aider il s’agit bien de leur apporter un peu de ce soleil qui leur manque. Donner de soi, ce n’est donc pas uniquement ouvrir son porte-monnaie – et du même coup soulager sa conscience – en tendant un billet ou un euro à un démuni au feu rouge. Ce n’est pas non plus seulement adresser un chèque annuel au Téléthon ou à une organisation caritative. De fait, l’exercice du devoir de charité comporte en lui-même un risque pervers qu’il est bon de pointer d’entrée pour mieux nous acheminer vers une vraie solidarité. Pratiquée dans le sens de l’aumône, et reçue comme telle, la charité peut humilier le receveur en soulignant sa totale dépendance à l’imprévisible générosité du donateur, et en valorisant ainsi la supériorité de ce dernier. « La main qui donne est toujours plus haute que celle qui reçoit », dit un proverbe africain.
Quelque chose pour quelqu’un
De la sorte, l’acte charitable – encore une fois, essentiel – n’a de valeur que s’il tend à déboucher sur l’équité. C’est-à-dire s’il s’évertue à supprimer les causes de la pauvreté, en même temps que ses effets. Cette vision des choses n’est pas simplement idéaliste : elle prend en compte la dignité humaine et l’égalité morale qui devraient – dans le cadre même des Droits de l’Homme – être à toute force et en tous lieux respectées, chacun en ce monde étant responsable de chacun.
C’est avec la totale perception de ce principe de justice universelle, qu’il est vraiment possible de comprendre qu’au devoir de charité doit s’ajouter celui du partage. Les associations humanitaires qui comportent dans leurs rangs de nombreux maçons et maçonnes, cherchent toutes maintenant à mettre en œuvre cette complémentarité. Il s’agit non seulement de faire quelque chose pour quelqu’un…mais de le remettre debout !
Partager ne signifie pas – idée simpliste – de procéder à la redistribution des ressources des plus aisés aux plus démunis. Partager, au plan de l’aide à son prochain défavorisé, c’est à la fois regarder, écouter, parler, offrir, « être au contact », prendre part, et mieux que compatir… agir ! Autrement dit, accomplir un effort ressenti. Exactement comme nous souhaiterions la réciproque si nous étions dans la même situation. N’oublions jamais que nous pouvons être touchés demain à notre tour : le malheur ne fait pas de distinction sociale !
Donner de soi, c’est donc dépasser son devoir de charité pour offrir une part de soi (tel le don de sang ou d’organes). En dehors de l’argent, les formes de ce don authentique sont nombreuses, au sortir de la loge : temps, savoir-faire, créativité, énergie, dialogue, bonne humeur, espoir… Avec toujours en point de mire, non l’aide provisoire à notre semblable, mais notre participation à la reconquête de son autonomie.
Permettre à son prochain de se relever, permet en même temps de s’élever soi-même. C’est cela aussi être franc-maçon et franc-maçonne !