jeu 31 octobre 2024 - 09:10

De la solitude, la renaissance

Dès sa naissance le petit d’homme est en deuil !

Alors qu’il était blotti depuis plusieurs mois dans un nirvana de tiédeurs utérines, il est brutalement expulsé du ventre maternel et livré à la lumière du monde. Alors qu’il « faisait couple » avec sa génitrice, celle-ci s’en sépare par l’accouchement qui s’impose : d’un duo, le bébé devient unité. Soudain il est seul « dans sa peau », avec une conscience en lente formation et tout en curiosités successives. Son inconscient, lui, également « en herbe », n’oubliera jamais malgré tout, cet éloignement de « l’habitat initial », de cette séparation, parfois même vécue comme un abandon.

Pourtant, même en comprenant progressivement la nécessité de séparation, il garde une « reliance » ombilicale imaginaire avec cette mère – « libérée » de leur cohabitation – qui continue de le protéger pendant sa croissance, à l’extérieur d’elle désormais. Homme parmi les hommes, il entretiendra à vie – à son insu nous dit la psychanalyse – ce rêve fou de remonter à la source bienfaisante, sécurisante aussi. De repasser de l’unité à la dualité. Et de retrouver ce bonheur fusionnel perdu !

500 ans avant Jésus Christ, l’auteur de théâtre grec Aristophane, constatant cette « souffrance » du genre humain lors de l’enfantement, inventa une fable qui devint « le mythe des androgynes ». A savoir que, à l’origine, selon le récit, ce genre était composé de trois configurations, formant deux moitiés « rapprochées » (homme-homme, femme-femme, homme-femme). La plus « courante » était un homme et une femme, soudés l’un à l’autre, de forme arrondie (le cercle étant la forme parfaite pour les grecs anciens). Créatures aux dos et flancs bombés, elles disposaient de 4 bras et de 4 jambes. Ces huit membres leur servaient de point d’appui et leur permettaient de se déplacer rapidement en « faisant la roue », ici réinventée.

Une façon imaginaire poétique, à la fois de supprimer le défaut constitutionnel de l’homme, – en l’occurrence son « incomplétude » aux yeux des antiques – et dans sa tête, avec un peu d’humour, …de tourner rond ! Sauf que… toujours selon le mythe, ces créatures sphériques ayant soudain la prétention de rejoindre ainsi les dieux et d’obtenir leur statut céleste, Zeus décide de les punir de leur vanité. D’un coup d’épée, il les tranche en deux dans le sens de la hauteur. Et depuis ce moment, les êtres humains, séparés et errants, redevenus « unitaires » et désirants, doivent se chercher pour s’accoupler.

Solitude choisie, solitude subie

 Ainsi, indépendants par nature, ils sont dépendants par nécessité.

Cette séparation – inventée par le mythe et effective dans la réalité, par coupure du cordon ombilical reliant l’enfant à sa mère, – instaure deux nouveaux états qu’implique l’indépendance : la solitude et l’isolement. La première, peut être perçue comme une émotion très pénible engendrée par l’absence de contact social. La seconde, vécue comme un retrait du monde, est le résultat de la première, se manifestant par le constat d’absences relationnelles.

Deux situations interviennent alors pour les Hommes individualisés : la solitude choisie et la solitude subie. L’une peut être volontaire donc bénéfique, l’autre imposée, donc douloureuse.

La solitude choisie permet de retrouver le calme, la sérénité, de se ressourcer. Les personnalités extraverties ont besoin de contact, de partage, les personnalités introverties souhaitent cette solitude. Elle leur permet, dans l’apaisement, le confort moral, la réflexion. Et aussi, une disponibilité à la créativité, à l’écoute de l’autre. Ceux et celles, pris par un travail exigeant ou entourés d’enfants joyeux et turbulents sont heureux de ce temps personnel régulièrement retrouvé ! Il est d’autant plus bénéfique que provisoire.

La solitude subie, notamment par les personnalités introverties, peut engendrer la tristesse, l’anxiété, l’infériorisation, une perte de l’estime de soi, avec des idées noires. Elles se sentent alors socialement écartées, rejetées, ignorées. C’est parfois le cas des personnes âgées, sans famille ou amis, que personne ne vient voir, isolées dans leur appartement ou maison de retraite. La perspective d’une mort prochaine ne peut alors se traduire qu’en anxiété et dépression. Jeunes ou vieux, nous avons tous et toutes besoin de la présence et du regard de l’autre.

Certes, il ne faut pas confondre « vie de solitude » et « vie solitaire ». Nombre de personnes acceptent très bien une situation « d’esseulement » d’autant qu’elles la souhaitent. Disposant d’un logement, d’un revenu corrects et de possibilités de locomotion, elles ont ou non des contacts sociaux selon leurs désirs et les moments de leur existence. On peut presque parler ici du « privilège » d’avoir une compagnie à la demande, composée de parents, d’amis, de relations intimes ou de membres de mouvements associatifs.

Le cœur sur la main

Il est intéressant de noter qu’il y a quelque 16 millions de bénévoles en France et 1,5 million d’associations de toutes sortes (employant près de 1800000 de salariés). Parmi elles, la Croix Rouge Internationale, l’Armée du Salut, les Restos du cœur, l’Association contre les myopathies (organisatrice du Téléthon annuel), le Secours populaire et le Secours Catholique, les Clubs-service (Rotary-club, Lions Club, Kiwanis, etc) sont les plus importantes. Par ailleurs, il y aurait quelque 3000 loges maçonniques et 175000 francs-maçons, répartis en Obédiences et « sociétés de pensées » indépendantes sur le territoire. Ces chiffres sont fluctuants et ne sont donnés ici qu’à titre indicatif sans prétendre à un comptage rigoureux. Mais ils donnent une idée de l’importance du « don de soi » en France.

Leur examen montre en effet la « place sociale » considérable du bénévolat. Il apporte, par les bons soins de ses pratiquants, une réponse à qui, notamment, souffre de solitude. Il n’est pas donné à tout le monde de ressentir le souci des démunis de toutes sortes et de se déplacer pour « aller sur le terrain », apporter du réconfort et rendre service. Ce qui s’appelle « avoir le cœur sur le main » !

L’adhésion à ces associations caritatives sollicite donc bonne volonté, générosité, temps, compétences particulières et sens de l’autre. Il n’en est pas tout à fait de même en franc-maçonnerie. Les deux peuvent occuper le temps libre de chacune, de chacun mais pas avec le même objet. Matérialité pour l’une, spiritualité pour l’autre.

L’association caritative demande donc de se tourner vers autrui en difficulté, la franc-maçonnerie, elle, suggère de porter d’abord sa réflexion et son regard vers soi. Non par égoïsme ou égocentrisme, mais dans le but d’un épanouissement personnel. « Bien penser pour mieux vivre », pourrait être son juste slogan. Certes, il est clair, en termes d’énergie, qu’on ne peut remplir le réservoir de son prochain avec le sien à moitié vide.

Sans être un lieu de psychothérapie – nous le savons – la franc-maçonnerie propose à qui vient frapper à la porte de son Temple, l’apprentissage et la pratique d’une « spiritualité laïque » (à différencier de la spiritualité religieuse, tout respect gardé pour elle, mais à exercer dans des lieux de culte). Il s’agit, avec l’usage de la raison, et aux moyens des instruments du symbolisme (mythes et légendes méditerranéennes, outils de la construction monumentale et leur représentation autour de la pierre, différenciation du profane et du sacré, etc.) entouré de frères et de sœurs de rencontre – d’y trouver par le raisonnement, des « aides à vivre »

Naître de soi

Dans une société où, il faut bien le dire, le progrès matériel, sans cesse plus performant, ne favorise pas pour autant le progrès moral. Et, partant, la « vie de l’esprit » ! En cela, la franc-maçonnerie, pratiquée en loge et en groupe, – en soi une philosophie qui apprend à raisonner sans chercher à avoir raison – relèverait davantage de la « socianalyse » (et non de la psychanalyse). On n’est jamais assez précis !

Le symbolisme maçonnique ne se contente pas de « représenter une chose par une autre. En cela, il ne convient pas à tout le monde. Il demanderait pour l’approcher un minimum de précautions qui, curieusement, n’est pas pratiquée. Lorsque trois personnes différentes vous soumettent successivement à un interrogatoire détaillé, lorsqu’on vous aveugle une bonne demie heure (épreuve du bandeau) pour le prolonger par d’autres questions qui touchent parfois à l’intime, lorsqu’on vous impose les épreuves physiques de l’initiation, sans « précautions » particulières ni consignes, il s’agit bien d’une forme de bizutage.

Pratiqué en d’autres lieux (internats divers, grandes écoles, institutions militaires) il est désormais mieux supervisé et règlementé par des « anciens » se souvenant de leur propre bizutage. Pas en maçonnerie, où il serait souhaitable, qui sait, qu’un tel contrôle ait lieu par des frères ou sœurs compétents ! Ces propos peuvent faire sourire, mais rapportés par divers témoignages, ils peuvent aussi faire prendre conscience qu’il s’agit de « violences », si légères ou symboliques soient-elles, à même de perturber les candidats (tes).

Ces éléments de « choc initiatique » qui, en quelque sorte, constituent le « ticket d’entrée en maçonnerie », relèvent de la Tradition. A ce titre et avec ce mot majusculé, quasi-magique et passe-partout, l’épreuve du bandeau particulièrement, veut signifier (un moment) le « renforcement », en bien ou en mal, des autres sens (écouter ou pas les paroles d’autrui et les bruits du monde). Priver quelqu’un d’un sens, en l’occurrence pour surtout générer une peur, est-ce encore utile au 21e siècle ?

Manifestement, cette épreuve renvoie à l’enfance, plus haut évoquée. L’épreuve du bandeau a beau exprimer un certain folklore – qui amuse surtout les spectateurs mais pas le candidat – en voulant aussi exprimer les « douleurs » symboliques de la naissance « par soi-même » renvoie à un « moment de solitude » et inconsciemment au couple primordial précité, formé avec la génitrice.

Dans le secret de l’âme

 La franc-maçonnerie serait-elle alors déconseillée aux « âmes sensibles ? Aux hommes et femmes privilégiant la douceur (cette vertu souvent oubliée aujourd’hui !) aux réfractaires à toute violence, mode de vie en extension, fussent-elles symboliques ? Et à la parole apaisante préférée aux grandiloquences verbales ?

 Les rituels maçonniques du 21ème siècle ne sont plus les mêmes que ceux du 18ème siècle. Les traditions ne sont pas immuables, elles accompagnent seulement une époque. En cela, elles sont faites pour être remplacées par d’autres, au fil de l’évolution culturelle. Même les étoiles meurent, d’autres s’allument.

En attendant, les épreuves initiatiques nous le montrent : « L’initiable » est invité à un parcours « individuel », parmi ses frères et sœurs, de sa demande d’admission à une loge maçonnique à son initiation. Puis son cheminement solitaire se poursuit au fil des degrés du rite : Apprenti, Compagnon, Maître. Et au-delà, si l’initié désire prolonger sa progression dans les Hauts Grades.

Certes, pour atteindre chaque étape, il voyage donc avec ses compagnons de route. Il est accompagné, par ses « jumeaux » en termes de degrés mais comme lors de son initiation première, ses impressions, son ressenti, en un mot, son vécu, sont évidemment intimes, car incommunicables. Il ne s’agit donc pas d’un « travail d’équipe », mais bien d’un trajet solitaire, et si l’on peut dire, en l’occurrence, « découpé en tranches » ! A l’évidence, maçonner n’est pas facile !

L’émotion (production physique, et le sentiment (élaboration mentale) ne se partagent pas : ils se vivent dans le secret de l’âme de chacune, de chacun. C’est en ce sens, que l’initié (e) peut éprouver cet état de solitude précité. Notamment chez ceux et celles qui aiment verbaliser, commenter et partager un vécu ! Le silence initiatique, autrement dit la « retenue verbale » sont à même de devenir une frustration pour certains et certaines ! D’où « les impressions d’initiation » qui sont demandées aux nouveaux initiés, lors d’un court exposé oral, – tel un « sas » de décompression – dans certains rites, à la tenue suivante.

Les cinq mots sacrés

Merci - Thank you - Gratitude
Merci – Thank you – Gratitude

 Le déroulement des rites maçonniques ne provoque évidemment pas les mêmes « réactions psychiques » chez les initiés (es) selon leur caractères et motivations. Entre autres exemples, qui vient en maçonnerie pour trouver et exercer une spiritualité laïque, qui, en manque d’affection, qui, pour y rencontrer des gens de diverses cultures et professions, qui, ne nous le cachons pas, en demande de clients ou de fournisseurs, qui pour tromper une solitude pesante dans la vie profane. La division des sièges de la loge en secteurs Apprentis, Compagnons, Maîtres et le silence imposé pendant l’office ne permettent pas les échanges durant la tenue.

Ceux-ci ne peuvent donc vraiment avoir lieu qu’au moment des Agapes, pendant ce temps précieux du repas pris en commun, tous décors ôtés et donc dans l’égalité retrouvée. Défaut de la qualité de cette organisation : l’intercommunication n’est jamais complète à chaque tenue et il en faut plusieurs pour que tous les frères et sœurs se rencontrent. Voire, fassent « co-naissance ».

 Aller vers l’autre. La rencontre, quand elle ne dépend pas du hasard mais de la volonté, demande toujours un effort. Il y a ainsi des solitudes subies qui pourraient être évitées par un simple mot ! Bonjour, bonsoir, au revoir, pardon, merci : Vous l’avez remarqué, ces cinq vocables respectueux, véritables sésames d’ouverture à autrui – et en cela « sacrés » par définition – ont tendance à disparaître du vocabulaire relationnel. J’ai connu le temps où c’était à l’Apprenti d’aller embrasser chaque membre de la loge en arrivant ! La Covid étant passé par là, l’accolade et la poignée de mains sont pour leur part, moins de mise. Et, paradoxalement, d’autres signes physiques instinctifs viennent davantage maintenant établir le contact, tels le regard avec hochement de tête et le salut de la main. Ils nous rappellent que nous sommes des animaux sociaux. Et notre devoir d’attention à l’autre ! Les yeux ont ce pouvoir, en croisant deux autres, d’effacer la distance. Et la solitude !

La chaîne d’union

La division physique de la loge en « classes » d’Apprentis, Compagnons et Maîtres, la « sortie » des deux premières lorsque les travaux de la dernière ne doivent pas leur être révélés, les initiations qui imposent les mêmes contraintes, autant de « segmentations » qui nous montrent, de l’intérieur, la franc-maçonnerie en fonctionnement. Autant de particularités, de mouvements, qui permettent de constater que la loge « dite d’Apprenti » est en état constant « d’incomplétude ». Elle n’atteint la symbiose parfaite qu’au moment de la chaîne d’union par les mains jointes de tous ses membres, tous degrés confondus.

C’est la phase terminale de la tenue et évidemment attendue par qui a un besoin constant d’être aimé, de se sentir exister. C’est cette chaîne d’union qui justifie l’appellation de « lieu d’amour » à tous les membres réunis, et notamment en demande continue d’affection pour combler le vide d’un manque originel (discorde ou divorce des parents, enfants orphelins, éloignements familiaux par la guerre, etc).

A chacun, chacune, sa névrose constitutionnelle. Sans que la loge soit un lieu de soins, nous l’avons dit, elle peut être parfois comme toute association, le « refuge » de quelques-uns, de quelques-unes, qui ne supportent pas d’être seuls et souffrent en silence d’un « syndrome d’abandon », du fait des traumatismes précités. Nous connaissons ces personnes qui, « en mésestime, en désamour de soi » ont besoin « d’attachement » permanent et en même temps, par un orgueil culpabilisant, ont du mal à accepter l’aide fraternelle. Elle est pourtant préférable à alcool ou la boulimie. L’abandonnisme est pétri de réalités, de vérités, mais aussi de constructions et contradictions façonnées par le temps, d’où les souffrances qu’il peut aussi engendrer ! Toute frustration peut réveiller la blessure initiale.

Il fait ainsi partie de notre fraternité d’aider ce frère ou cette sœur, à accepter cette solitude, qui passe, mais oui, par l’humilité. Etre seul (seule) a aussi des avantages, nous l’avons vu, entre autres, en termes de « bénéfices secondaires » (se donner des satisfactions), de ressourcement. Ce n’est pas la fin du monde et ce peut être, au contraire, un premier matin du monde !

Au fil de ce que la franc-maçonnerie nous permet en termes de découvertes relationnelles, au fil de ses contraintes certes, mais aussi des renaissances et partages qu’elle nous offre : La rencontre d’une nouvelle philosophie de vie !

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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