mar 03 décembre 2024 - 18:12

MARIH et l’aludel : un conte alchimique au 3ème degré maçonnique.

Si la femme blanche est donnée en mariage à l’époux rouge tous deux bientôt s’embrassent et s’accouplent.

Ils se dissolvent eux-mêmes et s’accomplissent aussi eux-mêmes.Elle était là, maintenant, sous le drap noir. Dans cette obscurité qui l’habillait complètement, sa pensée demeurait comme une lueur. Ici nulle propension pour la suavité d’un étrange nihilisme romantique, mais l’attente, le recueillement devant ce dés-arrangement d’avec les forces de la vie. Non pas simple délétion, mais comme l’obligation d’aller à la rencontre de ce qui tient toute la vie en l’état. Murmures intérieurs vers l’évènement le plus silencieux. C’est la rencontre pour l’être humain de ces instants intimes, comme une fluidité qui fait retour sans égard pour la durée, l’implosion dans un temps vrai, la mort comme grande affirmatrice de la vie.

Tu es le dernier Maître exalté, ma Sœur, alors tu feras le mort. Le très Respectable Maître l’avait désignée ainsi pour être cet acteur du psychodrame prévu à cette tenue d’élévation de son bien-aimé Frère Christophe, son compagnon d’enfance qui l’avait rejointe en Franc-maçonnerie quelques mois après sa propre naissance initiatique.

Elle avait été installée, couchée à terre, la tête vers l’occident, elle avait machinalement replié sa jambe droite comme il convenait. Elle savait qu’au-delà de la ligne noire qui l’enveloppait il y avait une mise en scène. Un bijou à ses pieds, un linge souillé de sang par-dessus le suaire crépusculaire.

– C’est plus grand qu’un bandeau, ironisa-t-elle en elle-même. Le voile, sur elle, ne l’empêchait pas de voir cette fois-ci, car elle savait. Elle n’était pas séparée des autres, mais bien avec eux, participant, depuis sa place, du même rituel, de la même dramaturgie, seulement dans un rôle différent. Ni sur les colonnes, ni à l’Orient, ni entre les colonnes, ni sur le parvis. L’évidence de son expression corporelle la mettait hors du mouvement de la vie, elle était là, sans personnalité à montrer, sans qu’on tienne compte de son absence. Elle était au centre, mais elle avait disparu et tout continuait sans elle, sans attente d’elle sinon qu’elle soit morte. MARIH était avec la mort, pas seulement celle de son ego, elle était l’assassiné.

Jésus dit : “Qu’on me montre cette pierre que ceux qui construisent ont rejetée ! C’est la pierre d’angle !” (Logion70)

– Tiens, je ressemble à un pendu tiré d’une carte de tarot. Je suis pendue par un pied, sans être vraiment attachée, suppliciée comme un chrétien primitif.

Un frisson d’empathie lui déchira les entrailles à la pensée de toutes les tortures infligées depuis le commencement de l’histoire humaine.

– Je suis le-pendu, murmura-t-elle, comme en s’adressant à l’obscurité et en écho elle entendit pendu-le et elle sourit à son attitude, son inversion spatiale lui permettait de mieux faire circuler les énergies, un monde à l’envers, où ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et alors elle se vit, non plus dansant au bout d’une corde, mais dansant sur un pied, entre deux arbres bourgeonnants. Le gibet était devenu J.B., ses chères colonnes, celles qui ouvrent  le passage, les pas-sages qui mènent à la lumière du Delta.

L’idée de son renversement par rapport à la loge lui rappela l’exergue, gravé sur bois, en image circulaire, qui accompagne le traité de Basile Valentin où elle avait retrouvé l’origine du mot vitriol du cabinet de réflexion. Basile Valentin écrivait ainsi : «Fais que ce qui est dessus soit dessous, que le visible soit invisible, le corporel incorporel, et fait derechef que ce qui est dessous soit dessus, l’invisible rendu visible, et l’incorporel corporel, et de cela dépend entièrement toute la perfection de l’art, où néanmoins habitent la mort et la vie, la génération et la corruption». En haut de la figure paradigmatique à laquelle elle pensait, il y a le signe alchimique de l’accomplissement du Grand Œuvre, renversement de l’idéogramme du soufre, comme un pendu, placé sous le Graal qui reçoit, ensemble, les fluides du soleil et de la lune. Le soleil et la lune ont pris comme couche hiérogamique le calice du Graal ce qui lui fit penser comme Carl Gustav Jung : Le Rouge et le Blanc sont, alors, Roi et Reine et peuvent célébrer leurs noces chimiques.

Sa pensée vagabonde l’avait retirée de la cérémonie qui se poursuivait sans elle.

– J. rouge, B. blanc, moi noire ! «Moi, noire, harmonieuse, fille de Iéroushalaïm comme une tente de Qédar, comme une tenture de Shelomon. Ne me voyez pas, moi la noirâtre : oui, le soleil en moi s’est miré». Ainsi s’exprime la sulamite du Cantique des Cantiques. Je suis donc cette terre noire, terre fertile dont je dois extraire la fécondité cachée et l’esprit qui s’y trouve inclus. Je suis l’Al-Kemiya, la terre d’Égypte. Le cabinet chtonien des réflexions, l’épreuve du bandeau, la cérémonie d’initiation, cet accouchement  issu des ténèbres lui avaient déjà dit tout cela. L’œuvre au noir avait ainsi commencé. Je suis la vierge noire des commencements. La Vierge Noire est  «la Lumière d’avant la séparation de la lumière et des ténèbres», le monde de «la substance universelle ténébreuse». Cette Ténèbre, c’est celle que nos mystiques désignent comme Nuit de lumière, Noir lumineux, Lumière noire. Elle est «la Lumière du non-manifesté». «J’étais avant qu’il formât aucune créature. J’étais de toute éternité avant que la terre ne fut créée» et encore «J’étais avec lui et je réglais toutes choses». Dans ce texte il s’agit bien de l’essence des choses. Eh bien, ce texte est une épître qui est lue à la messe de l’Immaculée Conception. Ce que l’on peut dire avec Fulcanelli, c’est que les litanies nous apprennent que la Vierge est le vase qui contient l’esprit des choses, le «Vas Spirituale». Marie, Vierge et Mère, représente donc la forme, elle est Binah de l’arbre des séphiroth. Elle est indiscutablement la matrice primitive, elle est la materia prima, elle est au commencement du Grand Œuvre.

Et l’on sait que c’est en retournant dans le sein maternel qui les avait jadis formés que les métaux vulgaires se changent en métaux philosophiques, on dit qu’ils sont réincrudés, c’est-à-dire remis dans un état voisin de leur état de perfection originelle ; ils sont devenus vivants ou philosophiques. N’est-ce pas là aussi un sens de notre passage par le cabinet de réflexion où, à l’issue d’un plongeon cosmogénétique, l’impétrant renaîtra fils de la Vierge, vivant et transmué ? On pourrait dire adoubé.

Pour les Celtes, la terre est la mère nourricière, féminine donc et enfantant les humains. Ils rendent dans leur culte hommage à la femme, en la déesse Bélisama, qui dans le panthéon celte, était la sœur de Belen, le grand dieu des Gaules et la personnification du Soleil, ce que la religion du crucifié récupéra avec la vierge Marie.

À Chartres, bien longtemps avant la naissance du Christ, les Celtes honoraient «une vierge qui doit enfanter», qui deviendra une vierge noire avec les chrétiens. Le cube de Matière Noire est alors destiné à représenter symboliquement notre Mater noire, Mère Vierge en parthénogenèse, puisque pleine de potentiel de vie, phalliquement dressée, et organisant l’incubation humaine afin qu’il se fasse dieu. Autrefois, les Vierges noires étaient souvent représentées accompagnées de symboles phalliques. Les premières auraient d’ailleurs dérivé des … menhirs, qui eux aussi sont de la pierre, c’est-à-dire de la terre qui insémine la Terre.

La condition primordiale essentielle de tout travail de génération est l’absence de lumière solaire. Fécondation et génération ne s’opèrent que dans une obscurité complète. La vie commence dans les profondeurs du noir pour tous les règnes vivants, même pour les gemmes qui deviendront éclat de lumière. C’est à partir du noir que se font les commencements. La première marche sur laquelle le compagnon monte lors de son augmentation de salaire au rite de Salomon est, évidemment, noire. Pour atteindre la lumière sur la cinquième marche blanche il faut passer depuis la terre noire par l’air bleu, l’eau verte et le feu rouge et, sur chaque marche à gravir, un vase contenant les 5 aspects de la transmutation du grain de blé en germe, en tige, en épi et à nouveau en grain, attestent le cycle de l’initiation : mort et résurrection.Que les corps soient mis en putréfaction et deviennent terre noire, et quand vous verrez cette matière devenue noire, réjouissez-vous car c’est le commencement des opérations. Et la putréfaction est nécessaire.

Le temple à couvert, bien fermé, c’est l’aludel luté où peut commencer l’œuvre au noir, dispersion et dissolution de l’être dans la renaissance initiatique. Comme une invite à l’alchimie, le rouge et le blanc des deux colonnes forment un système duel et attestent qu’une tenue c’est l’opération au cours de laquelle, du creuset-loge doit naître l’or pur réalisé par l’union du soufre et du mercure. Et le franc-maçon parvient à l’œuvre au blanc quand scintille la surface verdâtre de la materia prima en fusion, quand l’étoile flamboie dans la pâte originelle, quand il passe de la pierre brute à la lumière, de la vierge à l’étoile.

Quelle idée me donnerez-vous de la nature ? demande-t-on dans les instructions pour le grade d’Adepte ou apprenti Philosophe sublime et inconnu. Il est fait réponse : elle n’est point visible, quoiqu’elle agisse visiblement, car ce n’est qu’un esprit volatil qui fait son office dans les corps et qui est animé par l’esprit universel. Nous le connaissons en Maçonnerie vulgaire, sous le respectable emblème de l’Étoile flamboyante.

Comme le Dragon, qui naît dans la noirceur, est nourri de son Mercure, se tue lui-même et est enseveli, de même, l’eau devient blanche. Voici l’eau entièrement nettoyée de sa noirceur et ayant la couleur du lait, et plusieurs couleurs apparaissent durant la noirceur.

Le noir, le blanc et le rouge sont les trois couleurs cardinales de l’œuvre. Il y en a d’autres, et notamment la couleur jaune-orangée qui annonce symboliquement l’aurore. Les trois couleurs n’existent probablement pas «physiquement». Selon Tollius et Fulcanelli, c’est par l’esprit qu’il faut et les percevoir et les comprendre.

Sous le voile-tertre, MARIH se souvint de ce frémissement qu’elle avait eu en lisant Fulcanelli et ce ne fut pas une hémérèse, l’action d’un jour. Bien que l’enseignement de la loge soit acroamatique (c’est-à-dire une méthode qui procède  par questions), elle avait eu besoin des livres, de l’étude solitaire de textes qui l’avaient traversée. Elle avait fait corps avec les paroles trouvées sur son chemin, imprimées comme des cailloux blancs, dans les textes que le hasard, ou la nécessité, avait bien voulu offrir à son esprit, comme des semences. Avec eux elle avait eu ainsi d’autres Maîtres que ceux de son atelier et qui lui avaient, en plus, ouvert d’autres voies de son être.

«Voici que devant ta face, j’envoie un ange qui préparera ta voie devant toi.»

Ce furent des danses pour l’esprit, des plaisirs de se comprendre au monde, à l’Existence, de trouver un passage à travers les mots de ses Maîtres qui lui firent reculer l’inconnu et jetèrent une lumière sur elle. La clef des nombres, tout particulièrement, celle qu’elle trouva dans la «quête de la parole perdue» de José Bonifacio lui avait révélé sa propre compréhension de l’Unité dans sa manifestation et elle avait pu l’approcher avec le langage mystique des mathématiques et de la géométrie. Elle était entrée dans l’univers de Pythagore en comprenant les rapports du temps et de l’espace, des noms de Dieu et de leur manifestation dans les nombres Π et Φ, les lettres et les formes contenues dans l’unité du cercle qui se déduisent du 1 et du 2, l’équivalence des énergies vibratoires des sons et des couleurs. Elle y avait trouvé un sens au mot transcendance, mais c’est dans le silence qu’elle s’était rapprochée du mot suprême. Il suffit parfois d’une explication pour que s’éclaire tout ce qui avait été enfoui au préalable en attente de cette parole lumineuse révélatrice. La pensée est un fluide qui se répand, forme et transforme.

Que disaient-ils déjà ces adeptes qui savaient ? Tu pourras te rendre invisible, évoquer les morts et franchir instantanément toutes les distances, promesse d’une anagogie, de l’élévation de l’âme jusqu’aux choses célestes ! Mais son corps se rappela à elle. Elle avait soif, car l’air était devenu chaud sous le drap. Mais elle avait surtout une soif spirituelle. Si la quête est une démarche, c’est aussi mendier. Ne lui avait-on pas dit demande et l’on te donnera !

Jésus dit : “celui qui boira à ma bouche sera comme moi, quant à moi je deviendrai ce qu’il est et ce qui est caché sera révélé.” (Logion 112).

C’est en leur faisant boire un philtre d’amour que, comme les deux grands luminaires, les astres hermétiques qui sont frère et sœur s’uniront de manière charnelle. Que de légendes ont raconté cela sous l’allégorie des amours destinales des amants ayant partagé la coupe qui contenait le breuvage fatal. Ce filtre c’est le très précieux sel, tenu en solution dans les eaux supérieures. Ce médiateur, il est possible de l’extraire de la rosée que les philosophes désignent comme étant l’eau salée de leur mer et qui fut tant chantée : «On l’appelle la Rosée du ciel/ De laquelle la fleur des champs est arrosée/ Connue des sages par l’Amour / Et délicieuse de possession». Ou encore : «Le ciel est immense et revêt les campagnes de lumière pourprée où l’on a reconnu ses astres et son soleil».

Voilà bien ici, soulignée toute l’importance des célestes vertus de la Rose de Mai pensa Marih. La collecte de l’inestimable rosée a lieu traditionnellement en lune croissante de printemps, au moment où le soleil traverse les signes zodiacaux du bélier, du taureau et des gémeaux, tel que l’indique clairement le Mutus Liber (le livre sans parole, dans lequel est toutefois présenté en figures hiéroglyphiques la totalité de la philosophie hermétique). Le Bélier est l’Hermès criophore (qui porte un bélier), qui est le même que Jupiter ou Ammon. Le Taureau, dont les cornes dessinent le croissant, attribut de Diane et d’Isis, s’identifiant avec la vache, l’amante de Jupiter, est la Lune des philosophes. Ces deux animaux personnifient les deux natures de la Pierre. Sous les symboles du Bélier et du Taureau sont donc voilées les deux matières premières de l’œuvre. La lumière que la lune nous envoie n’est qu’un emprunt de celle du soleil à laquelle vient se mêler la lumière des autres astres. La lune est ainsi le réceptacle et la source de l’eau vive des philosophes. Et comme Virgile dans les Bucoliques, Marih pensa  à «La lune verseuse de rosée» ou encore à «l’exsudation des astres», selon le mot de Paracelse ; principalement de la lune et pour qui la rosée devint tout naturellement l’eau de la lune. Les sages savent que le sang minéral dont ils ont besoin pour animer le corps fixe et inerte de l’or, la rosée, ces menstrues ignées, n’est qu’une condensation de l’esprit universel, âme de toute chose et que cette condensation humide ne s’accomplit que la nuit à la faveur des ténèbres, du ciel pur et de l’air calme.

Un ciel noir était au-dessus d’elle. La paix était en elle. Et la voici soudain dans un autre aspect de son propre monde. La lumière vient progressivement, lentement puis, à force de progresser, elle monte de l’être qui reçoit la paix pour les épreuves infligées par sa vie limitée comme un inestimable salaire. La terra alchimique, chaotique, inerte et stérile ne contient-elle pas, néanmoins, le ciel philosophique ? La pierre cubique ne contient-elle pas la pierre cubique à pointe et son diamant ?[1] La pierre d’agate taillée en forme quadrangulaire ne contient-elle pas les mots secrets de l’Art Royal ? C’est dans le 7 que se proclamera leurs noces alchimiques, étoile illuminante que l’on retrouve en permanence, dans les allégories alchimiques, tracée dans l’heptagone qui éclaire d’harmonie le macrocosme. Et c’est à l’aide du feu secret que se séparent, dans le petit monde, les parties cristallines, lumineuses, ténébreuses et grossières.

Jésus dit : “J’ai jeté un feu sur l’univers et voici : je veille sur lui jusqu’à ce qu’il embrase” (Logion 10).

La cérémonie était avancée. Elle le comprit quand le Grand Expert enjamba son corps pour montrer la voie au futur Maître son ami d’enfance, alors elle revint en pensée vers Christophe, qui, à son tour, en suivant, devra traverser le 3, le 5 et le 7, les dimensions du sarcophage. Marih sentait sa présence juste au-dessus de sa tête.

Jésus dit : “Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du Royaume.” (Logion 86)

Christophe, faisait face, symboliquement, maintenant, à la coupe transversale d’un cercueil, figure de pentagone où loge l’étoile. Jusqu’au XVIIe siècle, à travers toute l’Europe, parmi toutes les ordalies (jugements de Dieu), on était persuadé que si l’on mettait le cadavre d’un homme assassiné près de son meurtrier supposé, le cadavre saignait si le suspect était véritablement coupable ; c’était «la voix du sang», l’accusation par la victime. Elle était sans crainte pour Christophe. Outre le fait qu’elle n’était que morte symboliquement, ce n’était que le moment où la troisième dimension allait lui être donnée, la chute et l’élévation pour lui permettre le relèvement.

Comme elle l’aimait ce Frère, de cette tendresse nourrie depuis la jeunesse, de ce qu’ils avaient partagé : leur vie. Il lui avait offert de merveilleuses épreuves en lui permettant de souvent sacrifier son ego à leur amitié. Les assassins sont parfois si beaux qu’ils font pâlir le jour. Elle savait que l’initié sacrifie pour rendre sacré. Que le sacrifice n’engendre pas forcément la souffrance, mais modifie un comportement, un sentiment ou une idée pour passer à un état de conscience conforme au sens de la vie. Maintenant, elle se sentait agrandie de ce à quoi elle avait renoncé, comme une terre agrandie par la lune, en s’étant séparée d’elle. Devenue Maître elle s’était sentie accompagnée d’une présence, un quelque chose qui l’obligeait à accepter les épreuves avec une énergie de paix et d’espérance. Ses ténèbres, ses orages, ses tourments, que la vie ne lui avait pas épargnés, étaient devenus des sources incessantes de deuils fertilisés sur les tombeaux de ses expériences.

«L’unité et l’infini sont les deux noms d’une seule et unique chose et la voie de l’absolu n’est pas une progression véritable mais une ascèse» (12ème méditation de Grillot de Givry).

Christophe était un autre lui-même, un autre «je», le Frère d’une nature différente de la sienne avec son humanité plus ou moins grande qui avait cheminé sur la même route qu’elle.

– Je le sens égal bien que différent, je sais que lui aussi ressent la même chose quand il m’embrasse par trois fois et me sourit. Lui, Christophe, mais aussi tous les Frères et Sœurs, comme je les aime. Comme j’ai aimé toutes ces musiques de la vie qui nous ont enveloppés de temps inexprimables se dit-elle. Comme j’aime ces chaînes d’union, où les mains qui reçoivent reversent par la main qui donne le fluide qui nous parcourt, où chacun devient lune et garde sur sa peau l’accumulation des traces d’amour laissées, tenue après tenue, comme une couche de sel vivifiant.

Dans l’attente qu’on la délivre, une pensée préoccupa MARIH. – Il faudra que je dise à Christophe une parole fondatrice quand je le féliciterai tout à l’heure, mais que la dire soit un verbe et non un bruit. Comment mettre un cerne sémantique en quelques mots pour dire la reconnaissance qui ne soit ni un bravo ni un merci. Il faut bien se résoudre ; bon je lui dirai : je t’aime pour ce que tu es, pas pour ce que je voudrais que tu sois. Je t’aime, non pour le manque que tu combles en moi, mais pour la lumière que tu me donnes en toi.

Jésus dit : “Si une lumière existe à l’intérieur d’une créature lumineuse, alors elle illumine l’univers tout entier ! Et si elle n’illumine point, elle n’est qu’une ténèbre.” (Logion 28).

– Voilà c’est cela je lui dirai simplement au-devant de tous : Tu nous illumines ! Jésus dit souvent : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende !

Au moment où Christophe enjamba le cadavre, elle se laissa glisser doucement et il lui sembla entrer dans une fontaine, senti sur elle une eau qui ne mouille pas et retrouva sur ses lèvres le goût du lait maternel. Elle eut une vision, celle de cette peinture d’une petite église du Tyrol où elle avait lu une inscription latine et dont elle se souvenait de la traduction : «Tandis que le sang s’écoule de la blessure bénie du Christ et que la Vierge sainte presse son sein virginal, le lait et le sang jaillissent, se mélangent et deviennent la fontaine de Vie et la source du Bien». épanadiplose du Rouge et du Blanc !

MARIH se rappela les paroles d’Alain Pozarnik : «Il faut disparaître entièrement au moment où la vérité nous illumine et être recréé à l’heure même de cette illumination.» Dans l’acceptation qu’elle avait de vivre l’inéluctable réalité, son âme rencontra l’amour et la sagesse, à moins que la sagesse ne soit que le résultat de l’amour. Il lui avait fallu beaucoup d’humilité pour renoncer à la force de son insubordination. Sous le drap-athanor, elle sentit quelque chose de plus intime, une lumière bienveillante en elle qui complétait sa nature zoologique. Depuis qu’elle avait vu l’étoile, elle connaissait l’axe androgynique de sa matérialité et de sa spiritualité.

Jésus dit : “Voici, moi, je l’attirerai pour que je la rende mâle afin qu’elle aussi devienne un esprit vivant pareil à vous les mâles ! Car toute femme qui sera faite mâle entrera dans le Royaume des  cieux.” (Logion 118).

Les saveurs des premières tenues qui avaient enflammé son âme étaient-elles seulement les marques de la découverte d’horizons mentaux nouveaux, l’excitation intellectuelle de limites repoussées ? Elle savait aujourd’hui que ce ne fut pas que cela. Il y eut des ouvertures, des clartés incommunicables, des méditations germinantes. Les curiosités intellectuelles devinrent un penchant naturel, une nécessité impérieuse de sentir l’axe de son être intérieur et sur cet axe, tout son être aspirait à être juste, c’est-à-dire à servir la conscience qu’elle avait du Bien.

Une main souleva alors le drap noir, elle entendit une note lumineuse qui lui sembla contenir toutes les vibrations de l’univers, un «concerto pour 4 consonnes sans voyelles». Pendant que Christophe s’approchait du maillet létal, le Maître des Cérémonies souleva le voile sombre pour qu’elle  laissât sa place à celui qui allait devenir Hiram.

Stupéfaction ! à l’endroit où MARIH avait été le gisant, il n’y avait plus qu’une petite flaque, une ombre humide, verdâtre mais scintillante, quelques lambeaux d’une étoffe qui avait été blanche, un pétale de mandragore, une plume de Simorgh et, là où avait été son cou, restait un collier d’adrézarach, chapelet de graines comme celui que l’on trouva sur les ossements d’Esméralda dans les caves de Montfaucon.

Au  moment où le Maître Christophe reçut le coup fatal, la douleur lui fit couler une larme de rosée qui glissa sur sa joue comme une perle de lumière.


[1] Voir l’article Les métamorphoses de la pierre du franc-maçon

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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