De notre confrère lasemaineduroussillon.com – Par BECKER Philippe
Voilà un an que Céline Sala-Pons, docteure en histoire, a pris la direction du Mémorial du Camp de Rivesaltes. Un poste qui poursuit un parcours conséquent dans l’enseignement et la recherche avec pour fil conducteur la question de l’enjeu mémoriel, celui qui épargne la répétition du passé.
Céline Sala-Pons : transmettre pour faire société
Céline Sala-Pons est une enfant du pays, née à Arles-sur-Tech avant d’entamer des études d’histoire à Perpignan. « J’aimais beaucoup le contact à l’archive ». Le souci des faits, le roman national la passionnent. « Le procès Papon m’a beaucoup interpellée ». Après une maîtrise en histoire moderne à Perpignan puis un DEA à Montpellier, Céline Sala-Pons bifurque vers l’enseignement en école primaire en passant le concours de professeur des écoles. Très vite, elle devient formatrice des futurs professeurs, à l’IUFM. « J’ai adoré la pédagogie. Pourquoi et comment apprendre ? Construire une société commence à travers ces futurs citoyens. »
« Très tôt à Perpignan on ouvre des loges et des cafés philo »
Les études supérieures la rattrapent néanmoins car Céline Sala-Pons préparera en même temps une thèse de doctorat en histoire moderne. Le tout à l’université de Nice car c’est là que se trouve le spécialiste de l’Europe des Lumières. Son sujet n’est pas ordinaire : la franc-maçonnerie en Roussillon. « Toutes les archives sur la maçonnerie sont à la BNF. Je vivais à Perpignan, la thèse était à Nice et j’allais à Paris pour mes recherches. Dans les documents d’archive on peut trouver une vérité. Il s’y trouve beaucoup de sens. » Elle soulève l’importance méconnue des francs-maçons au XVIIIe sur notre territoire. « Je voulais montrer que la frontière est virtuelle et je voulais savoir si au XVIIIe il y avait cet élan. On a toujours été record dans le nombre de francs-maçons, avec une offre plurielle, en marge du royaume de France. Très tôt à Perpignan on ouvre des loges et des cafés philo. Nous étions prêts à la Révolution car nous expérimentions la fraternité depuis déjà trente ou quarante ans. Le Maréchal de Mailly a contribué à entretenir des jeunes filles pour qu’elles puissent étudier, il a participé à la rénovation de l’université de Perpignan et y a fait construire la première bibliothèque ouverte aux non-étudiants. » Au fil de l’entretien, il s’avère que Céline Sala-Pons n’est pas seulement passionnée, mais aussi passionnante. On éprouve en l’écoutant l’envie d’explorer à son tour le monde archives pour creuser un passé local qu’on imaginait moins riche. Sa thèse ne fera pas moins de 1 200 pages, au point que l’éditeur n’en gardera que 800. Elle publiera par la suite plusieurs articles et ouvrages sur la franc-maçonnerie. Mais ses publications vont bien au-delà puisqu’elle multiplie également des livres sur le thème de l’éducation et notamment sur l’enseignement civique et moral à l’école, à destination des futurs professeurs. On pourra deviner les prémices de son poste actuel lorsqu’elle se rend à Jérusalem et Paris, en 2011 et 2012, pour suivre des formations sur l’enseignement de la Shoah et la question des enjeux mémoriels et des lieux d’histoire. « Je voulais construire une société commune à travers les futurs citoyens, puis les futurs enseignants. C’est ce qui m’a motivée à postuler pour diriger le mémorial, pour poursuivre cet engagement sous d’autres formes. » Céline Sala-Pons sera choisie parmi plus d’une trentaine de candidats. « Il faut ressouder le corps social. Les gens se sentent éloignés les uns des autres. Le Mémorial est un lieu où on peut installer du dialogue entre des groupes sociaux qu’on veut parfois opposer, alors qu’on oublie les questions sociales qui les traversent. »
« Installer du dialogue entre des groupes sociaux qu’on veut parfois opposer »
Céline Sala-Pons s’efforce d’avancer de nouvelles formes d’interactions pour élargir les publics, avec par exemple des cafés philo. « Grâce à Carole Delga nous avons la gratuité des trains Toulouse-Perpignan pour aller au Mémorial, et nous avons aussi sur la ville un contrat de navette depuis l’université de Perpignan. Je vois des publics différents qui ne venaient pas avant. D’un lieu fermé on peut faire un lieu ouvert et accessible, d’un lieu de mort on peut faire un lieu de vie. » La directrice tente d’amener à l’histoire par l’art, avec une programmation artistique et culturelle. « Je travaille 80 heures par semaine, c’est presque militant. » Elle travaille sur l’idée d’une salle d’interprétation pour la jeunesse, avec des médiateurs conteurs pour les enfants, afin qu’ils repartent avec une expérience. « Pap Ndiaye a demandé un plan ministériel pour que tout enfant passe par un lieu de mémoire avant 18 ans. Durant la visite on découvre que toutes les confessions ont souffert, puis il y a des ateliers pour accompagner les enfants, sur le racisme. Il y a un atelier “valise” où l’on découvre une valise de républicain, de harki, un sac à dos de migrant… On voit des enfants qui rechignent à venir puis qui à la sortie ont du mal à partir et sont en retard pour prendre le bus ! » Très vite, ses réflexes d’enseignante l’amènent à mettre en place une frise chronologique pour accompagner les visites. « Aujourd’hui on ne lit plus, les jeunes vont sur une information rapide et surtout ne vérifient pas leurs sources, on est sur de l’instantané. Même les futurs enseignants lisent peu. Aucun étudiant de Licence 1 n’emprunte de livre à la bibliothèque universitaire, on a été obligé de se fâcher. Par contre ils lisent sur Google… On a eu le XXe siècle des connaissances. Au XXIe, on doit apprendre à trier l’information. » Céline Sala-Pons tente de ramener du factuel face à la vague d’intox actuelle. « 67 % des Français croyaient au grand remplacement ! Il y a un enjeu fort d’éducation à la citoyenneté. Zemmour disait que le régime de Vichy protégeait les Juifs français… J’ai fait venir un historien qui a montré les suppliques de Juifs internés à Rivesaltes, qui écrivaient au Maréchal, avant d’être malgré tout déportés à Auschwitz. On a déporté des milliers de personnes sans que ce soit le fait d’un seul Allemand, juste le zèle de l’Etat français. L’histoire du camp ce sont des faits. 2 289 hommes, femmes et enfants juifs ont été déportés depuis Rivesaltes. »
« L’Etat regroupe sur les marges les indésirables »
Mais tout le travail de transmission est aussi de rappeler que, malgré certaines idées reçues encore tenaces, il y a eu bien plus qu’une seule communauté qui a été internée à Rivesaltes. « Plus de cent nationalités, des mémoires différentes se sont succédé. C’est la force de l’exposition actuelle, autour du mot “indésirable”. A Rivesaltes il y a eu des Nord-Vietnamiens, ce n’est pas du tout connu ! Le camp est né sur la frontière, ce n’est pas pour rien qu’il est là. L’Etat regroupe sur les marges les indésirables. Je pense qu’on n’est pas assez informé historiquement de ce qui s’est passé, le camp de Rivesaltes est un funeste catalyseur de destins, notre rôle est d’organiser la rencontre entre l’Histoire et le public. Quand on arrive on ne voit que le camp. Le Mémorial a une architecture qui s’efface, mais pour mieux s’imposer quand on est dedans. » Céline Sala-Pons assure vouloir prolonger ou parfaire la vocation de laboratoire du site, mais aussi à travailler hors les murs, avec par exemple des interventions durant la semaine de lutte contre les discriminations. « Il y a l’idée de diffuser sur le territoire, de devenir une interface. » Un difficile mais beau chemin qu’il s’agira de suivre dans les années à venir. Et si ce n’est pas déjà fait, il est plus que temps d’aller voir les expositions permanentes et temporaires du Mémorial !