L’identité sexuée a toujours été un objet problématique, aussi bien dans notre environnement maçonnique bipolaire que dans la réalité sociale ou que dans les discours mythiques ou encore et surtout religieux, imposant très vite la prévalence des hommes sur les femmes. Cherchons à illustrer cette domination du masculin sur le féminin en évoquant ce que nous appellerons les syndromes du mâle ; alors observons quelques-uns de ces symptômes à mots couverts.
Dans la Bible le marquage sexuel de la différence va de soi.
On naît garçon ou fille, le destin est scellé et la position sociale est déterminée. La Bible reflète la mentalité des Hébreux de l’Antiquité, où la domination masculine implique qu’une différenciation stricte entre les sexes fasse l’objet d’un souci constant et appliqué. C’est sur la base d’une identité sexuelle que se fondent le statut et la reconnaissance des êtres dans la communauté dont ils sont membres.
Lorsque les Hébreux voulurent se compter dans le désert, ils demandèrent que les hommes apportent un sicle d’argent (monnaie mésopotamienne, un sicle d’argent, 16,82 g, vaut le prix d’un porc ou de deux moutons) pour chaque homme et un demi -sicle pour chaque femme et chaque enfant. Les bases qui supporteront les quatre colonnes dorées délimitant le Saint des Saints du temple portatif, lors de l’exode dans le désert, furent fabriquées avec une partie de la masse du métal. C’était inscrire visiblement un rapport de moitié entre hommes et femmes, face à leur dieu.
Le corpus rabbinique élargit et aggrave la portée des règles concernant la distinction entre les sexes. Pour assurer constamment la domination masculine, les normes différenciatrices s’institutionnalisent. Ainsi le philosophe juif Flavius Josèphe, en 37, résume la conception traditionnelle qui s’imposait aux époux dans la législation rabbinique qui remonte à l’Antiquité. « La femme, dit la Loi, est inférieure à l’homme en toutes choses, aussi doit-elle obéir, non pour s’humilier, mais pour être dirigée, car c’est à l’homme que Dieu a donné la puissance. » C’est, d’ailleurs, aux seuls hommes qu’étaient adressées les 10 paroles des tables de Loi de Moïse.
Le Talmud va jusqu’à esquisser une théorie de la présence universelle du masculin et du féminin en toutes choses, ce qui tend à les ériger en puissances cosmogoniques. Cette différence perdure dans la sexualisation hiérarchique du ciel et la terre.
L’identité sexuelle détermine également une série de comportements, d’inclinations, d’attitudes physiques ou mentales et d’aptitudes rigoureusement répertoriées et distribuées différentiellement entre les sexes. Le destin des femmes appartient au père, puis au mari auprès duquel elle est juridiquement traitée comme sa fille, selon l’expression juridique loco filiae. C’est un schéma que l’on retrouve presque partout depuis la plus haute Antiquité jusqu’à nos jours.
Dans l’Antiquité le marquage sexuel de la différence va également de soi.
Le fait d’être une femme suppose un état d’infériorité, de dépendance, de soumission, qui revêt même parfois une signification infâmante. Dans les fragments retrouvés du Satiricon de Pétrone, on y lit : « les femmes sont des vautours ou des pots de chambre. L’amour qui dure est considéré comme un chancre, cancer en latin. »
À Athènes, par leur vote, les femmes choisissent l’olivier de la déesse Athéna plutôt que le cheval noir de guerre de Poséidon, faisant de la déesse la protectrice de la ville. Furieux, Poséidon submerge la ville et les hommes en punissent les femmes : elles n’auront plus le droit de vote, les enfants ne prendront plus le nom de leur mère et perdront le droit de citoyenneté.
Bien avant les quatre évangiles qui reprennent sa doctrine et ses enseignements, Paul, le véritable forgeron de l’église catholique, écrivait dans son épître aux Corinthiens : « Que les femmes se taisent dans les assemblées, il ne leur est pas permis de prendre la parole ». Pas étonnant parce qu’à cette époque, pour les romains, tout ce qui est actif, tout ce qui fait lever le fascinus, est hautement noble. Le mot phallus n’est jamais employé en latin.
Les Romains appelaient fascinus ce que les Grecs nommaient phallos. Du sexe masculin dressé, c’est-à-dire du fascinus, dérive le mot de fascination, c’est-à-dire la pétrification qui s’empare des animaux et des hommes devant une angoisse insoutenable. Les fascia désignent le bandeau qui entourait les seins des femmes. Les fascies sont les faisceaux de soldats qui précédaient les Triomphes des imperator. De là découle également le mot fascisme, qui traduit cette esthétique de la fascination.
Ainsi, à Rome, dans les rapports sexuels, tout ce qui est passif pour un homme peut être puni de mort. Le renoncement à la passivité fut la marque qui imposa sa loi au peuple dont le totem est la louve. À ce titre, l’homosexualité masculine, en tant que confusion des identités sexuelles qu’elle est censée entraîner, n’était pas condamnée à condition que le dominus, le maître, ne tienne pas le rôle de la femme sous peine de mort. Constantin II édictera en 342: “Lorsqu’un homme se comporte au lit à la manière d’une femme, «nous ordonnons que la loi se dresse, une épée à la main, et frappe l’infâme qui s’est rendu coupable d’un tel crime, et que cet homme soit soumis à un châtiment atroce et raffiné“. Quant à laisser apparaître ses sentiments amoureux, cela peut conduire à la relégation sur une île, à partir d’Auguste (vers -18), à la mort sous l’empereur Constantin le Grand. Ainsi, Pompée, en tombant amoureux de sa femme Julia (la fille de César) devint un sujet de moqueries et cet amour déclaré fut une des raisons qui lui fit perdre le pouvoir. (Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi, Gallimard, 1994. Faites vous une délectation intellectuelle en le lisant)
La distinction des sexes dans les différents récits du péché originel
À l’extrême horizon de l’Histoire, apparaît une île des commencements de la pensée, la Mésopotamie avec Sumer, Babylone et Ninive. C’est à cette source que l’Israël de la Bible et la Grèce antique se sont alimentées pour tenter, chacune à leur manière, d’explorer la civilisation et la conscience humaine. De là va surgir un personnage incarnant l’opprobre jetée sur la femme par ces civilisations et dont l’histoire mythique va recouvrir les aspects énoncés du féminin : Lilith. (לִּילִית). S’intéresser à l’existence oubliée de Lilith c’est tenter de comprendre le schème de la reproduction et de la distinction des sexes dans les différents récits du péché originel. Quant à ses dérivés mythologiques, dont l’origine supposée serait suméro-babylonienne, ils ne sont pas sans rapport, aussi, avec le thème de la consommation du sang ; consommation à l’origine des nombreuses prohibitions alimentaires et interdits sexuels que la chrétienté occidentale édictera durant de nombreux siècles.
Lilith : il s’agit peut-être du plus ancien mythe féminin, il a au moins quatre mille ans.
Probablement à l’origine ce fut un démon femelle sumérien (Lilitû) qui signifie «démon femelle» ou «esprit du vent». C’est une vierge inassouvie, ravisseuse nocturne, qui attaque les hommes mariés et leur foyer. Lilith apparaît sous la forme de «Lilake» dans des tablettes sumériennes d’Ur de 2000 ans avant notre ère, dont la fameuse tablette de l’épopée de Gilgamesh. Lilith est présente, bien sûr, dans les écrits rabbiniques, dans le Talmud de Babylone (commentaires du Texte, VIe s.), dans le Zohar (exégèse cabalistique de la Bible). Dans différentes versions de la Bible (Bible TOB, Bible de Jérusalem, Bible Darby et celle d’André Chouraqui) elle est apparaît sous le terme utilisé pour désigner un «être nocturne».
L’étymologie hébraïque populaire fait dériver Lilith du mot «layil», la nuit. C’est pourquoi elle apparaît souvent sous les traits d’un monstre de la nuit. Le nom même de Lilith représenterait les ténèbres, l’obscurité ; Leila ou Lavlah c’est la nuit, en conséquence le noir, pareillement à ces nombreuses Vierges Noires, parentes de Lilith, telles Isis, Kali, Sarah la noire, Marie l’Égyptienne, dont les lieux de cultes étaient souvent établis sur l’emplacement d’anciens sites initiatiques. Nous retrouvons là le lien qui unit les anciennes déesses de vie, de mort, de fécondité aux forces telluriques, bien antérieures au christianisme.
Selon les diverses sources disponibles, Lilith serait la première femme d’Adam, précédant Ève et créée à partir de la même terre qu’Adam au sixième jour de la Création. Dans l’esprit du judaïsme, c’est Lilith qui fut d’abord donnée à Adam pour combler sa solitude. Différents recueils de Midrashim la présentent comme fabriquée d’immondices et de boue, d’autres la proposent comme tirée du limon de la terre. Ces deux visions de la création présentent invariablement la Femme comme créée indépendamment d’Adam et donc comme nullement tirée de la chair de cet homme primordial. Adam n’aurait, ainsi, nullement «enfanté «la première Ève. Mais Lilith et Adam ne s’entendirent sur les manières de faire l’amour ni même sur le partage des plaisirs liés aux pratiques sexuelles. Lilith refusa de servir Adam comme Dieu l’avait destinée à le faire. Les textes nous disent qu’Adam voulait que Lilith soit placée sous lui durant l’acte d’amour mais un jour celle-ci refusa : «pourquoi devrai-je être sous toi ?» demanda-t-elle, «j’ai été créée de la même poussière, et suis par conséquent ton égale». Adam essaya de la soumettre avec violence et Lilith, en rage, prononça le Nom magique de Dieu et s’échappa.
Lilith s’offusquait-elle de toujours devoir être «sous» et soumise à Adam lors de leurs rapports érotiques. Le fait que, suivant certaines versions, Lilith ait été tirée d’immondices et non de terre frappait d’illégitimité sa querelle concernant la préséance des sexes. Son combat était perdu ! Lilith fut expulsée du paradis vers la Géhenne, et trouva échange équitable avec Sammaël, figure de Satan. Pourtant, Dieu envoya trois anges à sa recherche, pour lui proposer un marché : si elle refusait de revenir au jardin d’Éden et de se soumettre à Adam, chaque jour que Dieu ferait, un des «enfants-démons» né de sa liaison avec Sammaël mourrait. Lilith resta dans la Mer Rouge (réputée être le lieu des démons) et sacrifia ses nouveaux- nés. Mais par vengeance elle se voua au meurtre des enfants sitôt après leur mise au monde, si ce n’est dans le ventre de leur mère.
Je vous suggère de compléter cette approche par la lecture du texte de Spartakus Freemann Lilith au sein du-mysticisme juif.
Lilith est venue des temps où la place de la femme était bien différente, où la femme était vénérée pour sa capacité à donner la vie. Mais aussi d’un temps où le pouvoir de l’homme n’avait pas encore opprimé la liberté de son égale, la femme. C’est Lilith qui se présenterait déguisée devant le trône de Salomon au cours du fameux jugement ou encore, selon la légende, Salomon a même suspecté la Reine de Sabah d’être Lilith sur le fait qu’elle avait des jambes poilues. Comme on peut le comprendre, la Genèse n’est pas claire quant à la création de la première femme. C’est cette ambigüité qui a donné corps à la présomption de création d’une première femme antérieure à Ève. On peut supposer que l’origine provient d’une influence du culte de la déesse cananéenne Anat, culte féminin qui autorisait les femmes à avoir des rapports sexuels avant le mariage. Lilith est souvent représentée sous la forme d’une dévoreuse d’hommes. On lui prête une sulfureuse réputation, tentatrice absolue à la sexualité débridée, dévoreuse de nouveaux nés, castratrice…
Mais au fond qui est-elle ? Au travers de l’image misogyne habituelle, on découvre en fait une femme libre, indépendante, refusant l’ordre établi par les hommes et par Dieu, une révélatrice de nos pulsions les plus enfouies. Elle est celle qui ose renverser l’ordre des choses illustré par l’épisode de la dispute conjugale quant à la place à prendre durant l’amour et le fait qu’elle prononce le nom de Dieu imprononçable, et cela est bien plus significatif qu’il n’y paraît. Elle refuse toute morale imposée en choisissant une liberté alimentée par son caractère de femme non mère, sans responsabilité familiale. Ainsi, elle n’hésite pas à encourir le courroux de Dieu dans son refus de la soumission. Dans ce rôle de femme anti-maternelle, elle fait peur aux hommes qui la désirent toutefois secrètement. Lilith a été rejetée, niée, démonisée afin d’exorciser cette attraction-répulsion qu’éprouve l’homme à son encontre. On l’a associée à la Lune Noire, l’anti-Lune afin de lui faire remplir le rôle de la femme à exiler, à détruire et on retrouve cette négation de la féminité libre jusque dans les bûchers consumant les sorcières en Europe et aux Amériques aux XVIe et XVIIe siècle.
Le refus de Lilith de revenir aurait ainsi causé sa destitution au profit d’une Ève plus soumise et servile. Ainsi Ève, tirée de la côte d’Adam, deviendra aussi un archétype de la domination du mâle.
La version de l’épisode de la côte s’avère la plus ancienne, et cela bien qu’elle apparaisse dans beaucoup d’interprétations rabbiniques en troisième phase des récits de la création d’Ève. En effet, pour Adam, de nouveau seul, Dieu façonna sous ses yeux une femme faite d’os, de tissus et de sécrétions animales. Comble, la créature suscita chez Adam du dégoût ! La seconde tentative fut donc un échec. C’est alors que selon la tradition hébraïque l’Ève tirée de la côte d’Adam vit le jour dans un état de parfait achèvement
La préséance d’une telle version fut, semble-t-il, favorisée par la présentation d’un Adam possédant originellement deux faces (homme et femme à la fois), un argument sur lequel les rabbins insistèrent, particulièrement soucieux de résoudre la contradiction entre le livre I au verset 27 et le livre II au verset 22 de la Genèse.
« Et Dieu créa l’homme à son image. Il l’a créé à l’image de Dieu. Il les a créés mâle et femelle. Et de la côte qu’il avait prise de l’homme, l’Éternel Dieu forma une femme, et il l’amena vers l’homme. »
Cette difficulté exégétique fut, ainsi, résolue par l’interprétation philosophique d’un Adam à deux faces, à la fois mâle et femelle puis séparé en homme et femme.
Beaucoup de sources font état d’un premier humain créé androgyne qui fut par la suite séparé selon des variantes d’interprétations dont on peut retenir.
– En Grèce, dans le Banquet, Platon au IVe siècle av. J.-C., par le discours d’Aristophane, décrit l’homme primitif comme un être fantastique réparti en trois genres, masculin, féminin et androgyne, mais tous à forme sphérique. La forme de chacun de ces êtres était un dos tout rond et des flancs circulaires. Ils avaient quatre mains et des jambes en nombre égal aux mains ; puis deux visages au-dessus d’un cou d’une rondeur parfaite et tout à l’avenant, d’une force et d’une vigueur prodigieuse, se déplaçant à grande vitesse. Mais ces êtres voulurent, dans leur orgueil, s’en prendre aux dieux. Zeus, pour les affaiblir, les coupa en deux, «comme on coupe les cormes», selon l’expression de Platon, pour qu’ils ne marchent que sur deux jambes, menaçant de les couper encore en deux, pour qu’ils marchassent à cloche-pied. Ce fut Apollon qui servit de chirurgien esthétique pour donner forme humaine à ces corps mutilés. Il leur laissa le nombril comme trace de leur état antérieur.
– Autre exemple, plusieurs midrashim (compilation de documents, entre autres, légendaires) pressentaient Adam comme ayant été androgyne. Selon le Bereshit Rabba du Ve siècle, «Adam et Ève étaient faits dos à dos, attachés par les épaules : alors Dieu les sépara d’un coup de hache en les coupant en deux. D’autres sont d’un autre avis : le premier homme (Adam) était homme du côté droit et femme du côté gauche ; mais Dieu l’a fendu en deux moitiés».
– Nous trouvons, aussi, dans la Genèse Rabba l’image d’une Ève qui serait non pas tirée de la côte d’Adam mais issue d’une prétendue queue terminée par un dard qui avait à l’origine fait partie d’Adam. Dieu coupa cette «excroissance» dont nous avons encore aujourd’hui la trace (le coccyx) et en tira Ève.
– Le Traité du Talmud de Babylone, vers le VIe siècle, quant à lui, laisse supposer qu’à l’origine, Dieu pensa créer deux êtres humains, l’un mâle et l’autre femelle, mais qu’il préféra en composer un seul avec deux visages, l’un mâle, regardant en avant et l’autre femelle regardant en arrière . Après cette nouvelle tentative, il changea de nouveau d’idée et supprima le visage femelle en faisant de lui un corps de femme.
– Le Coran propose une version similaire. Dieu créa ensuite Ève à l’image d’Adam, en prenant à celui-ci pour la former une de ses côtes du côté gauche. Lorsque Adam ouvrit les yeux, il vit Ève sur le lit qu’il occupait; comme il est dit dans le Coran : «Nous avons dit : Ô Adam, habite le paradis, toi et ton épouse.» (Sur. II, vers. 35.). «Lorsque Adam regarda Ève, il fut étonné, et il lui dit : Qui es-tu? Elle lui répondit Je suis ton épouse; Dieu m’a créée de toi et pour toi, afin que ton cœur trouve le repos. Les anges dirent à Adam : Quelle chose est cela, quel nom a-t-elle, et pourquoi Dieu l’a-t-il créée? Adam répondit : C’est Ève».
Jetons un rapide coup d’œil sur les implications symboliques et conceptuelles de ces choix de l’histoire de la scène primitive. Il découle de ce schéma que la femme, parce qu’elle apparaît en second, est un être de la secondarité. À travers l’histoire, on a pu déduire de cette secondarité l’idée de son infériorité : seconde et donc «supplémentaire», la femme serait d’une moindre valeur. Et tout ça parce qu’une des influences qui a le plus fait de mal est celui du judaïsme helléniste, dont Philon d’Alexandrie (début de l’ère chrétienne) fut la figure la plus éminente. Il avait développé une véritable peur et aversion de la femme et de la sexualité dont probablement le christianisme héritera en partie.
Pourtant, tentons de comprendre ce qu’implique le mot «côté». «Côté» enseigne qu’il faut prendre l’extirpation de cette côte comme une limitation et délimitation du champ d’investigation humain en corps et en esprit. La femme serait ainsi frontière, limite, horizon et «aide en face de l’homme» comme il est écrit en Genèse (2,18), «Il n’est pas bon que Adam soit seul, je lui ferais une aide en face de lui», l’ezer kenegdo , traduit aussi par «aide face à l’homme» qui est en fait le premier nom accordé à Ève. Cette créature tirée de l’homme est l’élément qui se présente «à lui devant comme identique» ; telle l’advenue d’un possible monde réflexif du sujet. La femme devient reflet de ce que réfléchit l’adâm mâle, elle devient son «ob-jet», ce qui donne consistance à sa forme. Avant de procéder à la création d’Ève, Dieu présente à l’homme des animaux qui s’accouplent. Au «il n’est pas bon que l’homme soit seul» succède donc ce défilé animal qui se finira par l’advenue de l’alter ego féminin.
C’est la nomination des animaux qui fournit l’occasion de la séparation des genres. L’expérience de la nomination des êtres vivants équivaut à une sorte de structuration de la spécificité de l’humanité par rapport à l’animalité… Un processus d’hominisation de l’homme y est à l’œuvre. C’est dans le cadre de cette nomination du monde, du langage donc, que l’Adam entreprend de se séparer de lui-même pour faire place à deux êtres. Et c’est dans le langage qu’Ève, la femme, se manifeste alors. En effet, au bout de la nomination, par laquelle il s’approprie le monde naturel, l’adam ne trouve pas sa femme car il ne recherche en elle que sa «femelle» (la tradition midrashique nous dit en effet qu’il avait nourri un lien sexuel avec toutes les femelles animales sans trouver son vis à vis) et il ne la trouvera pas ainsi puisqu’ il est, dès lors, à jamais sorti de l’animalité… Incomplet, «seul», au bout du langage, il manque de mots et ne peut nommer le féminin qui est autre que la « fémellité ». La femelle n’est pas un partenaire dialogal pour lui. En effet, la femme est en relation asymétrique par rapport à lui, un être au bout de la puissance du langage, de la nomination-appropriation, hors la référence au même. Il est intéressant de noter à ce propos quand Ève jouit d’un nom propre Haoua (חַוָּה c’est-à-dire : “la vivante”. Dans la Septante, elle est appelée Zoé, qui est la traduction grecque de « la vie ») et non plus la femme, Adam prend aussi un nom propre : Aadam (et non plus générique avec le vocable adam qui désignait l’être au double visage). Genèse 3, 20 et 22.
“En fait, la source scripturaire de la bible qui alimente la radicalité patriarcale est sans aucun doute la réforme et la réécriture des textes sacrés du Tanakh, à l’époque du retour de Babylone.” C’est vers 620 av. J.-C. que le roi Josias a aboli le culte de toute déesse mère (2Rois, 23,7).
Dans la plupart des langues, l’homme et la femme sont désignés par des racines différentes ; ce qui renforce la représentation des sexes comme distincts de nature. En fait l’opinion commune associe, en les confondant, le fait d’être homme ou femme et les notions de masculin et de féminin. Si l’on en croit Pierre Bourdieu, la série d’oppositions, que ces notions entraînent dans leur sillage, est universelle et les correspondances admises reprennent et corroborent la domination masculine. Ainsi on retrouvera du côté masculin Actif et du côté féminin Passif, et les opposés Dominant/ Dominé, Dur/Tendre, Puissant/Faible, Devant/Derrière, Supérieur/Inférieur, Haut/Bas. Cependant la pensée ésotérique va nuancer ces couples d’oppositions et l’on trouvera des appréciations qui fonctionnent plutôt comme des articulations fondamentales de la pensée avec au masculin Miséricorde et en opposé au féminin Jugement, Quiétude/ Activité, Épanchement/ Réceptivité, Intériorité/ Extériorité, Cause/ Effet, Déploiement/ Limitation, Forme/ Matière, Richesse/ Pauvreté, Lumière/ Obscurité, Droite/ Gauche. D’autres paires d’opposés dans la pensée grecque, comme celles qu’Aristote attribue à un philosophe pythagoricien, mettent en parallèle certaines ressemblances avec cette liste. On trouve ainsi Limité/ Illimité, Impair/ Pair, Un/ Multiple, Droite/ Gauche, Mâle/ Femelle, Repos/ Mouvement, Rectiligne/ Courbe, Lumière/ Obscurité, Bon/ Mauvais, Carré/ Oblong.
Pour trop de religieux incapables d’aller au-delà de la lettre, seul l’homme est à l’image de Dieu tandis que la femme est à la gloire de l’homme. L’homme qui donna un nom aux animaux et qui prêta alors aux choses les vertus de l’agir et du penser voudra désormais y inclure la femme. Cette faculté propre à Adam de donner un nom aux choses sera un des fondements sur lequel se développeront le Droit, la Morale et les relations des hommes et des femmes tout au long de l’Histoire. Ce sera la loi des hommes qui s’imposera aux femmes, pourtant ni Lilith, ni Ève, ni putes, ni soumises. “Il est évident que la sensibilité moderne aux enjeux anthropologiques de l’amour et de la sexualité, ou aux questions posées par les féministes, a récemment orienté les lectures” du Texte. Alors faut-il une relecture queer de la Bible ?
Que dire des Constitutions dites d’Anderson de 1723 interdisant en Franc-maçonnerie, la présence des femmes ainsi que celle des infâmes, auxquels elles semblaient être assimilées ? En effet, il est prescrit dans un de ses articles que les membres «doivent être hommes de bien et loyaux, nés libres et d’âge mûr et discrets, ni serfs ni femmes ni hommes immoraux et scandaleux, mais de bonne réputation». Cela exclut le prétexte que les femmes n’avaient pas, alors, les mêmes droits civils que les hommes ! Cette réflexion ne veut pas dire que je considère qu’il faille faire de l’entrisme féministe dans toutes les Obédiences. Du moment qu’il existe des possibilités aux femmes d’être initiées en Franc-maçonnerie, les choix des Obédiences doivent être respectés. Il convient en effet de bien séparer ce qui relève de l’idéologie de la maçonnerie libérale, très progressive, et du « parcours maçonnique » en lui-même, plus intime et moins redevable des règles sociales. Force est de constater que, dans ce cadre polymorphe, beaucoup de nouveaux maçons cherchent justement une enceinte purement masculine ou purement féminine pour cette quête intérieure. De nombreuses maçonnes revendiquent d’ailleurs elles-mêmes cet entre-soi permettant dans les loges exclusivement féminines, « d’aborder l’Universel à partir de la singularité féminine » pour reprendre les mots de plusieurs d’entre elles. La mixité ne peut être inéluctable, elle ne peut être, au sein de chaque atelier, qu’un consensus unanime, clairement annoncé pour que celui qui vient vers la Franc-maçonnerie puisse avoir le choix de son engagement sans lequel le mot liberté ne serait plus qu’un leurre.
En France, rappelons que pour être en conformité avec le code civil, la répudiation des femmes juives n’a été rejetée par le grand sanhédrin qu’en 1807, sous Napoléon. Mais n’oublions pas l’article 324 du code pénal de cette époque, (1810), qui absolvait, excusait le meurtre de l’épouse (ainsi que sur le complice) par son mari dans le cas d’adultère à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale. Plus récemment et jusqu’à la loi du 11 juillet 1975, l’adultère de l’épouse était sanctionné pénalement plus sévèrement que celui du mari puisque l’épouse encourait une peine d’emprisonnement pouvant aller de 3 mois à 2 ans, selon l’article 337 de l’ancien Code pénal, alors que le mari infidèle n’encourait qu’une peine d’amende pouvant aller de 360 à 7.200 Francs et ce uniquement dans l’hypothèse où il avait entretenu sa concubine au domicile conjugal.
Et pour sourire, en Brumaire An IX (1801) il est ordonné : «Toute femme, désirant s’habiller en homme, doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation». Eh bien, cette ordonnance est demeurée en vigueur jusqu’en mars 2013 (bien qu’elle fût tombée en désuétude).
Les hommes se sont-ils mal conduits avec les femmes durant toutes les époques ?
Sommes toujours dans une société patriarcale ? Pour tenter de répondre, Alain Finkielkraut s’entretient avec Frédéric Beigbeder et Ivan Jablonka : <radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/etre-un-homme-aujourd-hui-1662774>
Sur 450.fm, vous pouvez trouver deux articles connexes Masculin/Féminin et Ladyboy ou l’androgynie