ven 22 novembre 2024 - 23:11

Une névrose maçonnique

Attention, danger : Le profane qui frappe à la porte du Temple ne s’imagine pas qu’il demande l’entrée dans un système à même de s’avérer progressivement névrotique, s’il ne prend pas le recul nécessaire ! C’est à dire, à la fois, hauteur de vue et humour !

Le désir est le moteur humain. Il s’agit donc de le combler en se fixant sur le ou les objets qui le fondent, c’est le principe même d’une vie. Sans son objet surgit « le manque », nous dit Freud. Dans la pratique de l’Art Royal, l’objet du désir, c’est le tablier, ce cache-sexe symbolique – marqueur du degré acquis – avec tout ce qu’il représente, en termes phalliques ! Lorsque ce désir devient l’entretien du manque – et non sa réalisation – par l’institution, celle-ci produit de « l’hystérisme », au sens de la souffrance que contient ce mot, avant même toute évocation spectaculaire propre à cette névrose.

Le jeu « psy » maçonnique peut signifier – pour celui qui veut jouer…et se laisser prendre (gare !) l’expression de la volonté d’un dominant (l’appareil qui jouit de son pouvoir) sur un dominé, (l’initié soumis et masochiste qui jouit de sa soumission). Le piège du système consiste en une succession de tabliers à conquérir, comme autant d’appâts miroitants mais d’obtention laborieuse. Le dominant est « le maître du temps » : sans même se rendre compte de son importante responsabilité psychologique, il impose un délai à sa totale discrétion – selon le travail et surtout la « docilité » du dominé inféodé – entre chaque tablier. Le cordon assorti donne à voir sa fonction ombilicale !

On comprend que la satisfaction du désir (disparition du manque) du dominé étant l’espoir fébrile du tablier « supérieur », il s’agit pour la hiérarchie de dominance, après avoir créé du lien, de fabriquer du « manque » ! D’où la multiplicité des tabliers, l’allongement de la durée entre leurs réceptions et la mise à distance des décors sommitaux, néanmoins interprétables telle une promesse, un idéal à atteindre, pour maintenir le dominé en appétence. C’est ainsi que certaines puissances jumelées (obédientielle et juridictionnelle) s’entendent pour étaler la remise de leur dizaine de tabliers-carottes, carrément sur vingt ou trente ans (gestion logistique oblige). Une cruelle et perverse façon de mesurer le niveau de résistance du sujet à la frustration !

De la sorte, le dominant induit chez le dominé avide de reconnaissance, un comportement symptomatique : apparaissent au fil du marathon maçonnique des signes d’anxiété convertie (infantilisation, agressivité), phobiques (fraternité compétitive), obsessionnels (idée fixe : décrocher le tablier au mât de cocagne !), narcissiques (exposition dudit tablier – enfin obtenu – au regard de l’autre !). L’hystérie rôde ! Nous sommes loin ici d’un épanouissement personnel serein qui devrait conduire à l’humilité, au perfectionnement de soi, par soi, en soi. Pas en soie ! L’initié-dominé ne peut sortir de cette forme de violence psychique qu’en passant de la lumière à la lucidité, d’une emprise inconsciente à sa conscience éclairée. Il a alors ce choix : rendre ses tabliers ou, mieux sans nul doute, sortir du jeu névrotique (Ni hérisson, ni paillasson). Pour maçonner, heureux, à son rythme, sans souci de broderie, en toute liberté. D’être, de penser et d’agir !

L’échelle maçonnique est comme le vin : Ce n’est pas le degré qui fait le nectar. Et ce n’est pas le tablier qui fait le tailleur de pierre !

7 Commentaires

  1. Il n’est pas d’échelle dont les barreaux n’incitent l’escalade! L’Himalaya et la Tour Eiffel, entre autres, ne manquent pas de clients. Freud enfant est lui-même tombé de l’escabeau en essayant d’attraper le pot de confiture convoité et en a porté une cicatrice au visage toute sa vie. Ainsi en va t-il de la nature humaine qui désire toujours prendre de la hauteur…et dominer le monde! Pour sa part, la Franc-maçonnerie a inventé les Hauts-Grades instituant ainsi les Bas-Grades et l’inévitable jalousie, autre vilénie de l’Homo Sapiens. Je rêve d’un rite où chaque membre porterait un tablier blanc….mais en l’absence de la stimulante compétition (et donc de conflit, puissant carburant relationnel!) il tombererait vite en désuétude! L’égalité est une belle idée républicaine, mais comme la perfection, elle n’est pas de ce monde! Heureusement, il nous reste l’humour. Comme Pierre Dac, prenons le parti d’en rire! Gilbert GARIBAL

  2. L’article du Frère Garibal m’a ramené quasiment 30 ans en arrière.
    Un conflit avait eu lieu dans la loge où j’étais à l’époque. Après une tenue, dans les parvis, je revois JMB, les yeux humides.
    Il vient vers moi et me dit : “je suis entièrement d’accord avec toi mais tu es jeune. Tu as le temps. Moi j’ai plus de 60 ans et tu comprends je veux tout connaître avant de mourir.” Et il s’est mis à pleurer devant le gamin que j’étais…
    JMB venait de me justifier son silence pendant une tenue houleuse par son souci de se ménager le soutien nécessaire pour continuer à faire de la grimpette dans les hauts grades…
    Il avait intériorisé une contrainte qui l’empêchait de penser et d’agir librement.
    Je ne lui en ai jamais voulu bien sûr mais trois décennies n’ont pas effacé cet échange surréaliste de ma mémoire. JMB avait révélé une réalité des pratiques maçonniques de cette époque (pratiques aujourd’hui révolues ?).
    En tout cas, ça a été pour moi une sacrée leçon.

  3. J’ignore ce qu’est vraiment le wokisme, donc loin de mes pensées et de la présente analyse! Je tente seulement de décrire, précisément avec humour, le long chemin de l’escalade initiatique! Je suis désolé à la fois de ne pas avoir été compris! Et de ne pas bien comprendre votre propos! Vos apprentis n’ont pas à avoir peur du parcours à accomplir puisque le mat de cocagne leur est rapidement promis! Que la joie et l’humour nous réunissent, c’est mon souhait le plus vif. Bien fraternellement, Gilbert GARIBAL

  4. Comme tout intellectuel vous sacrifiez à la mode du Wokisme. Vous tentez de généraliser en utilisant les travers d”une minorité agissante certes mais une minorité tout de même. Vous instillez la peur, des apprentis m’interpellent gràce à vous, Certes certains sont avides de reconnaissance, mais les plus nombreux le sont de connaissance. Les systèmes organisés actuels nous permettent de suivre un chemin initiatique dans des lieux ou nous pouvons ” exister à égalité dans l’indispensable regard de l’autre” dans le respect du rite choisi et de la tradition. Nous nous réunissons sur le niveau et nous nous quittons sur l’équerre disait Kipling. Mon humour disparait à la lecture de votre article, mais tant pis je retrouve la joie sur le chemin……….

  5. * Merci Patrick de ton commentaire : A mes yeux, la “cordonnite” est la résultante d’une construction des rites maçonniques “à la française” qui a instauré un système hiérarchique là où il ne devrait être que fonctionnel! Mais le coq gaulois aime “donner de la crête”!

    * Merci Solange de ta remarque : Je croise parfois, dans le même esprit, davantage de Narcisse que de Pygmalion sur le chemin initiatique !

    Certes, vivre est difficile et chacun, chacune, a besoin de confiance en soi et de raison d’être. L’important, me semble-t-il, est de se sentir réciproquement exister à égalité dans l’indispensable regard de l’autre, cet autre Moi. La bienveillance qui nous anime en maçonnerie, selon notre “bon vouloir”, est le plus “chaleureux” des miroirs! GG

  6. N’est ce pas un rapport de Pygmalion à sa créature ? Une tentative de réponse dans l’article 450.fm/2021/09/07/pygmalion-chez-les-francs-macons/

  7. Quelle superbe analyse de cette cordonnite qui empoisonne tant d’égrégores ! Comme l’indique l’illustration, le maillet reste plus fort que le crâne d’œuf !
    Bonne continuation cher frère Gilbert !

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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