ven 22 novembre 2024 - 03:11

Le mot du mois : « Hésitation »

Une valse-hésitation…

Nos époques tourmentées en donnent une saisissante illustration. Aussitôt, chacun d’y aller de son commentaire goguenard, sceptique, au pire acide et assassin. Mais pourquoi ne pas repérer, dans cette expression, la valse et son mouvement chaloupé et harmonieux dont les salons, mondains ou non, se sont emparés avec gourmandise, dès les premiers temps de son invention ?

Son étymologie latine, *haerere, y a d’abord vu la marque d’une “attache qui fixe en figeant”, donc d’une sorte d’anesthésie stérilisante, l’adhésif qui entrave l’élan.

Du fait de l’appétence au mouvement, de la bougeotte inhérente aux bipèdes, humains entre autres, le mot s’est vu très vite entaché d’une acception péjorative, hésiter, ne pas avancer donc être embarrassé, perplexe. On s’est gaussé à l’envi de l’escargot, ou de ce placide mammifère arboricole, l’ai des mots croisés, surnommé le paresseux en raison de sa lenteur économe de toute précipitation. On a souri de la lenteur, même efficace, de la tortue de La Fontaine.

Nous y voilà ! Cortège de tout ce lexique à bannir, celui de la lenteur, de la sinuosité, de l’errance même choisie. Chez les Romains, le roi est celui, au sens propre, qui va droit, qui trace le chemin sans hésiter vers l’ennemi, parce que l’hésitation est signe de faiblesse.

Toutes les innovations technologiques concourent à la vitesse, au raccourci de temps jusqu’à l’absurdité de l’automatisme systématique. Ne pas perdre une seconde ? La belle affaire ! Et que faire de cette seconde, gagnée sur quoi ? Où est la cohérence de tels comportements ?

Une telle urgence nous rend-elle vraiment plus intelligents, ne contribue-t-elle pas au contraire à entretenir une culpabilité généralisée du temps perdu ?

Hésiter, c’est trouver une autre cohérence qui ne soit pas sous le diktat des injonctions extérieures, c’est revenir aux fondamentaux de l’intelligence, c’est-à-dire au sens propre du “choix entre”, on ne le répétera jamais assez. Accepter de se tromper, de ne pas savoir quoi choisir, prendre le temps de la réflexion. De la respiration, surtout, du rythme naturel loin de l’asphyxie de la course effrénée.

Laissons aux athlètes, olympiques ou non, la fascination de la performance. Le spectacle du monde et des myriades de ses occupants de toute nature, humains compris, mérite notre perplexité.

“C’est l’hésitation, c’est l’ouverture qui font l’intelligence, et surtout l’ouverture vers l’inattendu. Ne pas refuser ce qui étonne.”, disait Michel Serres, dans un entretien avec Michel Polacco (De l’impertinence)

J’ai envie, en extrapolant, d’y associer Romain Gary : “Tout ce qui empêche l’homme de désespérer, tout ce qui lui permet de croire et de continuer à vivre, a besoin d’une cachette, d’un refuge. Ce refuge, parfois, c’est seulement une chanson, un poème, une musique, un livre.”( L’Education européenne)

A la plénitude, au remplissage dirait-on, de nos vies surencombrées, il manque le creux, le tempo nécessaire de l’hésitation, le silence au milieu des flux de parole, l’entremêlement des sensations et des sentiments qui s’enlacent et s’entretissent avec patience. Une scansion de la perplexité.

M’accorderez-vous cette valse…?

Annick DROGOU

Hésiter pour ne pas être pusillanime mais demeurer responsable, c’est-à-dire en capacité de répondre de ses actes. L’hésitation est aujourd’hui perçue comme une coupable faiblesse. Les mots s’usent et c’est le mauvais sort qu’on a fait aussi à la notion de prudence, la première des vertus cardinales aux côtés de la justice, de la force et de la tempérance. La prudence est devenue une frilosité qui réunit toutes les peurs petites-bourgeoises, alors que pour la pensée classique, la prudence est synonyme de discernement, ce que nos modernes juristes appellent le principe de précaution.

Hésiter, c’est penser, évaluer, anticiper, prévoir, autant de verbes plus glorieux, dotés d’une mâle assurance qu’a définitivement perdue le fébrile et fragile « hésiter ». Peut-être y a-t-il des mots en danger, menacés de déformation si ce n’est de disparition et qu’il faudrait protéger comme les espèces menacées ?

Comme l’écrit l’auteur japonais Shusaku Endo, dans son roman Silence, “le péché, ce n’est pas de voler et de mentir, c’est pour un homme de marcher brutalement sur la vie d’un autre, insoucieux des blessures qu’il laisse derrière lui“. Hésiter, c’est être soucieux de l’autre, inquiet de mon frère. Non, l’hésitation n’est pas une fuite, une lâcheté. Il faut du courage pour ne pas réagir à toutes les stimulations, à toutes les passions mauvaises, qui vont abîmer et blesser. Hésiter, c’est savoir se taire avant de parler, oser faire un pas de côté avant de décider, mais ce n’est qu’un moment, une étape, un préalable, pour avancer et mieux entrer dans la confiance.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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