Le medium fait florès, sous des formes variées, dans nos sociétés contemporaines, qui ne réfléchissent jamais assez aux conséquences immédiates de telles prédictions.
Ce mot latin relève, au singulier, de ce qui touche au paranormal, au prédictif, à l’irrationnel, alors que le pluriel media, initialement dans l’anglicisme mass media, est devenu d’un usage tellement banalisé qu’on lui a ajouté une marque de pluriel propre au français, qui n’avait pas lieu d’être.
La racine indo-européenne *med- désigne ce qui se trouve au milieu, intermédiaire. Si la Mésopotamie est géographiquement entre les deux fleuves, Tigre et Euphrate, la Méditerranée, quant à elle, est entre deux terres, deux continents.
Le latin en développe le riche lexique de tout ce qui est au milieu. Du jour, midi, ou de la nuit, minuit. Le mât demisaine est planté au centre du navire. Milieu d’une pièce, milieu social qui prête à définitions contrastées et conjectures, à la fois mis en lumière et propre aux regards plus ou moins détournés ou connotés, envieux ou condescendants, selon qu’on se sent du “bon” ou du “mauvais” côté, en termes de respectabilité financière ou hiérarchique entre autres. Une frontière impalpable et mouvante, mais bien réelle.
Entre deux maisons se dresse le mur mitoyen, on est dans le moyen entre deux époques et cultures, tel le Moyen-Âge avec ses comportements médiévaux, plus tout à fait gallo-romans et pas encore marqués de Renaissance.
Difficile ligne médiane que guette la transgression, une sorte de funambulisme entre le moyen et le médiocre. Un espace inconfortable d’autant plus malaisé à définir que ce lieu intermédiaire s’assortit de querelles, souvent dérisoires, de pouvoir et de possession. Une place impossible à occuper…
Faute d’avoir réfléchi à la place qu’il pouvait tenir dans le milieu de forêt équatoriale dans lequel on le projette, tout héros qu’il soit, Tarzan ne tiendrait pas dix minutes dans la jungle ! Mygales, boas constrictors, insectes venimeux, feuilles et fruits empoisonnés, arthropodes, entre beaucoup d’autres, auraient tôt fait d’en faire une victime immédiate !
A moi la victoire, donc la médaille ! Qui sait combien ce mot est lui-même dérisoire dans son origine latine, à contresens de l’usage qui en est fait actuellement ? La médaille, au sens originel, représente la moitié d’un denier, donc une petite pièce sans valeur, sauf pour les enfants qui rêvent de médailles en chocolat. Sous les Capétiens, la maille nommait la plus petite monnaie existante. Il en demeure l’expression “un pince-maille”, c’est-à-dire un avare. La maille désigne aussi la petite boucle que l’on tricote. Et l’expression “avoir maille à partir”, à partager, exprime la chicane et la dispute pour un partage dérisoire.
Par les moyens liés au développement exponentiel de diffusion, écrite, audio-visuelle, par réseaux,
le monde médiatique répand son influence de pieuvre, dans une immédiateté sans frein, qui a oublié que toute information se doit d’être vérifiée, que l’intelligence, au sens propre de “choix entre”, requiert le temps d’une méditation, donc d’une médiation pour s’épanouir sereinement dans une décision réfléchie, là encore au sens propre de ce qui regarde une image doublement renvoyée à elle-même sous divers angles.
Réagir immédiatement, c’est ouvrir la voie à tous les excès verbaux et gestuels d’impulsivité et de violence, sans en mesurer la portée. Quoi que puisse prétendre l’inconséquent pour se disculper, on ne rattrape pas un mot, un geste. Nul droit à l’oubli. C’est nier le rôle médiateur du temps et de l’espace.
Et pourtant… Parfois le medium s’avère bénéfique : le philosophe mathématicien grec Thalès prédit, en 584 av.JC, une éclipse de soleil, qui s’avérera une réalité. Alors que les Mèdes et les Lydiens s’affrontent sur les rives du fleuve Halys, dans l’actuelle Turquie, et que la victoire est très indécise, en plein jour l’obscurité se fait ! Les combattants, convaincus qu’il s’agit d’un message divin, concluent immédiatement la paix…
Annick DROGOU
L’immédiat est-il le mot qui résume le mieux notre époque fébrile ? Tout, tout de suite. Séance tenante. Le circuit court ou le court-circuit parfait. Il est piquant de voir l’évolution de ce mot. Du sens sans intermédiaire, il est passé dans l’immédiat du premier lieu, du tout d’abord, du moment même. Triste humanité qui s’abîme dans le court terme et l’urgence. Fast food, fast fashion…, de plus en plus vite, dans la réaction primaire et permanente, sans prendre le temps de la réflexion, sans le recours au temps comme premier médiateur.
Immense frustration. L’immédiateté n’est pas un présent plus intense, elle n’est que l’accélération du fugace qui, à peine passé, demande déjà à être comblé. Stop ! Il est temps de ralentir. Sans l’intervalle du temps suspendu, sans l’écoute du monde, de soi, des autres, du cosmos ou de Dieu, sans médiation, notre connaissance restera plate, planante en deux dimensions. Or la pleine vie se vit en 3D, dans l’ouverture au Tout Autre. Il faut laisser infuser la vie. Inutile de tirer sur la tige, la fleur ne parviendra pas à éclore plus tôt.
Mais, dans la boulimie de l’urgence, peut-être se trompe-t-on d’immédiat ? Peut-être seulement une confusion, un désir d’absolu qui fait fausse route dans une tentative de comblement. Oui, il faudrait distinguer et aimer un immédiat de l’être, bien différent de l’immédiat de l’avoir. Cet immédiat de l’être, c’est le sentiment océanique qui nous fait ressentir, sans besoin d’intermédiaire, notre immersion totale dans l’universel et l’infini, à la fois désir, écoute et accueil que rien ne pourra jamais combler.