Professeur d’histoire moderne à l’université de Franche-Comté (Besançon) et spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la France et de la Grande-Bretagne au XVIIIe siècle, Edmond Dziembowski nous fait découvrir une histoire différente – une autre histoire – que celle que la doxa nous conte.
Comme si cette grande période de bouleversements sociaux et politiques qu’est la Révolution française ne suffisait déjà pas avec son lot d’événements de cette fin de règne de la monarchie absolue d’Ancien Régime…
L’auteur en titrant La main cachée nous fait immanquablement penser à une main invisible sévissant
entre l’ouverture des États généraux, le 5 mai 1789, jusqu’au coup d’État de Napoléon Bonaparte, le 18 brumaire de l’an VIII (9 novembre 1799). Soit plus de dix ans de manipulations ! Car c’est bien cela qu’il faut comprendre par main cachée…
Si dans le domaine socio-économique, la main invisible est une expression forgée par Adam Smith désignant une de ses théories (intérêt personnel ; richesse ; bien commun, etc.), si, en matière de posture, la main dans le gilet – cachée donc – est largement répandue dans les portraits réalisés lors des XVIIIe et XIXe siècles suscita diverses explications, des plus plausibles aux plus farfelues, ou si encore pour les plus jeunes l’« Encyclopédie et actualités de Star Wars » nous apprend que la ‘’Main Cachée’’ était une organisation criminelle extrêmement secrète, dont Dark Vador avait pour mission de la trouver et de la détruire, force est de constater qu’Edmond Dziembowski, dans son remarquable livre, clair et abordable par tout public, nous invite à une belle histoire de la Révolution française, qui fut, aussi, mère du complotisme – mot auquel nous pouvons associer celui de conspirationnise. Un terme qui désigne une façon de penser liée à la théorie du complot, c’est-à-dire à la pensée que des complots seraient orchestrés par les plus hautes instances pour imposer un mode de vie. Cet ouvrage nous dit tout… ou presque !
Edmond Dziembowski offrent en deux grandes parties intitulées « Le Roman véridique de la Révolution » puis les « Complots imaginaires et imaginaire politique », le tout en sept chapitres, un panorama complet de ce que la Révolution française, à ses yeux considérée comme « la mère inattendue du complotisme contemporain », a généré. De son introduction titrée « Une leçon en enfer », nous retenons la caricature du britannique James Gillray, célèbre pour ses dessins satiriques, et son « Voltaire instruisant l’enfant Jacobinisme », puisant son inspiration auprès du jésuite et essayiste polémiste Augustin Barruel. Et aussi les quatre pistes que l’auteur met en avant, à savoir celles des philosophes, des protestants, des francs-maçons et des Britanniques. Nous ne doutons pas que les thèses proposées permettront aux cherchants d’approfondir ses connaissances sur les sources occultes et réelles de la Révolution.
L’initié reconnaîtra des noms qui ne lui sont pas inconnus, car maçons eux-mêmes tels Cadet de Gassicourt, Cagliostro, Joseph de Maistre, La Fayette, Martines de Pasqually, Mesmer, Mirabeau, Montesquieu, Weishaupt, Willermoz, entre autres.
L’auteur nous propose en quelque sorte de traverser le miroir, donnant ainsi l’impression au lecteur d’être au cœur des différents complots, nous faisant, dès le premier chapitre sur le « Philosophisme tentaculaire », entrer dans un univers historique parallèle avec l’abbé Guillaume-Thomas Raynal (1713-1796), historien et écrivain, historien et écrivain, mais aussi avec des personnages que nous découvrons au fil des pages, tel le comte de Sinety de Puylon (1740-1811) ou le comte Ferrand (1751-1825) auteur des Conspirateurs démasqués, publié à Turin en 1790.
Edmond Dziembowski envisage absolument toutes les pistes, dont, bien évidemment, celle aussi des Illuminés de Bavière, étudiant même les écrits de l’un des pères de la philosophie contre-révolutionnaire et un des critiques les plus importants des idées des Lumières, l’homme politique et philosophe Joseph de Maistre (1753-1821).
La justesse des mots, la précision des faits, la richesse des pistes analysées font de cet ouvrage un incontournable pour comprendre cette période trouble et jamais étudiée sous cet angle. Les dessous de l’histoire apparaissent ainsi en pleine lumière.
Nous aimons tout particulièrement les notes annexées en fin d’ouvrage et la très riche bibliographie permettant au lecteur d’aller plus loin, si tel est son désir.
Mentionnons aussi qu’Edmond Dziembowski est l’auteur d’Un nouveau patriotisme français, 1750-1770. La France face à la puissance anglaise à l’époque de la guerre de Sept Ans (Oxford, Voltaire Foundation, Coll. Studies on Voltaire and the eighteenth century-SVEC, 1998) et a publié chez Perrin, en 2006, Les Pitt. L’Angleterre face à la France, 1708-1806. Dans sa conclusion, l’auteur rappelle la tâche de l’historien qui est d’éclairer le passé. Que sa clairvoyance soit, ici et maintenant, remerciée. La main cachée, titre si justement choisi et qui reste plus encore un sujet d’une brûlante actualité !
La main cachée-Une autre histoire de la Révolution française
Edmond Dziembowski – Perrin, 2023, 368 pages, 24 €