ven 22 novembre 2024 - 02:11

II- Le Cabinet de réflexion en Franc-maçonnerie, un athanor alchimique

Pour les humanistes universalistes du XVIIe siècle, qui ont inspiré la Franc-maçonnerie naissante, l’Alchimie était le cœur de leurs recherches. Certains travaillaient eux-mêmes au fourneau, d’autres entretenaient des laboratoires. Ils publiaient des traités sur le sujet. Pour eux, Alchimie, Rose-Croix et Franc-maçonnerie ne pouvaient être désunies. Ainsi en atteste le ternaire alchimique présent dans le cabinet de réflexion, celui indispensable au processus de formation  de la pierre philosophale : le Sel, le Soufre et le Mercure qui expriment ensemble le véritable équilibre auquel le profane doit tendre afin de se régénérer.

V.I.T.R.I.O.L est certainement l’acronyme le plus énigmatique et indéchiffrable que le récipiendaire voit écrit dans le cabinet de réflexion. Ces initiales placent d’emblée le cabinet de réflexions dans la pensée alchimique.

VITRIOL

Anagramme de L’or i [y] vit.

Dans l’édition de 1659 de L’Azoth ou le moyen de faire l’or caché des philosophes, Basile-Valentin, religieux de l’ordre de St Benoît, figure un célèbre emblème avec la formule Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem (p. 144). 

C‘est une reprise de la partie centrale du frontispice de La toyson d’or (1613), écrit par Salomon Trismosin, le précepteur de Paracelse. :

Moins connue, on trouve également cette phrase sur le phylactère de la page 136 et page 177 de cet ouvrage.

Le profane ne comprendra intellectuellement le sens que bien plus tard. Mais lorsqu’il se trouve dans l’œuf primordial, caverne alchimique aux pouvoirs de transmutation infinie, son inconscient n’aura aucune peine à comprendre cette inscription dont la valeur alchimique ne fait aucun doute. Les sept initiales, V.I.T.R.I.O.L, sont la révélation de l’opération du Grand Œuvre, aide -mémoire indispensable au profane, comme à l’initié, car il révèle le processus alchimique de la transmutation de l’être comme celle des métaux : Visita Interiora Terræ, Rectificando Invenies Occultum Lapidem  (dans sa traduction la plus courante, «visite l’intérieur de la terre, en rectifiant tu trouveras la pierre cachée», mais qui se traduirait aussi par, «examine avec application les entrailles de la terre, en opérant une deuxième distillation, tu trouveras la pierre cachée»).  Comme l’écrit Zozime de Panapolis : «Cette pierre est une chose qui se trouve en toi plus fixe que nulle part ailleurs, créée par Dieu, et tu en es la minière – la prima materia – ; elle est extraite de toi, et, où que tu sois, elle reste inséparablement avec toi.»

  • Visita. C’est la forme impérative à la deuxième personne du verbe visito, qui signifie «voir souvent, inspecter, éprouver…».
  • Rectificando. Ablatif de rectificare, mot qui n’existe plus en latin moderne mais qui existe en latin médieval ; rectificare se traduirait par «broyer».
  • Invenies. 2ème personne du singulier du futur d’invenio. Ce verbe possède plusieurs nuances de traduction : «découvrir, retrouver, dépister, joindre, dénicher», avec cette notion d’y rencontrer ce que l’on ne s’attendait pas à y trouver. Il peut aussi signifier «inventer, imaginer», quand ce qu’on y découvre résidait déjà en nous.

Cela peut se résumer par trois verbes d’action «visiter, dégrossir et découvrir».

Ce septénaire mystérieux, dont le sens dévoilé révèle une parfaite connaissance des processus, mène à l’éveil. La pierre que le profane doit trouver n’est autre que la pierre philosophale des alchimistes, et celle-ci se trouve au plus profond de chacun, elle ne se dévoile qu’à ceux qui, par un travail intérieur sincère, sont arrivés au parfait équilibre pour ne faire qu’un : Omnia ab uno, omnia ad unum  (Tout procède de l’Unité, tout tend vers l’Unité). Le contexte hermétique du sigle V.I.T.R.I.O.L. a de longue date imposé l’idée que cette pierre cachée était l’or philosophale des alchimistes. Mais un symbolisme n’en exclut pas nécessairement un autre. Le fait que l’allusion à cette pierre se fasse par l’intermédiaire d’un procédé typiquement kabbalistique suggère également une référence à la schétiyah, la pierre fondamentale de la tradition hébraïque, celle qui fut la première à être posée lors de la création du monde et qui fut ensuite perdue et négligée ainsi qu’il est dit dans le Psaume CXVIII, 22 : la pierre que les constructeurs ont rejetée est devenue la pierre d’angle. 

« Le pilier trumeau, qui partage en deux la baie d’entrée [de ND de Paris], offre une série de représentations allégoriques des sciences médiévales. Face au parvis, -et à la place d’honneur- l’alchimie y est figurée par une femme dont le front touche les nues. Assise sur un trône, elle tient de la main gauche un sceptre -insigne de souveraineté- tandis que la droite supporte deux livres, l’un fermé (ésotérisme), l’autre ouvert (exotérisme). Maintenue entre ses genoux et appuyée contre sa poitrine se dresse l’échelle aux neuf degrés, scala philosophorum, hiéroglyphe de la patience que doivent posséder ses fidèles, au cours des neufs opérations successives du labeur hermétique », ainsi s’exprimait Fulcanelli.

L’alchimie affirme que la Matière première se transforme en énergie ; que cette énergie obtenue ou extraite de la Matière agit en retour sur les éléments corpusculaires en les transmuant, en leur donnant une autre forme. L’alchimie affirme aussi qu’il y a deux états ou fonctions de la matière qui coexistent en alternance, le Solve, appelé le Volatil, symbolisé par une sinusoïde et le Coagula, dit le Fixe, symbolisé par une ligne droite. Le Volatil, ou aspect ondulatoire, état de dissolution, de décomposition de la matière, vibratoire, et indéterminé correspond au Mercure. Le Fixe, ou aspect corpusculaire, état condensé, déterminé et individuel correspond au Soufre Le Sel est l’union du Soufre et du Mercure, il est donc l’image de l’état à la fois ondulatoire et corpusculaire de la matière (ondicule), dont la représentation pourrait bien être l’équerre et le compas réunis.

Quelques mots sur l’alchimie

Le mot pourrait provenir de l’arabe al-kīmiyā, Chimie de Dieu, [kīmiyā signifiant mélange] ou encore l’égyptien ancien «Kemet» qui désigne la Terre Noire Divine évoquant l’Égypte, en référence à la couleur du limon déposé chaque année par la crue du Nil. Mais on pense que plus vraisemblablement du grec, kumen, «verser sur le feu» ou de kumos, le suc qui s’élève dans la plante. En hébreu «Chimie» se dit «Khimia» (הכִּימִיָ) et peut se lire comme «Ki mi Yah» («Car cela vient de Dieu»). Platon en dira dans son Timée (22b) que «la  terre noire d’Égypte détenait une sagesse antérieure et supérieure à celle des Grecs». Le terme apparaît dans le vocabulaire français au XIVe siècle, par le latin médiéval alchymia. Les mots alchimie et chimie sont restés synonymes jusqu’à l’éclosion de la chimie moderne au XVIIIe siècle.

Et dictum verbum dimissum ignoratur nisi sit doctor vel philosophus in hac parte  (et l’on ne peut connaître ladite parole délaissée [la parole perdue], à moins qu’on ne soit docteur ou philosophe en cette partie de la philosophie [l’achimie]). L’Alchimie, comme le dit René Alleau, ressemble à une science physico-chimique, mais elle est aussi, et surtout, une mystique expérimentale, un art initiatique à force d’efforts. Sa nature, est à la fois matérielle et spirituelle. Le but de l’alchimie est ce qui a plus de pureté et selon la définition de Martino Rulando : Alchimia eft impuri feparatio a fuftantia puriore  (l’alchimie c’est la séparation de ce qui impur de ce qui est plus pur).

L’alchimie, qui est sans doute née en Chine, puis s’est répandue jusqu’en Grèce, où elle fut illustrée notamment par le philosophe Démocrite, lequel l’introduisit en Égypte, est indépendante de toute religion et ses principes ne se rattachent pas au gnosticisme. Le concept fondamental de l’alchimie dérive de la doctrine aristotélicienne selon laquelle toute chose tend à atteindre la perfection. On considérait que tout métal était moins « parfait» que l’or. Il était donc raisonnable de supposer que l’or était constitué à partir des autres métaux enfouis profondément sous terre, et qu’avec suffisamment de dextérité et d’assiduité un artisan pourrait reproduire cette synthèse dans son atelier. Les efforts dans ce sens étaient tout d’abord empiriques et pratiques. Cet Art ancien, surtout pratiqué au Moyen Âge, fut donc axé principalement sur la découverte d’une Substance qui transformerait les métaux les plus communs en or  (en fait le même métal mais dans sept états différents à savoir : plomb, étain, fer mercure, cuivre, argent, or), et sur la découverte de moyens permettant de prolonger la vie des hommes. En effet, un autre objectif classique de l’alchimie est la recherche de la panacée (médecine universelle) et la prolongation de la vie, via un élixir de longue vie.

« L’alchimie est une sorte de philosophie : une sorte de pensée qui mène à une façon de comprendre » (Marcel Duchamp).

L’Alchimie est la Science de la Vie, de la Vie dans les trois règnes, elle a pour but de séparer le principe actif de la matière inerte. Elle étudie les causes et principes, la loi Universelle et éternelle de l’Évolution qui change insensiblement le plomb en or, et perfectionne l’Homme malgré lui.

Pernety dit : « c’est l’art de travailler avec la nature sur les corps pour les perfectionner. »

Elle est une discipline qui recouvre un ensemble de pratiques et de spéculations en rapport avec la transmutation des métaux ou d’autres composants tirés des règnes vivants. Les métaux sont vivants, ils croissent, fleurissent, s’épurent et deviennent de l’or.

Depuis, l’alchimie, sans abandonner son domaine d’action matérialiste, n’a cessé de s’affirmer comme une voie de réalisation de l’être, fondée sur l’enseignement de la philosophie gnostique qui doit guider les adeptes sur le chemin de l’amour et de la sagesse.

L’alchimie se définit comme reposant sur le principe de la permutation des formes par la lumière, le feu ou encore l’Esprit. Connaître ce feu et savoir le capter constitue le secret, jalousement gardé, de ceux qui se qualifient de disciples d’Hermès, par référence au fondateur mythique de cette science. Le Grand Œuvre Alchimique comporte (en exceptant la pré-préparation) une première phase : la Préparation, comprenant elle-même deux opérations la mortification et la séparation. Par Mortification il faut entendre l’action de concasser, de broyer et de pulvériser la Materia Prima. Quant à la séparation c’est proprement la mort de cette Materia Prima puisque nous voyons l’Esprit et l’âme de l’être minéral quitter le corps, c’est à dire en termes Alchimiques : Le Sel et le Mercure séparés du Soufre.

En tant que connaissance ésotérique, les textes alchimiques possèdent la particularité d’être codés et énigmatiques. Il s’agit d’un savoir qui n’est transmis que sous certaines conditions. Les codes employés par les anciens alchimistes étaient destinés à empêcher les profanes d’accéder à leurs connaissances. L’utilisation d’un langage poétique volontairement obscur, chargé d’allégories, de figures rhétoriques, de symboles et de polyphonie, avait pour objet de réserver l’accès aux connaissances à ceux qui auraient les qualités intellectuelles pour déchiffrer les énigmes posées par les auteurs et la sagesse pour ne pas se laisser tromper par les pièges nombreux que ces textes recèlent. À poursuivre avec le documentaire  Comment déchiffrer (presque) n’importe quel message codé ?

La pratique de l’alchimie et les théories de la matière sur lesquelles elle se fonde sont parfois accompagnées, à partir de la Renaissance, de spéculations philosophiques, mystiques ou spirituelles. « Pour développer l’intelligence, Dieu a caché dans la nature une infinité de secrets (arcanà) que l’on extrait, comme le feu du silex, et que l’on met en pratique, grâce à toutes sortes de sciences et d’arts. » L’alchimie sert alors essentiellement à établir un dialogue avec l’invisible, avec tous les corps invisibles, y compris celui de notre mère la Terre, et au-delà de la matière, à interroger la mémoire de l’Univers pour en découvrir son schéma de cohérence. L’alchimie s’occupe, en somme, à l’intimité de la matière

Les alchimistes du Moyen Âge interprètent le mythe d’Héraclès comme la figuration du combat spirituel qui mène à la conquête des pommes d’or du jardin des Hespérides, autrement dit à l’immortalité. C’est la troisième voie  animale à côté de la voie minérale et de la voie végétale.

L’alchimie ajoute l’exigence de connaissance à celle de la sagesse. Lege, lege, lege et relege. Labora, ora et invenies : Lis, lis, lis et relis. Travaille, prie et tu trouveras conseille le Mutus Liber. Cette conception exige, pour parvenir à son but (tu trouveras), l’acquisition préalable d’un savoir (activité d’ordre intellectuel : lege), puis un travail (activité d’ordre moral sur soi et d’ordre pratique au laboratoire : labora), puis une activité d’ordre spirituel (ora), s’adressant à la totalité de l’être, Esprit, Corps, Âme.

L’alchimie est présentée dans sa véritable nature par Jung, comme la réalisation d’une conscience supérieure (du Soi), comme l’Aurore, connaissance et sagesse mettant fin aux ténèbres (de l’inconscience). La Franc-maçonnerie considère le processus initiatique comme semblable à celui de l’Œuvre et ne manque pas d’en utiliser la symbolique pour suggérer le cheminement de la progression individuelle, vers un perfectionnement considéré comme la réalisation de la pierre philosophale dont le signe donné à voir est la rose ou le phénix.

L’initiation maçonnique et les symboles alchimiques sont d’une portée universelle. Certains francs-maçons, tels Jean-Marie Ragon ou Oswald Wirth, lient étroitement l’alchimie mystique et la maçonnerie ésotérique. Comme l’écrivait Fulcanelli dans Le Mystère des cathédrales : ” Qu’est-ce que l’alchimie pour l’homme, sinon, très véritablement, issus d’un certain état d’âme qui relève de la grâce réelle et efficace, la recherche et l’éveil de la Vie secrètement assoupie sous l’épaisse enveloppe de l’être et la rude écorce des choses. Sur les deux plans universels, où siègent ensemble la matière et l’esprit, le processus est absolu, qui constitue en une permanente purification, jusqu’à la perfection ultime.”

Au point de vue alchimique, les trois premiers grades représentent la préparation de l’œuvre ; les travaux de l’apprenti figurant les travaux matériels, ceux du compagnon représentant la recherche du véritable philosophique et le grade de maître correspondant à la mise dans l’athanor du mercure philosophique et à production de la couleur noire, d’où doivent sortir les couleurs éclatantes. Les processus alchimiques et la mise en œuvre de leurs principes notamment en repérant trois tendances, ouverture et fermeture, exclusion ou tri et participation ou mélange, concentration et diffusion rappellent les processus maçonniques.

On ne peut écarter l’idée que la métaphore de la réalisation de l’œuvre, de la transformation du plomb en or, serait «une imitation de Jésus Christ qui par la passion, la crucifixion, la mise au tombeau, la résurrection, la transfiguration et l’ascension transforma l’homme Jésus en Dieu-Christ» (Marc halevy, Les 33 marches maçonniques, éditions Oxus, 2019, p.32).

La méthode de l’alchimie est holistique c’est-à-dire qu’elle est intégrante en procédant par le tout, et non analytique comme la chimie.

Constant Chevillon n’a pas manqué de souligner l’analogie de la démarche maçonnique avec le Grand Œuvre. « Sur le plan matériel, c’est la transmutation des métaux vils en or, en d’autres termes, la découverte de la Pierre philosophale. Sur le plan animique, c’est la recherche d’un équilibre constant des forces vitales, la découverte de la panacée et de l’élixir de longue vie. Sur le plan spirituel, c’est la stabilisation de la conscience dans les hautes sphères intellectuelles, c’est la découverte de l’élixir de vie, ou, plutôt, d’immortalité. Ainsi le maçon est un alchimiste, mais dans ce dernier sens seulement. II ne travaille pas à la transmutation des métaux : son labeur quotidien consiste à perfectionner son humanité, à purifier, à développer sa conscience, pour en faire un feu vivifiant, un feu inextinguible ».

On approfondira avec intérêt la relation entre alchimie et Franc-maçonnerie sur le site Le miroir Alchimique.

Visionner le très intéressant documentaire de Planète, Le Secret des Alchimistes.

Cette notion de vitriol est couramment glosée aux REAA, var. RF, MM, mais en principe absente du RER où elle ne figure pas dans la chambre de préparation. VITRIOL n’est apparu qu’en 1962 dans le rituel de la GLDF. Dans les rituels anglo-saxons la notion n’est pas présente, on ignore jusqu’à l’existence du mot et de l’acronyme.

Le vitriol est une des drogues les plus utiles de la médecine ; on en tire quantité d’excellents remèdes, il s’appelle en latin vitriolum.

Le premier à évoquer le terme de VITRIOLUM  est Paracelse dans Congeries paracelsicae chemiae de transmutationibus metallorum, ex omnibus quae de his ab ipso scripta reperire licuit hactenus. Accessit genealogia mineralium atque metallorum omnium, ejusdem autoris, traduction de Gérardus Dorn, 1581 (p.144). 

L’anagramme de Visita Interiora Terræ, Rectificando Invenies Occultum Lapidem, Veram Medicinam,( (l’usage du V remplaçait le U),que l’on peut traduire par Visite l’Intérieur de la Terre, en rectifiant tu trouveras la pierre cachée, véritable médecine (qui est, bien sûr, la pierre philosophale),

Le vitriol est un minéral composé d’un sel acide et d’une terre sulfureuse ; il y en a quatre espèces, bleu, vert, blanc et rouge. Ce dernier est appelé colcothar naturel, ou chalcitis ; on tient que c’est un vitriol vert calciné par quelque feu souterrain ; il est le plus rare de tous les vitriols.

Quelques-uns des anciens chymistes, qui ont souvent exagéré dans leurs expressions en fait de remèdes, ont cru que ce nom était mystérieux et que chacune de ses lettres, faisait le commencement d’un mot, ce qui enseignerait le lieu où il faut chercher ce sel minéral, à savoir dans les mines qui sont les entrailles de la terre. On trouve ordinairement le vitriol proche des mines de métaux, quelquefois cristallisé naturellement mais, plus souvent, il est mêlé dans des terres et dans des marcassites, d’où il le faut retirer par la lessive, comme on retire le salpêtre.

On extrait du vitriol de certaines pierres nommées mâchefer, ou pierres d’arquebusade qu’on trouve dans les lieux où les potiers vont chercher l’argile. Quelquefois même cette argile ou terre grasse contient un peu de vitriol.

Dans la science minéralogique du XVIIe siècle, le vitriolum veneris représente Vénus. Sous cette forme, Vénus s’empare tellement du fer, qui est Mars, quand elle est en contact avec lui, qu’à la fin elle lui substitue son propre corps, faisant  évanouir celui de Mars. Dans son Testamentum, Basile Valentin signale les excellentes propriétés et les rares vertus du vitriol  « Le Vitriol est un notable et important minéral auquel nul autre, dans la nature, ne saurait être comparé, et cela parce que le Vitriol se familiarise avec tous les métaux plus que toutes les autres choses…Vitriol, est seul suffisant pour en tirer et faire la bénite pierre, ce que nul autre au monde ne pourrait accomplir seul à son imitation». Plus loin, notre Adepte poursuit « je t’ai confié cette connaissance que l’on peut, de Mars et Vénus, faire un magnifique vitriol dans lequel les trois principes se rencontrent, lesquels servent souvent à l’enfantement et production de notre pierre. »

La réalisation alchimique du Grand Œuvre utilise des noms de divinités installées dans l’univers planétaire. Aussi nommé Lion Vert, Saturnie végétale, Lune, Mercure, Arsenic, Vinaigre très-aigre, Feu secret, Mercure des Philosophes, électre, Lune des Philosophes, Nostoc, Sel des Sages, crachat de Lune, Archée céleste, Beurre de terre, Graisse de rosée, flos coeli, Laiton, Orpiment,…

Les substances alchimiques

En alchimie, les mots « mercure », « soufre » et « sel » ne désignent pas le mercure, le soufre et le sel habituels qui portent les mêmes noms dans la chimie vulgaire, ni d’ailleurs de corps quelconques,  ils désignent les trois principes fondateurs de toutes choses. Le Mercure est ce qui déstructure l’ancien système organisateur de la vie du profane, tandis que le Souffre représente ce qui structure le nouveau système organisateur de l’initié ; ce qui donne comme résultat une structure organisée que l’on peut appeler Sel. Hermès le dit autrement dans sa Table d’émeraude : le soleil est le père, la lune est la mère, mais que pourraient-ils faire s’il n’y avait pas entre eux le mercure qui est la semence ou le sperme minéral propre à la production de la pierre et par lequel ces trois se résolvent en un seul par la création de l’enfant philosophique qui est notre pierre ?   L’alchimie enseigne que tout l’univers matériel prend son départ dans les trois principes : Sal, Suphur et Mercurius, et selon qu’un corps a reçu plus ou moins de l’une ou de l’autre des ces énergies (pour recourir à une terminologie actuelle) il est plus ou moins volatil, réfractaire ou combustible. Le sel donne la fixité, le soufre rend combustible et le mercure instable confère la volatilité. Poursuivre avec la lecture  du Chapitre XII  de La Grande Triade Le soufre, le mercure et le sel, par René Guénon, à partir de la p.97.

«Ce trésor le plus grand de la sagesse terrestre, est une chose, et les principes de trois choses sont trouvés dans un, qui a le pouvoir de changer tous les métaux en un. Les trois choses sont le vrai esprit du mercure et l’âme du soufre, unis au sel spirituel et demeurant dans un corps; ils sont le dragon et l’aigle, le roi et le lion» écrit Basilius Valentinus (Lib. Nat et Supernat, c. 4).

Le souffre

Nom que l’on donne en général à toutes les matières inflammables dont on se sert dans la Chymie, telles que sont le soufre commun, les bitumes, les huiles, etc. Il est le feu enclos dans les choses. Le feu qui ensemence. En gec, θείο, le « soufre » est la racine du mot «divin» θεϊκός.

Il est actif dans la génération et par rapport au mercure. Son caractère actif le fait assimiler à un principe igné, il est essentiellement un principe d’activité intérieure, considéré comme s’irradiant à partir du centre même de l’être. Dans l’homme, ou par similitude avec celui-ci, cette force interne est souvent identifiée d’une certaine façon à la puissance de la volonté  Il réside dans le sel qui le retient et l’épaissit plus ou moins. La graine spirituelle du soufre est une information qui pénètre les formes solides. C’est un feu qui imprègne même les minéraux les plus durs. Le soufre garde en son centre le rayon de la lumière originelle. Il est le rayon créateur, l’information en action. On peut le rapprocher de l’esprit (pneuma), la matrice structurante en cours d’opération.C’est une chaleur fixée et latente qui ne consume pas, mais échauffe doucement. C’est le composé où la chaleur prédomine, ce qui s’exprime par la chaleur naturelle. C’est l’agent dynamique de la fermentation.

Il apparaît comme une substance oléagineuse et grasse qui s’enflamme facilement. Dans les végétaux, il apparaît sous forme d’essence, d’huile, de résine, de sève. Il réside dans les parties chaudes, essentielles et capiteuses des mixtes. C’est de lui que s’engendre la saveur. Les Philosophes ont donné à ce soufre une infinité de noms, qui conviennent tous à ce qui est mâle, ou fait l’office de mâle dans la génération naturelle. C’est leur or, qui n’est point actuellement or, mais qui l’est en puissance.

Selon le recensement d’Antoine-Joseph Pernety, on trouve ainsi le soufre sous les dénominations de soufre blanc, rouge, vif, de vitriol, noir, onctueux, narcotique, ambrosien, vert,  incombustible, vrai des philosophes, zarnet, occulte, de nature.

Le Mercure

Alias Hermès Trismégiste.

Pour l’abbé Terrasson, Mercure de Thèbes, que les Égyptiens regardent comme l’auteur de toutes leurs connaissances a donné son nom à ce métal liquide qui a su tiré du cinabre, et qui se trouve précisément le même que l’argent vif ;… et qui lui ont donné le nom de Prothée. C’est Mercure qui leur a appris à réduire les corps par la décomposition en leurs trois principes, le sel, le soufre et l’esprit.

L’élément volatil, la substance où l’humidité fluide et subtile domine. Il se présente sous forme aqueuse ou vaporeuse.  Il est la matière vierge, ce qui est structuré. Il est passif dans la génération par rapport au Soufre, représenté par la salamandre, mais il est actif par sa mobilité. Ce qui s’élève en fumée est Mercure, représenté par le serpent. Le Mercure instable confère la volatilité. Il est sujet à la sublimation. Il assure la liaison Soufre-Sel.

Pour Oswald Wirth, « La Lumière-Principe se manifeste par rapport aux êtres sous deux aspects opposés : elle converge vers leur centre sous le nom de mercure, puis elle rayonne de ce foyer radical à titre d’émanation sulfureuse. Le Mercure fait donc allusion à ce qui entre et le Soufre à ce qui sort ; mais entrée et sortie supposent un contenant stable, lequel correspond ce qui reste, autrement dit au sel. »

En raison de son caractère d’«extériorité», le considérer comme représentant l’«ambiance», celle-ci devant être conçue alors comme constituée par l’ensemble des courants de la double force cosmique. Tous les fluides présents dans l’univers (pluie, rosée), y compris les fluides vitaux de l’organisme humain, en sont une expression.

Dans les végétaux, le mercure constitue la partie animique de la plante et en détient l’odeur.

Le Sel

Symbole de nourriture spirituelle (baptême) et de partage (avec le pain), le sel évoque également l’incorruptibilité, mais aussi la stérilité. Pour les peuples sémites, manger ensemble le pain et le sel signifi e sceller un pacte ou se jurer amitié.

Au sens figuré, le sel permet de sceller un pacte, un contrat. « Tu n’omettras jamais le sel de l’alliance de ton Dieu sur ton offrande ; avec chacun de tes présents tu présenteras du sel. » (Lévitique 2, 13).

En alchimie, au sens strict, le sel n’est pas un principe, mais une conséquence de l’union du soufre et du mercure. Ce qui explique pourquoi les auteurs antérieurs à Paracelse le passent sous silence ou le désignent sous le nom d’arsenic. De l’action intérieure du Soufre et de la réaction extérieure du Mercure, il résulte une sorte de «cristallisation» déterminant, pourrait-on dire, une limite commune à l’intérieur et à l’extérieur, ou une zone neutre où se rencontrent et se stabilisent les influences opposées procédant respectivement de l’un et de l’autre ; le produit de cette «cristallisation» est le Sel, qui est représenté par le cube, en tant que celui-ci est à la fois le type de la forme cristalline et le symbole de la stabilité ; c’est la pierre cubique du symbolisme maçonnique”   (René Guénon, à partir de la page 100, La Grande Triade). 

Dans ce matériau solide qui soutient, qui donne la fixité, la sécheresse et l’aridité dominent. Mais il est doué d’une humidité, d’une fluidité, intérieure, comme cela se prouve par sa fonte. Il épaissit le mercure qui le dissout et il fixe le soufre. On peut le rapprocher du corps (soma), ce composé physico-chimique dont les tissus organiques s’élaborent à partir des sels inorganiques.Il est fixe et incombustible, résistant au feu dans lequel il se purifie. Il ne souffre point de putréfaction et peut être conservé sans être altéré. Il est principe de conservation et s’oppose à la corruption. Le sel des plantes mérite une attention particulière. Il est le pont entre les règnes végétal et minéral, le point d’entrée dans l’alchimie minérale.

Les alchimistes, comme les chimistes, travaillent avec un élément qu’ils appellent «sel». Mais ce qu’ils appellent sel, comme ce qu’ils appellent mercure et soufre, n’a rien de commun avec les substances chimiques du même nom. Seule la correspondance est identique : de même que le sel est en chimie le produit d’un acide et d’une base, il est dans l’alchimie le produit du soufre et du mercure. Par Soufre, il faut entendre le principe Masculin qui se manifeste en nous comme intellect et, plus haut, comme Esprit ; par Mercure, il faut entendre le principe Féminin qui se manifeste comme Cœur et, plus haut, comme Âme. Et le sel, en tant que volonté, représente l’équilibre qui doit idéalement régner entre les deux. La volonté s’exprime par des actes : c’est par ses actes que l’Être Humain révèle dans quelle mesure il a su créer l’Harmonie entre son intellect et son Cœur, entre ses pensées et ses sentiments. À travers son corps physique, il exprime les richesses de son Esprit et de son Âme, dont l’intellect et le Cœur sont les instruments.

Reliant les êtres et les choses, le sel peut mettre en œuvre sa fonction de conservation qui s’oppose à la corruption en rendant les êtres et les choses durables.

Le sel fait vivre la fonction de médiation qui est le rôle essentiel du Vénérable Maître entre les maçons.

Poursuivre avec l’article de Pierre Boyer, Le symbolisme et les traditions attachés au sel.

Remarquons que le sel (ח ל מ) et le pain (מ ח ל), en hébreu ont la même valeur guématrique,78, et sont des anagrammes l’un de l’autre.

Le quignon de Pain

Le mot pain est issu du latin panis, dérivé du sanscrit , nourrir. Il est étroitement associé à la symbolique du blé.

Le blé entre dans la vie de l’humanité au 8e millénaire av. J.-C. Cette céréale sauvage poussait en Asie du sud-ouest. À l’origine, elle était coupée à la faucille ; ses grains pilés dans un mortier. Le blé est domestiqué puis cultivé plus tardivement, notamment en Galilée. Ce bouleversement va progressivement transformer, définitivement, le devenir de l’Homme. De chasseur et cueilleur nomade, il va devenir, pour la première fois, sédentaire et producteur de sa nourriture ; il va apprendre à maîtriser le temps et à organiser sa vie en fonction de l’enchaînement immuable des saisons et du travail de la terre au rythme des récoltes.

Le blé, représente la Connaissance dont l’acquisition débute au moment où l’enfant amorce sa maturité intellectuelle ; dès lors qu’il aura goûté au blé nous dit la Kabbale. La guématrie confirme cette révélation en rappelant que la valeur de «‘Hitah» (le blé), égale à 32, est en lien étroit avec les 32 voies de l’écoulement de la Pensée créatrice au travers de l’Arbre de vie (les 32 voies de la Sagesse, les Lèv Nétivoth). Le blé poussait initialement sur un arbre du Gan Éden sous la forme d’un pain déjà cuit.

La fleur du blé à la fois mâle et femelle se féconde et donne naissance aux futurs grains de blé.

C’est au cours de la civilisation sumérienne (5000 à 2230 av. J.-C.) que remonte l’écrit le plus ancien concernant la fabrication  du pain levé. à Sumer, les boulangeries étaient rattachées aux temples ; là, étaient préparés les gâteaux utilisés pour les rituels du temple. Selon l’historien George Contenau, ces boulangers «préparaient les gâteaux sacrés que les dévots de la déesse Ishtar [l’Inanna babylonienne] émiettaient et laissaient pour ses colombes». Le grain était considéré comme la personnification d’Inanna et la farine était une substance sacrée tirée de son corps.

Vers 1850-1800 avant J.-C., les premières récits bibliques évoquant le pain sont mentionnées dans la Genèse 3,19 lorsque Adam fut chassé du jardin d’Éden, il lui est dit : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre d’où tu as été pris. »

L’Égypte avait assimilé le pain et le blé avec la lumière, les cycles de vies et l’éternité. Ainsi, manger le pain consistait à se nourrir du mystère universel, du triomphe de la vie sur les forces destructrices de la mort. Une inscription des pyramides déclare qu’en mangeant du pain, un défunt « avale l’esprit, avale le savoir et l’intelligence du dieu ». 

Pour les Grecs, le pain et le vin sont les signes d’une existence libérée de la sauvagerie. La «vie au blé moulu», supposant la domestication de la terre et l’organisation du temps et des saisons, est ainsi complémentaire de la maîtrise des forces obscures que représentent les puissances d’ivresse et de folie. L’épi est pour le pain ce que le raisin est pour le vin. L’un et l’autre constituent les conditions d’un équilibre (toujours précaire) de civilisation. Dans la Grèce antique, le premier repas du jour consistait en pain et vin pur, l’akratisme.

Lors des cultes de Mithra, on pense qu’il y avait un repas avec le partage du pain, de l’eau et du vin 

Le pain et le vin sont à la fois des aliments terrestres et de nature divine. C’est la quintessence des biens de la terre, offerts à l’homme qui les reçoit et qui, en compensation, honorera ses dieux et plus tard son Dieu, par ses offrandes. Dans sa longue histoire, jusqu’au XVIIIe siècle, le pain, l’aliment de base, était le symbole du sacré, de l’espoir, de la justice et de la stabilité. 

Le compagnon est celui qui partage le pain. Le repas en commun est l’acte communautaire  par excellence. Il est le signe et la source de l’unité. Il signifie l’union fraternelle des participants qui se nourrissent de la même substance et qui la répartissent équitablement. Il opère cette unité au moyen de l’action elle-même de réunion et de partage et au moyen de l’absorption d’une substance identique qui, intériorisée, transfigurera chacun des participants. Le partage du pain occasionne l’incarnation de la substance, en vertu du principe que nous devenons ce que nous mangeons : « Mangez du pain, mangez Osiris, le dieu gain pousse, Osiris renaît. » 

Le pain se dit en hébreu לחם de valeur 78. Partager en deux (39) il devient le kouzou (כוזו), la mise en mouvement du tétragramme (en faisant avancer d’un pas chaque lettre du יהוה cela donne כוזו de valeur 39) mais aussi la rosée tal (טַל de valeur 39). Parce qu’il y a partage du pain et du vin, il y a surgissement par l’éthique de la métaphysique, secret de l’eucharistie. À remarquer qu’en hébreu, “je suis avec [le] pain” a pour valeur guématrique 144 de même valeur que l’expression אחלקה  qui veut dire « Je partagerai ». C’est ce qu’Emmanuel Lévinas développe magistralement dans son livre Le temps et l’autre.

Au centre de la pensée kabbaliste, il y a le pain quotidien, le pain azyme, le pain du ciel et le pain de la honte (écouter le développement Grand est le manger par Marc-Alain Ouaknin :

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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