Nommé aussi « chambre des réflexions ». Le cabinet de réflexions semble avoir été utilisé à partir de 1735, inspiré par des symboles alchimiques.
À l’origine, le Cabinet de réflexion était un simple local où on plaçait le candidat pour l’effrayer. « Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit » (Khalil Gibran). C’est une caverne où se développe un récit à déchiffrer. Le profane est invité à s’asseoir en ce lieu. Il regarde les objets symboliques qui orientent sa méditation. C’est le passage du monde profane d’où il vient au monde sacré où il va. Il réside en ce lieu un long moment avant d’être admis aux épreuves de l’initiation et y rédige son testament philosophique.
Nous explorerons ce thème avec 3 articles qui aborderont : 1) cabinet de réflexions, entre mort et naissance, 2) cabinet de réflexions, un athanor alchimique, 3) cabinet de réflexions, repaire du temps qui passe.
Dans la vie profane, ce n’est qu’après le décès que le testament devient communicable et la transmission n’est que celui des biens matériels, en relation avec la mort, la disparition.
À l’opposé, le testament philosophique, écrit dans le cabinet de réflexion, sera lu, en tenue, devant l’assemblée des francs-maçons avant de commencer les épreuves de l’initiation du récipiendaire ; ce qui est transmis ne peut être de nature matérielle, et c’est d’une naissance qu’il s’agit.
Dans l’obscurité des gestations, le testateur fait le point, prend congé du monde profane et prépare ainsi sa nouvelle naissance symbolique, en offrant les traces qu’il souhaiterait laisser de lui comme un être de bien par les réponses aux questions posées : Quel est votre but en entrant en franc-maçonnerie ? Quels sont les devoirs de l’homme envers l’Humanité et la Patrie ? Quels sont les devoirs de l’homme envers lui-même ? Si vous étiez à l’heure de la mort, quel serait votre testament philosophique ? Dans cette première planche, par laquelle l’impétrant exprime sa philosophie de la vie avant de se préparer à un monde inconnu, se cherche le sens que la mort donne à la vie et les valeurs qui donnent du sens à la vie.
Au RER les questions sont plus orientées vers la foi
Le testament rédigé par l’impétrant est brûlé après son initiation, ses cendres « amorphes, image de la mort matérielle », remises au nouvel initié pour lui marquer la confiance de ses frères et sœurs en ses engagements pris lors de la cérémonie d’initiation.
La chambre de réflexion est longuement décrite dans Le Régulateur du Maçon.
REAA, RF, MM. Le cabinet de réflexion est un réduit peint en noir. L’éclairage est réduit, souvent par une bougie qui en est la seule source de lumière, le décor est macabre. Des objets sont posés sur une table. Des sentences avec un sens naturel sont écrites sur les murs : « Si la curiosité t’a conduit ici, va-t’en ! Si tu tiens aux distinctions humaines, sors, nous n’en avons pas ici ! Si tu crains d’être éclairé sur tes défauts, tu seras mal parmi nous ! Si ton âme a senti l’effroi, ne va pas plus loin ! Si tu persévères, tu seras purifié par les éléments, tu sortiras de l’abîme des ténèbres, tu verras la lumière ! » Ces sentences donnent sens au mot purification : l’intention qui anime le cherchant doit être débarrassée de tout appétit de pouvoir. On y trouve, rapporté dans Le rameau d’Or d’Éleusis (1863) d’Étienne Marconis les inscriptions ci-après: « Aime les bons, plains les faibles, fuis les méchants, mais ne hais personne. » « N’oublie pas que l’homme est fragile, et que pendant sa vie il est l’esclave de la nécessité, le jouet des événements… Mais console-toi, car la mort t’attend, et dans son sein est le repos. » « L’homme le plus parfait est celui qui est le plus utile à ses Frères… ». Cette étape signifie la rupture du candidat avec le monde profane qu’il a abandonné volontairement et symbolise son arrachement à sa situation sociale antérieure.
Au RER, le cabinet de réflexion est appelée Chambre de préparation et le décor est des plus épurés : mur noir, pas d’objet symbolique, juste une bougie pour s’éclairer, une carafe d’eau, (une sonnette pour appeler, du moins selon le rituel!), une bible et de quoi écrire pour répondre aux trois questions d’Ordre qui seront dévoilées à l’impétrant en même temps qu’un tableau représentant une tête de mort avec cette sentence, « la vie était souillée mais la mort a réparé la vie ». Tout invite le candidat, qui sera épaulé par le frère Proposant (le parrain), Préparateur et Introducteur dans ce qui est une exhortation au voyage intérieur. Renouvelé à chaque cérémonie de réception au grade supérieur, le passage dans cette chambre de préparation rythme au RER le cursus en loge symbolique d’apprenti à Maître écossais de Saint André.
Plus qu’un passage, le cabinet de réflexion est le lieu à revisiter sans cesse. Il procure des repères indispensables au voyageur qui poursuit sa quête. Il montre l’essentiel à celui qui entreprend le voyage. Il lui indique des sens (directions et significations) et par où commencer le chemin, notamment avec la mystérieuse formule V.I.T.R.I.O.L. Cet acrostiche ne fut introduit en Maçonnerie (dans les Loges bleues) que dans la deuxième partie du XIXe siècle, en 1750 dans les Hauts Grades. Il est un axe de progression vertical qui relie les plans entre eux.
Cette cosmographie est un miroir pour l’homme révélant la constitution de son être.
Le cabinet de réflexion est comme une caverne alchimique où se réalise un rite de purification ; une matrice dans laquelle l’être renaîtra purifié.
Au Rite Ecossais Philosophique, le séjour dans la caverne est notablement sobre dans les détails, mais aussi plus éprouvant : pas de VITRIOL, pas de dessins, pas d’ossements, rien qu’un quignon de pain sec, un verre d’eau et une table avec du papier, éventuellement un sablier.
Pour que ce rituel de vie et de mort puisse être efficace et aboutir à la purification du profane, il lui faut encore un puissant symbole, un témoin psychique permettant de relier les vivants aux morts, un lien puissant exprimant la chaîne ininterrompue entre les Maîtres passés à l’Orient Éternel et le profane qui aspire à reprendre le flambeau en devenant franc-maçon à son tour. Ce témoin psychique est un véritable crâne humain, posé près du profane, et devant lequel se trouve écrit ces mots : « J’étais ce que tu es, tu seras ce que je suis ! » (on poursuivra la réflexion sur le crâne dans l’article du 28 février: « Le cabinet de réflexion repaire du temps qui passe »)
Le cabinet de réflexion raconte la mort et la renaissance avec la descente au cœur de la terre, dans la caverne, la nuit obscure des gestations, la terre fécondée, l’eau purificatrice et fertilisante, la matrice aveugle et la grotte protectrice, la source, les profondeurs d’où surgit l’être revivifié par le bandeau enlevé. Éclairé d’une seule bougie, il représente le chaos, origine primitive de toutes choses, état d’obscurité du profane qui n’a pas encore reçu la lumière.
Le cabinet de réflexion n’existe pas dans les rituels anglo-saxons. Cet usage n’est pratiqué ni au Rite York, ni dans les Rites américains..
Dans le Rite Forestier, le postulant, appelé Guêpier ou Briquet, est enfermé dans une Cabane.
La caverne
« Au 3e siècle (252), sept jeunes chrétiens (Maximien, Malchus, Marcien, Denis, Jean, Sérapion et Constantin) originaires d’Ephèse sont condamnés par l’empereur romain Dèce, pour avoir refusé de renier leur foi chrétienne en un Dieu unique et de se soumettre au culte impérial et ses idoles. Condamnés à l’exil, ils s’enfuient. Ils trouvent refuge dans une caverne mais retrouvé par les soldats romains, ils sont emmurés vivants dans la caverne avec leur chien, qui les avait fidèlement suivis. Ils se réveilleront en 408 ou en 447, sous le règne de Théodose II, vivants et dans le même état de jeunesse. L’un deux sort de la caverne et descend dans la bourgade pour acheter des vivres. Il paye avec une pièce d’or datant de l’empereur Dèce, mais cette pièce n’a plus cours aussi le bruit se répand qu’il aurait trouvé un trésor. Afin de prouver sa bonne foi il emmène les autorités religieuses et l’empereur dans la caverne, mais avant d’y pénétrer il demande à parler avec ses camarades qui unanimement décident de rester dans la caverne et demander leur mort à Dieu. Dans une autre version, ils témoignent de leur « résurrection », puis disparaissent ». Voilà l’histoire de ces sept Dormants et qui fait consensus dans les 3 religions du livre (surtout dans le coran, sourate XVIII, et chez les soufis). Le point de départ de cette histoire est la foi totale dans leur religion, la soif de vérité, d’Absolu et d’unicité semble être un préalable à l’exil rédempteur, ils choisissent ainsi le sacrifice de soi porté par leur foi. Selon Ibn Arabi ces sept dormants forment une figuration de chevalier spirituel, lequel va seul à la conquête de sa conscience profonde en entamant ce voyage sans retour vers Dieu. Il s’agit d’opérer cette plongée dans les profondeurs régénérantes de la caverne et sortir de l’état de dépendance et d’asservissement, caractéristique de notre conscience ordinaire, pour atteindre l’état de discernement d’une réalité autre que celle du monde profane et qui prend racine dans ces mondes intermédiaires qu’Henry Corbin a qualifié de mundus imaginalis ou monde imaginal, monde qui permet d’accéder à la connaissance effective, dont la moindre parcelle vaut plus que tous les raisonnements qui ne procèdent que du mental, de connaissance, rappelle René Guénon qui ne peut se faire que par l’âme et l’esprit. Dans cette caverne et durant deux ou trois siècles va se produire la dormition, étape importante de spiritualité.
« La caverne dans la symbolique universelle est un lieu central où s’effectue une transformation (mort, renaissance, initiation) ou bien un lien avec l’autre monde. C’est un espace sacré réel, physique, pouvant aussi être mental, dans lequel se passe quelque chose, soit au niveau individuel, soit au niveau cosmique. Pour Guénon, la caverne est le centre, l’origine, le point de départ, indivisible, l’image de l’unité primordiale. De la Grèce antique (Platon) à l’Extrême-Orient, elle est conçue comme l’image du monde, le lieu de la naissance et de l’initiation, parfois aussi symbolisant le cœur. En tant que lieu et centre, la caverne est considérée tantôt comme un réceptacle d’énergie tellurique, ceci pour la caverne souterraine, tantôt comme un lieu illuminé par rapport aux ténèbres de l’extérieur, car une initiation y a lieu et l’initiation, la seconde naissance, est une illumination. En effet, la caverne qui serait en même temps lieu de mort initiatique et un lieu de seconde naissance, donne accès à la fois aux niveaux souterrains et aux niveaux supra terrestres. Là s’effectue la communication avec les états supérieurs et inférieurs : elle devient donc centre du monde, tous les états s’y reflétant.
En tant qu’archétype de la matrice maternelle (regressus ad uterum), la grotte et la caverne, comme la matrice, symbolisent les origines, les renaissances, ceci surtout au Proche-Orient. Elle est donc le lieu de naissance, de régénération et d’initiation comme nouvelle naissance, mais aussi un lieu de passage de la terre vers le ciel, ou du ciel vers la terre, ainsi que le lieu où se fait un passage des ténèbres à la lumière. Guénon (p/185 à 216 Symboles de la science sacrée) explique : mort et naissance sont les deux faces d’un même changement d’état et ce passage d’un état à un autre doit toujours s’effectuer dans l’obscurité. » Poursuivre l’indispensable lecture de ce texte résumé par Georges Flour, La caverne, archétype initiatique.
Retrouver Les origines de la légende de la Voûte par Pierre Mollier.
Documents : page 90 Histoire ecclésiastique. Tome 4 par l’abbé Fleury.
Et note 1 à partir de la page 31 Nouveau catéchisme des francs-maçons de Louis Travenol,, contenant tous les mystères de la maçonnerie…précédés de l’Histoire d’Adoniram.
Illustration, composition personnelle à partir de dessins de Pierre Yves Trémois