Les mots sont importants en maçonnerie. Derrière les mots se cache une réalité complexe, difficile à saisir et c’est le travail de l’initié de les décrypter. Seul un lent et persévérant travail sur soi permet d’approcher la vérité des mots.
Comment et pourquoi utilisons-nous des mots dans des rhétoriques qui ont la prétention d’être des concepts universels ?
« Il ne faut pas prendre les mots pour des idées » nous disent certains rituels.
Nous avons impérativement besoin de mots pour partager avec l’autre nos réflexions, nos pensées, nos émotions, notre amour et l’empathie que nous ressentons pour nos frères et sœurs en humanité.
Car les mots manifestent toujours l’état de nos représentations intimes au moment où nous nous exprimons. Ils sont l’expression de nos idées conscientes ou de notre inconscient dont nous ne savons pas grand-chose.
Certes, les mots meuvent mentir, les mots peuvent trahir, les mots peuvent dissimuler.
Ils peuvent être en contradiction avec nos actes. Nous en avons de multiples exemples, y compris dans nos loges. Parler de fraternité, de tolérance, de respect des idées contraires, c’est bien. Le faire dans ses actes et ses comportements, c’est mieux !
Mais, en polissant nos mots et en les assemblant en pensées cohérentes, nous tentons de dire sincèrement le Vrai, le Beau et le Juste. Tout en sachant qu’ils ne seront jamais que des mots substitués.
« Nous ne savons qu’épeler… » entends-t-on parfois sur nos colonnes.
C’est parce que nous sommes conscients des limites de nos mots que nous avons recours au langage symbolique qui va au-delà des mots. Le symbole élargit notre regard sur le monde et sur nous-même. Il est interprétation du réel, tant à travers de la raison qu’à travers de l’intuition et de l’imagination.
Il nous permet des perceptions multiples, voire contradictoires qui ouvrent au mystère.
Et malgré toutes les limites des mots, je voudrai conclure en les glorifiant tous, y compris les mots grossiers.
Dans l’ambiance policée de nos loges où la prise de parole est codifiée, où le choix des mots est important, où l’on distingue entre le signifiant et le signifié, comme oser parler de grossièreté et plus encore d’en faire l’éloge ?
Rassurez-vous, il ne s’agit pas de défendre la grossièreté ou les mots grossiers, mais de défendre leur existence dans le monde profane.
Vous avez sûrement entendu parler du choix du Scrabble d’éliminer certains mots du jeu. Au départ, il s’agit d’éliminer les mots ayant des connotations insultantes, racistes ou homophobes.
Dans le but d’être plus «inclusive», la société éditrice du jeu Scrabble, Mattel, a annoncé vouloir exclure une soixantaine de mots français, notamment lors des compétitions officielles, les jugeant «racistes et discriminatoires».
Pourquoi pas… encore que les psychiatres nous affirment que le mot « chien » ne mort pas !
Mais la révolution Woke, puisque que c’est sous son influence que certains veulent purifier le langage, en demande toujours plus. A titre d’exemple, le mot « jésuitique », qui rapportait jusqu’à 200 points, est éliminé ! On se demande qui il peut offenser ?
Si l’utilisation de mots connotés et offensants à l’égard des minorités est à éviter comme en conviennent certains joueurs, il n’en reste pas moins que ces termes existent. « On ne peut désinventer les mots » écrit un représentant de la communauté des joueurs. Le corédacteur de la liste des mots admis au Scrabble Darryl Francis écrivait en 1980 « Les mots ne deviennent des insultes que lorsqu’ils sont utilisés dans une intention dérogatoire ».
Au-delà de cette anecdote, la police des mots devient une réalité que les maçons ne doivent pas prendre à la légère. Cette épuration du langage n’est qu’une des manifestations de cette idéologie woke qui veut abolir nos références historiques, nos traditions et notre culture occidentale.
L’alibi de la défense des minorités, louable à l’origine, s’est transformé en accusation de notre civilisation occidentale en général et de l’homme blanc hétérosexuel en particulier.
La liberté d’expression est amoindrie par la dictature du langage où tout ce qui peut blesser et choquer doit être interdit. Ce nouveau totalitarisme est d’autant plus dangereux qu’il prétend s’exercer au nom du Souverain Bien. Et ne pas y adhérer revient à être renvoyé dans le camp du Mal. Et dans la lutte entre le Bien et le Mal, tous les moyens sont bons pour imposer le Bien et abolir le Mal.
De la défense de la société inclusive, on aboutit à une société qui exclut, qui abolit les libertés fondamentales d’opinion et d’expression et qui finalement conduit à la mort sociale des individus surpris à faire le moindre pas de côté, à faire la moindre transgression.
- Plus besoin de rechercher la vérité quand on est persuadé qu’on la détient.
- Plus besoin de respecter les avis contraires qui pourraient être irrespectables.
- Plus besoin de tolérance puisqu’il ne faut plus tolérer ce que certains définissent comme intolérable.
Alors méfions-nous de la tentation de bannir toute pensée qui nous parait dérangeante.
Quand on veut éliminer les mots qui nous gênent, on peut facilement passer à l’élimination des opinions que nous gênent, et pour certains régimes totalitaires à l’élimination des individus « déviants ». Et pas seulement dans le monde de « 1984 » de Gorges Orwell ou la novlangue devient la langue officielle. Les exemples contemporains abondent, et par seulement en Chine ou en Iran. Le franc-maçon, s’il ne veut pas se payer de mots, belle expression qui distingue la pensée de l’action, se doit d’être un combattant dont les premières armes sont les mots qu’il utilisera avec son discernement et avec comme seul juge sa conscience éclairée par la pratique de nos rites.