Des psaumes salomoniens à une approche socio-initiatique de la Bible
Allumons ensemble notre imaginaire…
Nous sommes en 1250 avant Jésus Christ, au pied du Mont-Sinaï, dans le djebel Mousa, où les Hébreux sortis d’Egypte ont installé leur camp. Soudain, ce matin-là, alors que le soleil levant incendie la voûte céleste, une batterie de trompettes déchire l’air. Suivent éclairs et grondements de tonnerre ! La terre tremble. Un fracas qui réveille en sursaut les milliers de nomades réunis, couchés à même le sable, serrés les uns contre les autres.
Comme s’il attendait ce signe de Dieu, Moïse, leur imposant chef charismatique, surgit torse nu de sa tente plantée sur un promontoire. Sa longue chevelure blonde rejetée sur ses épaules, il lance vers le ciel un regard d’acier.
« Viens jusqu’à moi ! ». Moïse reconnaît la vibrante voix divine qui résonne au-dessus de sa tête. D’un geste de la main, il intime le silence à son peuple. Et seul, altier, Moïse s’avance, en s’enveloppant dans sa tunique blanche. Il monte d’un pas lent vers le sommet de la montagne, peu à peu enveloppée d’un épais nuage de fumée, couleur d’encre. La voix du Dieu d’Israël s’élève à nouveau : « Approche ! Viens recevoir de mes mains les tablettes de pierre sur lesquelles j’ai écrit les Commandements de la Loi, pour que tu les enseignes aux tiens ! ». A cet ordre, Moïse se retourne encore une fois vers eux, puis disparaît derrière le rideau de fumée noire.
Il en ressortira 40 jours plus tard, dans une trouée de lumière éblouissante, brandissant les deux pierres plates noires gravées, afin de donner les consignes divines à son peuple de fugitifs qui l’a patiemment attendu. Pour partir avec lui vers un destin commun…
De la Torah à la Bible
…En remettant à Moïse ces tables de la Loi, prémisses de la Torah, Dieu vient d’indiquer à l’humanité que son outil de communication est le Verbe. Selon la poétique de l’époque, il a abaissé le ciel d’où il vient et s’est mis au niveau de l’homme. Ce qui engage l’homme en retour à élever sa pensée vers le ciel, que sa courbure désigne comme royaume de la perfection. Il en déduit qu’il est invité à la verticalité mystique pour se parfaire. Et à l’horizontalité sociale pour communiquer avec ses semblables.
Ainsi, de la légende, vont naître, puis s’ancrer dans l’inconscient collectif, deux archétypes universels : la symbolique du carré, image de la terre et de la matérialité, et celle du cercle, représentation du ciel et de la spiritualité. Ainsi apparaitront du même coup dans les mythologies méditerranéennes, les premiers outils pour tracer, l’un la ligne droite, l’autre la courbe : l’équerre et le compas, qui nous sont familiers. Avec le symbole, viendront les métaphores, dont celle du sang et de l’encre. Le sang, c’est celui des hommes, guerriers par nature, qui ne cessent de s’entretuer. L’encre, c’est le fait des milliers de pages qui seront noircies au fil du temps par l’écriture des « massorètes », les scribes savants, rédacteurs des livres de la Bible.
Le sang et l’encre, le rouge et le noir, ce sont le rouge de la vie et le noir de la vie écrite, mémorisés dans le Volume sacré. Cette dualité suit les hommes, depuis Abraham et Moïse. Après eux, Saül, premier roi des Hébreux sera aussi le premier conservateur des tables de la Loi, puis David le second. Salomon, son fils, le troisième…
…L’évocation de cette filiation nous permet soudain de faire un bond dans l’histoire et le temps, 3250 ans derrière nous. Et, par un saisissant raccourci, de diriger notre regard vers cette Bible sur l’autel des serments, ouverte au Livre des rois, lors de chaque tenue, mais dont nous ne tournons jamais les pages ! Je me le permets ici, en « socio-analyste », pour la circonstance.
Toutefois, avant d’aborder les Psaumes, qui tiennent une place si particulière dans ce livre saint, il me paraît judicieux de nous demander : Qu’est-ce au juste que la Bible, que notre rite a pris pour référence ? Qu’est-ce que ce « Maître-livre », en fait recueil de 66 autres : 39 livres pour l’Ancien Testament, la Torah, signifiant « Révélation » en Hébreu et 27 livres pour le Nouveau Testament. Autant d’ouvrages additionnés, et rédigés sur plus d’un millénaire. Cette « écriture verbale » devenue en soi une bibliothèque, a précisément commencé au désert avec Moïse : « Etoile du berger » pour des générations de croyants, la Bible constitue en même temps le grand « reportage » de multitudes d’histoires d’hommes et de femmes. Donc des récits de rencontres, d’alliances, d’amours, de trahisons, de ruptures, de guerres, de morts. Témoignage grandiose de la foi monothéiste, elle demeure aujourd’hui un modèle de vie, une philosophie, pour des millions de gens sur la planète, dévots ou non.
Il faut pourtant admettre que cette toujours jeune Bible, traduite en quelque 2000 langues et continuel « best-seller » de librairie, est une bien lointaine parente des textes originaux, d’abord traduite de l’hébreu puis écrite en grec, pour être lentement diffusée ensuite dans le monde entier. Le « Livre » s’est ainsi mis à vivre de nouvelles vies. Avec tous les changements de sens possibles, selon les éditeurs, les traducteurs, les cultures, les pays, etc ! Ainsi la Bible, n’est en aucun cas, ni « Le livre de la Vérité » ni « Le Grand Livre de l’Humanité », comme on l’entend parfois, fort abusivement. D’autant qu’elle ne reflète que la traversée d’une époque – fut-elle de dix siècles, courte durée à l’échelle du temps – sur une infime partie de la planète. C’est à dire un petit pays de l’Orient antique, Canaan, encore appelée « terre d’Israël », situé entre l’Egypte et la Mésopotamie. Un lieu de passage, à la fois champ de bataille et carrefour de civilisations.
Or, c’est un fait avéré, la Bible, cet ouvrage de fictions et de réalités, est connu dans le monde entier ! Comme sont connus de toutes les nations, grâce à la Bible – puisque nous ne disposons pas d’autres sources – le roi Salomon et son temple, monument plusieurs fois détruit, reconstruit et détruit à nouveau ! Peu importe d’ailleurs si cette royauté n’a jamais existé, comme le soutiennent encore certains historiens soupçonneux. Pour que les mythes, allégories, légendes et symboles vivent – la franc-maçonnerie le sait bien – il faut toujours les réinventer et les actualiser! Parce que ce sont eux, par les constantes métaphores permises, qui donnent de l’amplitude à notre réflexion.
Un premier survol de cette Bible nous met d’entrée sous les yeux des scènes d’horreur, avec des meurtres sanglants, tout au long des chapitres d’une longue histoire, qui, commencée en Canaan, passe par l’Egypte, la Mésopotamie, puis la Palestine, pour se terminer en Judée. Impression paradoxale devant le spectacle des plus bas instincts de l’homme en action – dominance, jalousie, rancœur, revanche, xénophobie, cruauté, crime – alors même que ce livre saint est donné pour un modèle d’amour et de paix ! Une lecture plus approfondie, plus réfléchie aussi, rétablit son véritable propos : de fait, nous pénétrons au gré des feuillets, dans la vie tumultueuse d’un peuple. Avec le regard et l’oreille du sociologue, la Bible devient un fantastique lieu de « mises en présence » les plus variées, des rois vaniteux aux gens de peu, des prêtres en adoration aux prophètes dénonçant l’injustice, des sages les plus éclairés aux révoltés les plus décidés, des femmes dévouées à leur famille aux enfants porteurs de lumière et d’espérance.
Au final, autant de photographies émouvantes, des vérités et contradictions mêlées de la condition humaine ! Autant d’époques traversées qui nous montrent que d’évènements tragiques peuvent naître des périodes de bonheur. Que de la peur, la colère et la tristesse peuvent surgir la joie d’être, de penser et de faire, pour bien vivre ensemble. Avec au fil de ces textes, une figure centrale, à la fois lointaine et proche, vivante et présente : celle du Dieu d’Israël, qui a révélé son nom, Yahvé, en apparaissant à Moïse, sur le Mont Sinaï.
Le Royaume de Salomon
Depuis cette révélation, les innombrables rédacteurs de la Bible, des premiers littérateurs israélites aux derniers auteurs de la primitive Eglise chrétienne, tous sont animés d’une même foi : ils ont la certitude que Dieu, le « seigneur » tel qu’ils le nomment, cet invisible créateur de l’Univers et de l’humanité, veut que ce peuple méditerranéen vive et se multiplie, se dépasse dans l’action héroïque et lui soit fidèle. De la sorte, avec cette croyance monolâtre qu’ils entretiennent, ces rapporteurs, comme tout le peuple d’Israël, officialisent le monothéisme. Contrairement aux peuples voisins, demeurés polythéistes.
Puisque Dieu est descendu du ciel, il est là, transparent mais présent. Parmi les hommes qui souffrent, luttent et pleurent, qui rient et sont heureux aussi. Puisque ce Dieu est adoré, il faut lui consacrer une terre. Cette ferveur institue la notion « d’espace sacralisé », ce que sera précisément le « royaume sacré de Salomon ». Quel est ce royaume ? Après leur sortie d’Egypte avec Moïse, les Israélites ont rejoint cette « terre promise » de Canaan. Là, ils s’y organisent en ces royautés successives précitées, jusqu’à celle du roi Salomon. Sous son règne, le territoire comprendra Israël au nord, avec pour capitale Samarie et Juda au sud, avec Jérusalem.
C’est tout ce royaume qui devient sacré, c’est à dire dédié à Dieu. Il s’inscrit dans dix cercles concentriques où sont sacralisés, de l’extérieur vers le centre, dans l’ordre : le pays d’Israël, ses cités fortifiées, la ville de Jérusalem, le mont Moriah sur lequel sont construits le palais et le Temple, l’enceinte de ce Temple, le parvis des femmes, le parvis des israélites, le parvis des prêtres, le sanctuaire. Et enfin, au centre de l’ensemble, le saint des saints, lieu de conservation de l’Arche d’alliance, écrin des tables de la loi.
Cette notion de centre géographique et même « théographique » si je puis dire, est essentielle au temps du roi Salomon. Elle sera reprise par les bâtisseurs de cathédrales, qui ne les ont pas posées n’importe où, mais bien au milieu de la cité. Ce n’est pas par hasard, si les maçons opératifs, ont choisi le Temple de Salomon, construit à Jérusalem en 967 avant JC, comme « symbolique centrale ». Et si, après eux, les maçons « spéculatifs » que nous sommes, la perpétuons aujourd’hui ! Le mont Sinaï est en soi un centre initiatique, le mont Moriah, un autre : deux centres de ralliement autant que des bases de départ. Les Constitutions d’Anderson, désignant la franc-maçonnerie comme centre de l’union, ne disent pas autre chose : rassembler d’abord ce qui est épars, en un point central, et rayonner ensuite. Alors que le Temple de Salomon est la maison de Dieu, la loge maçonnique elle, est la maison des hommes. Au vrai, le centre d’un cercle fictif, d’où nous partons vers la cité.
Il y a encore et toujours à s’interroger sur ce cercle en forme de roue indiquant le mouvement, et sur son point central qui rayonne en étoile, stylisation de l’homme, puis qui devient un triangle, à même d’indiquer les trois temps de la vie humaine, passé, présent, futur. Le centre est en soi une force, fédératrice parce qu’elle regroupe, et protectrice parce que, dans l’esprit humain, elle porte en elle, sécurité et espérance. En termes de construction monumentale, la combinaison du point central et de la surélévation, à l’image du mont Moriah, confirme le prestige et la durée, œuvre des bâtisseurs. N’oublions pas qu’au temps salomonien, la terre est pensée comme une plate-forme ronde dont le centre est le jardin d’Eden, près de Jérusalem et le ciel imaginé telle une calotte sphérique. Soit deux cercles superposés. Dans la fantasmatique humaine moderne qui a toujours besoin de « reliance », la verticalité est restée en quelque sorte, l ‘échelle galactique permettant de passer du terrestre au céleste, demeure attribuée à la force suprême. De ce point de vue, la verticalité fonctionne avec la croyance. Dieu est toujours désigné par les hommes, instinctivement, non en fixant le sol, mais les yeux vers le ciel, vers la voûte étoilée, cercle à la fois indéfini et infini.
Les psaumes de David
Mais au-delà du regard, comment vraiment communiquer avec le divin ? Très tôt, semble-t-il, l’homme a éprouvé le besoin de parler aux Dieux supposés, ensuite au Dieu unique imaginé, afin d’« échanger » avec lui. Sans doute après qu’il se soit dressé sur ses deux jambes, qu’il ait pu lever les bras, puis possédé un langage articulé. Ainsi, au cours des siècles a pris forme la prière, témoignage d’adoration, mais encore, conjuration de la peur et du doute. Croire en Dieu, n’est-ce pas une tentative désespérée pour refouler une idée insupportable…Croire ne serait-ce pas en vérité un refus de croire : Que nous sommes seuls, abandonnés et emportés par notre vaisseau, dans l’immense océan cosmique ! Un tragique accident dans l’histoire de l’univers en marche? Non, au temps biblique, ce doute n’existe pas ! En témoignent dans le Livre saint en début d’écriture, les psaumes qui vont y prendre progressivement une place particulière. Puisque toute divinité impose une idée d’élévation, traduite matériellement par de hauts édifices lancés vers le ciel – telles les Pyramides d’Egypte et tous les temples dont celui de Salomon et les cathédrales plus tard – il s’agit donc d’élever aussi l’esprit de l’homme jusqu’au Seigneur ! La parole humaine permet de remplir cet office : ainsi vont naître ces psaumes (littéralement des airs joués sur des instruments à cordes et chantés), attribués au roi David, parce qu’il était poète et musicien, mais de fait, composés tout au long de l’histoire d’Israël. Autant de textes poétiques d’abord « psalmodiés », c’est le terme, par les israélites, au temps de l’Ancien testament, puis ensuite par les chrétiens, à l’époque venue des évangiles et des épîtres.
Quand j’évoque une communication avec Dieu, le terme est d’évidence impropre, puisque, par définition, il s’agit d’un monologue. Mais cette expérience personnelle d’amour, conduit chaque « être priant » à la transcendance, à ce qu’il a de plus profond en lui, là où il est censé recevoir les réponses divines et éventuellement dialoguer à sa façon, en secret. A partir de ces psaumes, expression même du sentiment mystique, il est intéressant aussi de considérer les variantes de cette relation humaine avec l’absolu. Qu’il s’agisse de la prière, manifestation parlée ou chantée de dévotion, issue desdits psaumes, ou des états spirituels, comme la méditation ou la contemplation, ou encore des productions spectaculaires de cette vie spirituelle, telles les extases et les visions. Tels encore les dons surnaturels, permettant à certaines personnes, à l’aide de prières spécifiques généralement reçues par transmission, de guérir les brûlures ou autres maladies d’autrui.
Les psaumes, pour y revenir – textes traduits en vers libres, chacun de la longueur d’un feuillet dactylographié en moyenne – sont au nombre de 150. Ils ont été regroupés dans l’Ancien Testament, sous l’intitulé « d’écrits », et placés entre la trilogie « genèse – exode – prophètes » et la suite « cantiques – lamentations – chroniques ». Avec un psaume vite repéré, chantant la vigne et le vin (psaume 80), l’humoriste dira ici que ces textes ne peuvent être que sympathiques ! En fait, l’ensemble demeure d’une étonnante actualité. Parce que les attitudes religieuses décrites développent les mêmes émotions que nous ressentons aujourd’hui. Parce qu’aussi les prières décrivent le passé comme le bon temps, et le futur, comme celui des catastrophes inévitables. Parce qu’enfin, on y entend les accusés à tort protester de leur innocence, les fautifs faire repentance et les démunis demander un secours. Emouvants tableaux exposant l’angoisse existentielle du fils d’Adam…
N’ayez crainte, je ne débiterai pas ici les 150 psaumes, évocateurs de nombreuses situations humaines. Même si, je le précise pour l’anecdote, certains ordres monastiques n’ont pas hésité, pour leur part, à en faire une seule et longue prière au lyrisme surprenant, que les moines récitent trois fois par jour ! Examinons simplement quelques très courts extraits.
Titre du psaume Ier : « Le chemin du vrai bonheur » : « Heureux celui qui ne suit pas les conseils des gens sans foi ni loi …Cet homme ressemble à un arbre planté près d’un cours d’eau, il produit ses fruits quand la saison est venue et son feuillage ne perd jamais sa fraîcheur. Tout ce que fait cet homme est réussi. Mais ce n’est pas le cas des méchants : ils sont comme brins de paille, dispersés par le vent… ».
Que nous propose cet extrait du premier psaume, sinon une recette de bonheur, en distinguant le bien du mal. Malgré son apparente naïveté, ce psaume pourrait être lu aujourd’hui dans une classe, telle une maxime d’instruction civique !
Ecoutons le début du psaume 32, intitulé « La joie du pardon » : Heureux celui que Dieu décharge de sa faute, et du mal qu’il a commis. Heureux l’homme exempt de toute mauvaise foi…Je t’ai avoué mes torts, je me suis dit : je suis coupable !… »
Ecoutons aussi les premières lignes du psaume 51, intitulé « Appel au pardon » : « O Dieu, toi qui es si bon, aie pitié de moi, efface mes désobéissances, je t’ai désobéi, je le reconnais… ».
Que nous évoquent ces deux derniers psaumes, en forme de supplication, sinon le sentiment de culpabilité, ce mal bien humain, très antérieur au christianisme, on le voit, qui ronge l’homme depuis des millénaires et qui, avec la même constance, remplit aujourd’hui les cabinets des psychanalystes !
De quelle faute s’accuse l’homme à travers ces psaumes ? S’accuse-t-il d’être fautif du seul fait de se juger de naissance imparfaite ? Ou bien pense-t-il que Dieu s’est éloigné et l’a rejeté parce que, précisément, il renie son œuvre finale, l’espèce humaine, devenue si méchante ? C’est bien ce constat de solitude soudaine qu’exprimera au Seigneur, le Christ agonisant sur sa croix, en citant les premiers mots du psaume 22, écrit mille ans plus tôt : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, pourquoi restes-tu si loin de moi ? ».
Ce qui est frappant, à la lecture de ces psaumes, c’est l’évidence, je dirais, d’un « ordre surnaturel », qui a pu exister il y a trois millénaires, et de plus, bien supérieur à « l’ordre naturel et rationnel ». C’est clair, l’homme autoconditionne alors sa vie, submergé qu’il est par sa subordination au divin. La pensée magique est bel et bien au pouvoir, en chaque individu ! D’ailleurs, à ce propos, ne nous y trompons pas : les rois, Salomon compris, contrairement aux pays voisins, ne sont pas au royaume d’Israël, le fils de Dieu. Le roi en cour, n’en est que le fils adoptif. Il n’est donc de ce fait que son représentant auprès du peuple, c’est à dire une simple créature, louable ou critiquable. A preuve, le psaume 72, titré « prière pour le roi », une supplique pour que le monarque en place soit parfait dans son exercice ! C’est bien Dieu qui, dans la tête des hommes de l’époque, reste aux commandes suprêmes
Une autre lecture des psaumes
Au vrai les psaumes, qui constituent une sorte de Bible dans la Bible, racontent aussi l’histoire d’Israël. Ils vont tenir également après Jésus-Christ, une place centrale, à la fois dans la liturgie de la Synagogue, dans l’Eglise chrétienne, aussi bien que dans le Coran. Cette unanimité des trois religions du Livre en faveur des psaumes, signant l’inféodation totale de l’homme au divin, finira toutefois par lever une opposition intellectuelle. Précisément lorsque la cité démocratique viendra concurrencer la cité sacrée. Et opposer les hommes de raison aux gens de foi. De la sorte naîtra dans l’antiquité judéo-grecque, un débat théologique complexe, toujours pas clos aujourd’hui : celui du libre-arbitre et de la grâce divine ! Un débat qui en a ouvert un autre, devenu plus que jamais au XXIème siècle, une bataille idéologique, c’est à dire politique : le créationnisme contre le darwinisme!
Bien avant Darwin et sa thèse de l’évolution naturelle – et non surnaturelle – c’est la toute jeune philosophie grecque qui a ouvert le feu avec Epictète, il y a plus de deux millénaires. Pour ce philosophe, le « divin », c’est l’Univers constitué et non un Etre suprême. Beau joueur, il en accepte l’hypothèse mais en soulignant qu’elle n’est pas nécessaire puisque, dit-il, « il a été donné à l’homme toutes les ressources pour se diriger à travers ce qui arrive ». Pour sa part, le philosophe juif Maïmonide, affirme au XIIème siècle que tout homme, de son propre fait, a la possibilité d’être un juste, un méchant, un sage ou un sot. A la même époque, le philosophe arabe Averroès distingue à son tour les vérités rationnelles et révélées. Dès lors, à l’instar de ces philosophes, qui proposent un monde pensé sans Dieu, pourquoi nous aussi, ne pas opérer avec la raison, une autre lecture des psaumes bibliques ?!
Si l’on veut bien sortir du contexte religieux, il est certain que ces psaumes dégagent une riche symbolique que le franc-maçon, croyant ou non, à tout intérêt à explorer pour sa réflexion personnelle. Augustin pensait que le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien et l’Ancien dévoilé dans le Nouveau ! Sans aller jusqu’à rechercher moi-même un sens caché dans chaque psaume, je me contenterai pour conclure de pointer – en socioanalyste dans le sillage du théologien – la puissance évidente de ce qui envahit la totalité du champ d’observation « psalmique » : à savoir, le discours ! Au commencement était le Verbe, dit précisément le Bible. Ici, ces 150 prières, écrites au présent, nous mettent aussi en permanence en relation avec le passé mais également le futur, grâce au langage. Sans celui-ci, je ne peux pas penser mon rapport au temps. Avec les mots, en effet, il m’est loisible de rendre présent hier et demain ! Nommer, c’est faire exister. Je peux ainsi structurer ce qui est absent !
La lecture d’un psaume me demande une disponibilité mentale, laquelle, au fil de chaque thème exploré, me met en relation avec un passé révolu, c’est le souvenir. Cette même lecture me connecte à un futur qui n’est pas encore, c’est l’attente. Et elle me met en rapport avec le présent que je vis, c’est l’attention. Alors et seulement, j’assimile le contenu du psaume et m’en nourris vraiment jusqu’à le faire vivre en moi, qu’il s’agisse d’un cri de souffrance morale ou de l’expression d’une colère contre les méchants, d’un élan de reconnaissance pour le Créateur ou d’un hymne joyeux à la beauté de la nature ! Sans aller jusqu’à évoquer une « bibliothérapie », je dirais que la Bible constitue un superbe écran d’auto-projection à valeur initiatique. A la visualisation mentale des scènes bibliques, je ressens ma propre fragilité, mais aussi que mon angoisse existentielle peut s’apaiser par la vraie rencontre de l’autre, cet autre moi. Ici, se rejoignent Bible et franc-maçonnerie.
Animé par cet « esprit psalmiste », je ne présente pas seulement un texte. Je me dois d’être triplement attentif : attentif au souvenir de ce que j’ai déjà lu, attentif à ce qui suit sur mon feuillet, et d’évidence attentif à ce que je vous dis en ce moment, si je souhaite obtenir votre écoute et réflexion. Les trois temps sont donc à penser ensemble, pour que je communique au mieux, à la fois avec moi-même et vous. Ce processus vaut autant pour la forme que pour le fond : communiquer, c’est s’installer dans le cœur de l’autre.
Au risque d’opérer un rapprochement hardi – en socioanalyste et non en religieux, je me répète- les psaumes me renvoient pour ma part, à notre rite et ses rituels. Certes, je ne confonds pas les deux textes : dans leur « verticalité » les psaumes, le plus souvent déclamatoires, s’adressent à Dieu, avec davantage de points d’exclamation que de points d’interrogation. Dans leur « horizontalité », nos rituels, eux, sont basés sur un système de questions-réponses, entre interlocuteurs humains, identifiés en loge. Mais, en osant une métaphore, je pense que les psaumes, en forme de branche verticale de l’équerre dressée, peuvent rejoindre et nourrir notre pratique du rite, lui-même en forme de branche horizontale de cette même équerre.
Une tendance naturelle, accentuée par l’utilisation d’un langage fleuri d’hier, entretient notre présent maçonnique dans ce confortable passé. Or, de mon point de vue, nous avons à faire l’effort d’inclure le futur dans notre vécu rituellique. C’est à dire d’ouvrir de nouvelles portes avec notre clé d’ivoire. Pour chercher ensemble des idées neuves, pour ensemencer d’autres jardins à transmettre à nos suivants. C’est cela aussi la tradition d’avenir. Produire et non seulement reproduire.
Certes, le futur, c’est avant tout, une durée variable pour chacun d’entre nous, qui en cela même peut nous effrayer et nous suggérer son évitement. Le futur, c’est aussi dans nombre d’esprits, la chimère, l’illusion, l’utopie. Cet Art que nous appelons «Royal» peut être aussi perçu comme tel. C’est pourtant l’entretien d’une utopie qui a permis à l’homme de réaliser l’un de ses plus beaux exploits, en posant une fusée habitée sur la lune !
Abraham, Moïse, Saül, David, Salomon, chacun les yeux levés vers le ciel…ces héros bibliques ne pouvaient pas savoir que quelque 3 300 ans après eux, un homme de Dieu, le Pape Paul VI, prolongerait leurs gestes révérencieux de façon spectaculaire. Le 20 juillet 1969, l’astronaute et franc-maçon Eldwin Aldrin, dépose sur le sol lunaire – à côté du drapeau américain et d’un fanion orné de l’équerre et du compas – un étui mystérieux. Que contient-il ? Le texte enroulé du psaume 8 « Grandeur de l’homme aux yeux de Dieu » que le Pape lui a confié, afin qu’il l’emporte dans l’espace sidéral, à la gloire du Seigneur !
Qu’entendre dans cette symbolique en mouvement, sinon le message ultime des psaumes bibliques, tant pour le croyant que le laïc, maçon ou non, que nous murmure la voix intérieure de notre conscience, interprétable pour qui veut, comme une réponse céleste : « Prends de la hauteur, retrouve ton contact avec l’univers, élargit ta pensée, ton regard et ton cœur !».Nous rejoignons alors l’écrivain Marcel Proust quand il dit :« Le véritable voyage de découverte consiste moins à chercher de nouveaux paysages qu’à nous offrir de nouveaux yeux ! ».