Le sémantisme, *mirari, est strictement latin, sans étymologie connue, et désigne ce qui est étonnant, merveilleux, avec une teinte d’étrangeté. De quoi susciter l’admiration face à ce qui relève du miracle. Comment ne pas déguster la suavité de cette prune à la couleur originale, la mirabelle ? Le bœuf miroton doit peut-être aussi son appellation à ce sémantisme.
Le miracle a toujours suscité des réactions d’adhésion irréfléchie, même lorsqu’il relevait de la supercherie. Ainsi les mireurs d’urine faisaient croire à leur don de double vue, aussi charlatans que les thaumaturges, artisans de miracles au sens propre du grec. Mirage, certes, comme ce miroitement entrevu de l’oasis salvateur pour l’assoiffé du désert.
Mirer, miroir, le regard est toujours présent. Tel celui de Narcisse qui se plaît mortellement à sa propre contemplation. Tel le regard sinistre que portent les miradors aux angles des prisons.
« Miroir, mon beau miroir, dis-moi… » L’épreuve, définitivement bouleversante, du miroir est au cœur de l’initiation. Qu’elle s’assortisse du danger de l’« ennemi » qu’on y rencontre peut-être, qu’elle soit la découverte qu’opère le très jeune enfant dans le miroir, étonné et rieur, de ce qui lui renvoie une « altérité », dont il prend peu à peu conscience, dans une lucidité à risque mais vitale. Même si, très confusément encore, il ne saisit pas qu’il s’agit d’une image différée, inversée de sa propre face, mais de la fulgurance d’une étrangeté, d’un mystère à découvrir dans ces traits apparemment familiers. Tel est le passage, désormais incessant, d’une identité singulière à une pluralité qu’on ne découvre que par ce miracle de la diffraction. Comment cesserait-on de s’émerveiller des infinies possibilités qu’offre la réflexion – l’ambivalence du mot n’est pas fortuite… – dans le miroir ?
« De l’autre côté du miroir », Lewis Carroll nous lance sur la piste dans les pas d’Alice, au pays des merveilles, justement.
Le monde, si l’on consent à s’abstraire de toutes ses sources de pessimisme, est un antre renouvelé de petits miracles, en tous domaines, inépuisables et joyeux.
Quant à moi, pour ne prendre qu’un exemple si quotidien, je ne me lasserai jamais de m’émerveiller de cette invention que les Phéniciens nous ont offerte, vers 1450 av.JC, le principe de l’alphabet ! Quel miracle, pour ne parler que du français, que ces 26 lettres, grâce auxquelles s’ouvre un univers à partager infiniment de sensations, de sentiments, d’imaginations plurielles !
Pour conjurer les ombres délétères des catastrophes à venir, ouvrons sur le monde les yeux émerveillés de l’enfant, délicieusement fou, sûrement Poète.
Annick DROGOU
S’émerveiller, c’est regarder autrement, regarder avec reconnaissance. Rien de niais ni de naïf dans cette attitude. C’est regarder avec reconnaissance envers la vie, sa beauté et son mystère. C’est contempler la merveille, c’est-à-dire ce qui est digne d’admiration. C’est recevoir et accepter cette merveille qu’on voudrait pénétrer et qui restera peut-être, qui restera souvent, au-delà de nos appréhensions et de toute compréhension. Car là se cache le merveilleux. Rien de magique, de superstitieux dans ce merveilleux. Pas de monde alternatif et enchanté, seulement l’invisible, cette réalité que nous ne savons plus voir, sauf justement dans l’instant où nous nous émerveillons.
S’émerveiller du simple, du petit ; s’émerveiller du complexe, du grand ; apercevoir et reconnaître, dans l’un et l’autre, l’infini. Car, malgré la forme pronominale de ce verbe, si on s’émerveille, ce n’est jamais sur soi-même. L’émerveillement est toujours une sortie de soi, il faut se mettre en route vers les merveilles du monde, partir en expédition vers la vérité du Beau.
S’émerveiller, c’est sourire à l’inconnu. Savons-nous encore nous émerveiller, risquer l’hébétude, prolonger la contemplation ? Rien à capturer sur Instagram, rien à enfermer dans nos miroirs numériques où les images font trop de bruit. Chut ! Seulement s’émerveiller dans le silence de l’œil et laisser la merveille prolonger son écho.