Il fut il fut un temps où, autour des années 2010, Frédéric Lenoir était souvent invité par les Obédiences afin de nous entretenir de philosophie ou de spiritualité.
Était-ce dû au succès de son ouvrage coécrit avec le grand reporter au Nouvel Observateur – L’Obs désormais – Marie-France Etchegoin, reconnue pour la qualité de ses enquêtes sur les faits divers et les sujets de société marquants.
La saga des francs-maçons-L’enquête définitive (Robert Laffont, 2009 ; Points, Poche, 2010) où ils remontèrent aux sources de la société secrète – pourquoi et comment est-elle née ; quels sont ses rites et ses enseignements, ses liens avec la religion, la nébuleuse ésotérique ou la politique, etc. ?
Toujours est-il que Frédéric Lenoir revient sur le devant de la scène, maçonnique s’entend, dès 2020, grâce, notamment, au Campus maçonnique et ses visioconférence sur des thématiques aussi diverses que « La liberté intérieure qui mène à l’amour » (25 mai 2021 à 19h30), Comment vivre dans un monde incertain ? avec Jean-Michel Dardour, ancien 1er Grand Maître Adjoint de la GLDF, cofondateur et 1er président du groupe de réflexion (en anglais, think-tank) maçonnique « Franc-Maçonnerie et Société » (10 septembre 2020)
ou encore « L’acceptation : Oui à la vie » (9 février 2021). Sans oublier que nous lui devons, en 2013, la direction du Monde des religions Hors-série N° 20 sur Les sociétés secrètes.
Frédéric Lenoir, philosophe et sociologue, docteur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) s’intéresse, après nous avoir livré en 2021 un magnifique et imposant volume (918 pages) intitulé Sages, mystiques et maîtres spirituels (Bayard) codirigé avec Ysé Tardan-Masquelier, s’intéresse, après le bonheur en 2013, maintenant à cette sensation d’attraction et d’attente à l’égard d’une personne, d’un objet, d’une situation ou d’un futur particulier que nous appelons le désir… Serait-il une philosophie ?
Le désir, pour le Maçon résonnent peut-être encore plus pour celles et ceux qui pratiquent le Rite Écossais Rectifié, se déclarant « homme de désir ». En vérité, l’expression est celle d’un ouvrage clé du « philosophe inconnu » Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), un recueil composé de 301 méditations publié en 1790.
Extrait : « Homme de désir, efforce-toi d’arriver sur la montagne de bénédiction, fais renaître en toi la parole vraie… » Car animé du désir de Dieu, le cherchant peut, par l’intelligence du cœur plutôt que par une raison raisonnante, opérer une conversion lui permettant de retrouver l’unité, en son centre. Un retour à la source primordiale.
Frédéric Lenoir met en exergue la phrase « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! » de Jean-Jacques Rousseau, tirée du roman Julie ou La Nouvelle Héloïse (Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, 1761). C’est profondément vrai. C’est dans le plaisir de désirer plus encore que dans le plaisir de posséder que se trouve le bonheur de l’homme.
Et de citer immédiatement ensuite, dans son introduction, Baruch Spinoza déclarant « Le désir est l’essence de l’homme ». Moteur aussi de notre existence ici-bas.
L’auteur, par ailleurs cofondateur de SEVE, Savoir Être et Vivre Ensemble (sous l’égide de la Fondation de France) structure son ouvrage en trois parties principales : « Une soif insatiable », « La régulation du désir », « Vivre aux éclats ».
Il commence surtout par définir la différence entre désir et besoin – l’envie faisant, par la suite, l’objet d’un chapitre à lui tout seul ! Les non scientifiques pourraient être troublés par son approche du striatum – petite structure nerveuse qui se situe au niveau du cerveau, juste sous le cortex cérébral – et qui donne l’impulsion de nos désirs fondamentaux de nourriture, de sexe – avec son échelle ascendante du désir et de l’amour –, de reconnaissance sociale par exemple. Justement cette dernière, fort bien et si justement analysée dans son paragraphe « Réseaux sociaux et reconnaissance sociale ». Il nous explique comment l’être humain, plutôt adolescent, exprime son désir d’être admiré, aimé et reconnu socialement par le biais desdits réseaux. Ces mêmes réseaux engendrant une addiction à la dopamine via le désir de reconnaissance sociale. Vite, un psy ! Car derrière l’addiction, il y a bien évidemment tout un business, lié à toutes ces « nouvelles maladies du Web », servitude volontaire pour reprendre l’expression de La Boétie. Il passe en revue aussi bien « La libido selon Freud » que René Girard et son « désir mimétique ».
Bien sûr, qu’en philosophe qu’il est, l’auteur traite du polymathe grec Aristote (384-322 av. J.-C.) et d’Épicure (c. 342 av. J.-C.-270 av. J.-C), fondateur de l’une des plus importantes écoles philosophiques de l’Antiquité. En récapitulant pour chacun d’entre eux leur riche parcours de vie, il associe le premier à « la vie heureuse » et le second à la « puissance de la modération ».
Mêlant tant à la fois recherche du plaisir (hêdonê) et recherche du bonheur(eudaimonia), notre raison permet cependant de discerner et de modérer nos désirs. Cette conception des deux principaux courants de sagesse d’Orient et d’Occident est évoqué à travers le stoïcisme – le bonheur est dans la vertu – et le bouddhisme fondé sur ce triple socle appelé « les trois joyaux » que sont le Bouddha, le fondateur, le Dharma, sa doctrine, et le Sangha, la communauté des croyants. Pour lui, le stoïcisme supprime le désir, alors que le bouddhisme, lui, va éteindre la soif. S’attaquant ensuite à la loi religieuse, Frédéric Lenoir nous entretient de la Torah, la loi religieuse juive révélée par Moïse, du christianisme, déclarant que Jésus prendra de la distance avec la loi mosaïque en mettant l’amour au-dessus de la loi. Puis, c’est de l’utilité et des limites de cette loi religieuse qu’il décortique ! Nous conduisant par les tentatives contemporaines de maîtrise du corps et de l’esprit, il nous invite à une « sobriété heureuse ». Le chapitre de la « mystique du désir » balaie un large spectre : Jésus et sa sagesse, l’amour, la mystique juive, le désir, le soufisme musulman et du désir d’union avec le divin, etc. Enfin, la dévotion amoureuse et le tantrisme en Inde retiendra notre meilleur attention. Il faut « Oser, désirer et réorienter sa vie ». Titre du sixième et dernier chapitre de la troisième partie.
Vaste programme : oser suivre la voie de ses désirs. Puis avec Jung, dont il rappelle le parcours avec Freud, il faut oser et désirer. Enfin, réorienter sa vie, marquant un processus d’individuation, l’auteur propose – pourquoi pas ? – un voyage et un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Comme une quête de soi.
Je conclurai volontiers en citant 1 Thessaloniciens 2:17 : « Pour nous, frères, après avoir été quelque temps séparés de vous, de corps mais non de coeur, nous avons eu d’autant plus ardemment le vif désir de vous voir. »
Dans sa nature profonde, le désir est bon, car il tend à nous faire aimer des biens supérieurs, des belles personnes, des remarquables rencontres…
Je vous souhaite une bonne lecture et un très joyeux
Noël !
Frédéric Lenoir – Flammarion, 2022, 240 pages, 20 €. Notons que le bandeau rouge, non reproduit ici sur la première de couverture, porte la mention « Vivre aux éclats ».
Chiche !