dim 24 novembre 2024 - 06:11

Femmes et Sœurs en mixité(s)

« La femme a un cerveau qui doit être cultivé. Il y a des femmes qui ont beaucoup d’esprit, il y a même des hommes qui n’en ont pas, et ce dernier fait n’est pas rare. »

Avec son humour corrosif, Maria Deraismes lance sa réflexion sur le statut de la femme, ses obstacles ataviques, ses choix, ses richesses. Et ce cheminement est une désobéissance envers l’ordre établi, une transgression des tabous. Avec ses compagnes, elle prouve en actes que la société en général, la Maçonnerie en particulier, peuvent mettre en autre perspective une réflexion partagée entre hommes et femmes. Il ne s’agit rien de moins que d’ébranler une suprématie masculine ancrée dans des certitudes millénaires, déséquilibre et injustice confortables pour les maîtres du jeu autoproclamés, au nom de vérités transcendantes réservées aux intelligences d’élites, donc masculines.

Les réticences sexistes vont s’éroder, l’homme descendre de son perchoir, la femme sortir de sa sphère privée, la compétence féminine s’affirmer.

1893, Maria Deraismes co-fonde le Droit Humain. La Franc-Maçonnerie mixte conforte ainsi, en actes et en travaux, une collaboration en solidarité et fraternité. Soeurs et Frères sur les mêmes colonnes partagent les indignations contre injustices et inégalités, les exigences de mixités plurielles, d’engagements politiques et humanitaires, de liberté de conscience.

Nous voici donc, femmes et Sœurs, en voie de réflexion sur la mixité du genre, intellectuelle, sociale, culturelle, humaniste.

Partons d’une évidence, un truisme : nulle époque, culture, société, n’a jamais pu mettre en question la réalité des deux sexes nécessaires à la pérennité de l’espèce, leur complémentarité essentielle.

Deuxième constat, l’égalité différenciée de leurs rôles distinctifs. S’agit-il d’égalité, d’équité, de complémentarité, d’équilibre, de proportion, de quota, de répartition des tâches ?

Mais qui décide et de quoi ? La Maçonnerie, derrière son voile de démocratie formelle, n’échappe pas aux sourdes querelles de pouvoir. A plus forte raison dans celle du genre, car le tabou protéiforme y est en embuscade.

Tabou de la sexualité et de la séduction, source supposée de tentation et de perversité, qui menaceraient la sérénité. Une séduction, réelle ou non, exacerbe les préconçus misogynes autant que “misandres”, en rejet de l’homme, du Frère.

Jeune femme, jolie, prend une pose

Tabou des corps en miroir révélateurs d’une féminité partagée, d’une frontière plus poreuse qu’il n’y paraît. Inacceptable pour d’aucuns. Les présupposés du pouvoir s’en trouvent ainsi menacés et on campe dans ses retranchements reptiliens.

Tout en clamant que le travail initiatique est une mise à nu. Certes, mais pas devant n’importe qui !

Or, la participation aux travaux en égalité de droits, de devoirs et de responsabilité, n’entraîne aucune mise à nu qui ne soit volontaire.

Mais se pose la question fondamentale du corps en Maçonnerie. Une loge est un ensemble de corps réunis dans la proximité des attitudes, des gestes, des immobilités, des inconforts. Tout en ayant à les transcender : on ne vient pas en tenue pour cacher ce corps, en avoir honte, redouter l’expression des émotions (pleurs, tremblements) qui battraient en brèche les poncifs ataviques (homme impassible, femme sensible).

Et voici à nouveau le poncif majeur qu’est l’opposition entre Raison et Sensibilité, et son filigrane, homme de raison et femme de sensibilité. Sans même entrer dans le détail des préjugés concernant la teneur des travaux, entre sérieux et futilité…

un sculpteur assis - Tableau de Bernard Bonave
Tableau de Bernard Bonave

Ne serait-il pas nécessaire de restaurer la conscience de la matérialité charnelle d’une tenue ? En cessant de couper drastiquement entre la tête en voie de transcendance et le corps encombrant à neutraliser ? Une aberration qui fait long feu…

Or le corps, quel qu’en soit le genre, est le lieu de l’équerre, verticale vers le céleste, horizontale vers l’autre dans son corps et sa parole.

Mixité sociale, culturelle et intellectuelle, sont à l’affiche du recrutement. Mais on se coopte à tout va dans des domaines soigneusement monochromes. Juste une pointe d’originalité de temps en temps, qui ne met pas à mal une égalité de quota, très formelle. La teneur souvent érudite, très formatée, de toute façon orthodoxe des planches, fait illusion…

Loin de nous le propos réducteur et condescendant sur le désir de non-mixité de Soeurs et de Frères dans leur option d’un entre-soi de genre.

Chacun voit midi à la porte de son temple. Notre midi et notre minuit passent par d’autres regards.

Alors, comment dépasser ce clivage ?

Peut-être en envisageant trois niveaux de comportements. Le niveau “reptilien” qui ne veut pas aller au-delà du dérangement essentiel et non amendable que représente l’Autre. Quant-à-soi, entre-soi rassurant. Le niveau du « quota », le « faute de mieux ». Une porte entrebâillée. Le niveau du « choix » actif, le surcroît « grâce à plus ».

A l’évidence, deux individus diffèrent par le corps, l’éducation, la culture, le mode de pensée et de langage. Et l’inter-assimilation est un leurre, et la « mixité », le mélange, ne peut qu’être une approximation, imparfaite mais enrichissante.

Droit Humain
Droit Humain

Reste à en envisager les modalités. Condition sine qua non d’une proximité prolifique. D’où la nécessité de « penser mixte », dans une troisième dimension, qui n’attire pas l’un dans le domaine de l’autre. Un espace mental inédit. Utopique, certes, à construire.

En repensant le principe d’égalité en complémentarité, sans jugement de supériorité ou d’infériorité entre éléments associés.

En réfléchissant autrement sur l’attribution, sujette à caution, de qualités « masculines » ou « féminines » dans le catéchisme des symboles ! Le symbole, en tant que métaphore, s’enrichit du regard croisé que lui porte une mixité réelle, par initiation et cheminement concertés en complémentarité de droits et de devoirs.

Femmes et Soeurs, nous venons dans la mixité de nos loges sans avoir à redouter ni le filigrane misogyne de regards et de propos déplacés, ni la texture revancharde de combats profanes. Au-delà des sexes et des genres, il n’existe pas de sujets réservés, voire interdits, si l’on accepte que tout puisse être dit dans un langage qui les « transcende ». Un langage nouveau à inventer. Un défi à relever !

Annick Drogou

En Franc-Maçonnerie, hélas, certains comportements, certaines revendications langagières portées à incandescence, n’échappent pas à un sexisme exacerbé. Et contre-productif.

N’avons-nous rien de mieux à travailler dans nos loges ? Que de temps et d’énergie dépensés en perte certaine…

Dominique Segalen

Cela suppose l’effort de revisiter ses propres schémas genrés, de se débarrasser du vocabulaire qui les conforte. Et de ne pas se réfugier dans le confort des attitudes convenues.

Loin d’évacuer ou masquer les sujets soi-disant impossibles, réfléchissons au langage approprié à les formuler, en raisonnant en miroir, en parallèle. Dans la relativisation des postures, des choix, des rôles.

« Rectificando »… Femmes et Sœurs en mixité, nous choisissons la vigilance d’une altérité vivifiante.

Annick DROGOU – Dominique SEGALEN

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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