Madame Tostain nous vous remercions d‘avoir bien voulu accorder à 450.fm quelques instants de votre précieux temps et de nous accueillir dans votre bureau au musée du Compagnonnage de Tours, musée municipal et classé « Musée de France ».
Un lieu des plus magique puisque situé dans l’ancienne abbaye Saint-Julien de Tours. abbaye bénédictine dont l’origine remonte au VIe siècle et qui a fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques par la liste de 1840.
450.fm : Mme Tostain, pouvez-vous nous dire est née cette passion pour le patrimoine et quel est votre parcours ?
Virginie Tostain : J’ai commencé la médiation du patrimoine à l’âge de 16 ans dans un château près de mon domicile, en Sarthe. C’est ce qui m’a conduite dans la voie du patrimoine architectural. D’abord, je suis devenue guide-conférencière des Villes et Pays d’art et d’histoire en 2009 et j’ai travaillé régulièrement en Sarthe dans des territoires ruraux : recherches, visites guidées, montage d’animations pédagogiques. En 2012, après la fin de mes études (Master de recherche en histoire médiévale puis Master professionnel Régie des œuvres et médiation de l’architecture et du patrimoine), je suis devenue animatrice de l’architecture et du patrimoine à Grand Châtellerault, j’y ai eu en charge pendant 7 ans, la gestion du Label Pays d’art et d’histoire, la programmation des animations et expositions, les suivis de chantiers Monuments historiques et l’inventaire du patrimoine. J’ai eu l’opportunité de travailler souvent avec des artisans sur les chantiers notamment, c’est la raison pour laquelle le musée du Compagnonnage m’intéressait tout particulièrement. Je ne me destinais pas à travailler en musée de Beaux–Arts par exemple car ce sont vraiment les musées de société qui me permettent de rester le plus en contact avec mes valeurs et mon parcours.
450.fm : Quelle est l’histoire de cet emblématique musée ?
VT : Créé officiellement en 1968, le musée a cependant tout un passé avant la création de ce musée municipal. Il est le fruit de la rencontre de deux projets : celui de l’Alliance compagnonnique tourangelle – fondée en 1908 pour fédérer diverses associations de compagnons qui a porté la création du musée compagnonnique de Tours à consonance associative, en 1911, de façon à montrer au grand public les valeurs du Compagnonnage, situé à l’époque place Anatole France d’une part et, d’autre part, l’histoire d’un homme, tourangeau d’origine, l’ethnologue autodidacte Roger Lecotté*, bibliothécaire au Cabinet des manuscrits à la Bibliothèque nationale de France, qui porta un intérêt tout particulier aux Compagnons du Tour de France et commissaire de l’exposition « Paris et les compagnons du tour de France » (21 décembre 1951-28 avril 1952) au Musée national des arts et traditions populaires à l’occasion du bimillénaire de Paris. Dans les années 50, il organisa, avec le muséologue Georges-Henri Rivière**, surnommé « le magicien des vitrines » et fondateur du Musée national des arts et traditions populaires à Paris, un tour de France afin de recueillir, dans les Cayennes, documents, objets compagnonniques et chefs-d’œuvre.
En s’appuyant sur les collections déjà existantes à Tours, Roger Lecotté a commencé par étoffer l’exposition de l’Alliance en tenant à ce que toutes les sociétés compagnonniques soient retenues. C’est ainsi que ce musée a vu le jour, monté entièrement des mains de son premier directeur qui en fut la cheville ouvrière. Inhumé au cimetière communal de Vernou-sur-Brenne (37), une stèle réalisée par les Compagnons ornent sa sépulture.
En 1993, Laurent Bastard*** succède à René Lecotté, marquant, lui aussi, l’histoire du musée. L’état d’esprit est resté le même.
450.fm : Quelles conséquences a eu la pandémie sur le musée ?
VT : Le fait marquant, c’est que nous avons connu de longues fermetures de 3 et 7 mois, en 2020-2021. Nous avions déjà en tête de faire certains aménagements. À mon arrivée et après échanges nourris avec les Compagnons, ces derniers ont exprimé l’envie de ‘’dépoussiérer ‘’ le musée : modernisation, représentation de nouveaux métiers, donner une visibilité au travail des femmes. Reconnaissons qu’il n’est pas simple, compte tenu la densité des collections, de refondre un établissement comme celui-ci. Nous sommes un musée municipal et seule une fermeture longue de plusieurs années permettrait une refonte générale. Afin de pouvoir engager quelques travaux, nous avions prévu, du reste, une petite fermeture début 2021 pour refaire deux espaces : un espace sur le compagnonnage contemporain et un espace thématique sur les métiers de bouche. Deux espaces qui existaient déjà mais auxquels nous avons donné plus de place.
L’art populaire – iconographie notamment du XIXe siècle réalisé par des compagnons peintres (souvenirs du tour de France) – est ainsi mieux conservé mais aussi revalorisé. Après une campagne de mécénat récente, de nombreuses pièces sont en cours de restauration et feront l’objet, en 2024, d’une exposition temporaire importante sur le thème de la conduite, le moment symbolique et solennel où les compagnons accompagnent leurs frères en Devoir à la porte de la ville lors de son départ. Cette exposition restituera tout le sens de cette cérémonie.
450.FM : DEPUIS 2010, LE COMPAGNONNAGE, RÉSEAU DE TRANSMISSION DES SAVOIRS ET DES IDENTITÉS PAR LE MÉTIER, FIGURE SUR LA LISTE REPRÉSENTATIVE DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL DE L’UNESCO. AVEC QUELLES CONSÉQUENCES POUR LE MUSÉE ?
VT : D’ailleurs, j’en profite pour signaler que bientôt nous aurons un nouvel espace d’accueil (entrée, boutique rue nationale) offrant plus de visibilité. Nous enregistrons quelques 35 à 40 000 visiteurs par an. En 2021, très exactement 37 924 visiteurs, dont 15 715 pour l’exposition temporaire.
Le musée accueille toujours de très nombreux groupes scolaires et leurs enseignants et très connus de tous les Tourangeaux. Très bien référencé dans les guides touristiques, nous accueillons, l’été, de nombreux visiteurs et sommes classés comme « musée pittoresque et original». Toutefois, il ne semble pas que l’inscription au patrimoine culturel immatériel (PCI) a eu un quelconque impact.
Cette notion de PCI est finalement encore peu connue du public alors que l’inscription d’un bien sur la liste du patrimoine mondial est fortement perçu (label, affichage). Cependant, il y a sans doute eu un effet positif chez les compagnons car ils ont travaillé ensemble sur ce dossier dans un esprit de mettre en avant tout ce qui était les valeurs commune du Compagnonnage.
450.fm : Quid de la « Newsletter Musée du Compagnonnage » ?
VT : Dès lors que nous avons connu un engouement pour le digital, nous avons souhaité nous adapter en proposant aux internautes une plus grande visibilité mais aussi, nous l’espérons, de gagner de nouveaux abonnés. Elle complète notre site https://www.museecompagnonnage.fr/index.php/ et notre présence sur les réseaux sociaux, notamment notre page Facebook https://www.facebook.com/MuseeCompagnonnageTours/
La pandémie a permis d’accroître notre présence sur ces nouveaux médias et nous avons désormais une personne dédiée en charge de les enrichir. De notre côté, nous restons aussi toujours en lien avec les compagnons et le tour de France.
Lors d’expositions, nous bénéficions aussi de supports numériques qui permettent de partager, par exemple, des interviews de compagnons, process de travail, etc.
450.fm : Que représentent les femmes dans le Compagnonnage ?
VT : En 2004, les compagnons de l’Association ont acté la présence de femmes et il a fallu attendre deux ans de plus pour que les premières femmes, dont une tailleure de pierre, soit reçue. En 2021, elles étaient 300 reçues. Un chiffre qui, après leur tour de France, devrait être en augmentation. Avec les mêmes motivations que les hommes : acquérir un métier, un savoir, faire son apprentissage mais aussi transmettre.
Tant l’Association ouvrière que la Fédération compagnonnique bénéficient de plusieurs centres de formation des apprentis (CFA) et lycées professionnels qui est mixte, mais les femmes ne pouvaient pas devenir être adoptées et ne pouvaient partir sur le tour de France. Il reste aussi, selon les sociétés, à adapter les rituels de réception.
450.fm : Quels sont les rapports avec les autres musées ?
VT : Avec le Maison de l’Outil et de la Pensée Ouvrière (MOPO) de Troyes, les relations sont excellentes et faciles puisque le compagnon qui en est le directeur Christophe Cheutin fait partie du comité consultatif. Mais pas encore l’occasion de faire des projets communs. De plus, à mon arrivée à Tours, il y a eu une refonte des projets des musées – Tours compte quatre 4 établissements muséaux.
Par contre, l’an dernier, pour l’exposition temporaire sur « Le compagnon et son chef-d’œuvre », nous avons sollicité de nombreuses maisons, cayennes et de nombreux sièges.
450.fm : Quelle est votre œuvre préférée ?
VT : Sans vraiment y a voir réfléchi, je pense à une œuvre non présentée actuellement qui est un pseudo casque de pompier, en zinc recouvert d’ardoises. Fin XIXe et début XXe siècle, ce type de travail répondait à une mode chez les charpentiers et les couvreurs. Sa restauration a permis de passer un partenariat entre des compagnons couvreurs et une restauratrice agréée. Une belle rencontre entre gens du métier – expérience pratique – et des gens issus d’un milieu plus académique.
450.fm : Le musée est-il, labelisé ?
VT : nous bénéficions de l’appellation « Musée de France ». Est considéré comme « Musée de France », au sens de cette loi – du 4 janvier 2002 –, « toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public ». Nous obligeant aussi à respecter obligations et missions, notamment concernant les collections.
450.fm : Le musée a-t-il des publications ?
VT : Fragments d’histoire du compagnonnage est la revue du musée. Après le numéro 18, paru en 2021, notre prochaine livraison sera en 2023. Avec généralement un dossier central. Celui-ci est consacré à Alphonse Fadin, Normand le Bien Aimé du Tour de France. Cette revue avait été créée en 1998 par Laurent Bastard pour les 30 ans du musée. Laurent Bastard, dans le numéro de 2016, écrivait que la revue « demeure de cerner le plus possible la réalité complexe de cette vieille institution aux multiples facettes qu’est le Compagnonnage ».
NDLR :
*Roger Lecotté (1899-1991) travailla durant plusieurs années dans des banques, et des entreprises commerciales et industrielles avant d’être nommé en 1936 directeur du Pavillon d’Ile-de-France à l’Exposition universelle de 1937.
En novembre 1941, Roger Lecotté entra à la Bibliothèque Nationale où il se vit confier le classement des fonds maçonniques confisqués par le Gouvernement de Vichy. Il organisa plusieurs expositions sur le compagnonnage et créa à Tours en 1968 le Musée du Compagnonnage, puis celui des vins de Touraine en 1975.
**Georges-Henri Rivière (1897-1985) a joué un rôle important dans la nouvelle muséologie et dans le développement des musées d’ethnographie à l’échelle mondiale au sein du Conseil international des musées (ICOM). C’est un musicien curieux de tout ce qu’apportent les années folles, de l’art moderne au jazz et à la mode, de la photographie et du cinéma au music-hall. Journaliste polémiste, participant aux revues Cahiers d’art et Documents, il s’impose au musée du Trocadéro, après avoir réalisé en 1928 la première exposition sur « Les Arts anciens de l’Amérique ». Infatigable intercesseur et organisateur d’événements chocs, prenant en exemple les musées étrangers, il conçoit le musée de l’Homme autour de ses collections ethnographiques, comme un instrument de partage social et scientifique qui s’ouvre sous le Front populaire à l’occasion de l’Exposition internationale de 1937. Rivière comprend qu’au-delà de l’ethnologie et des cultures exotiques, il faut s’intéresser au bouleversement annoncé des cultures rurales et ouvrières des pays de France, créant durant cette même année 1937 un Musée des arts et traditions populaires.
***Laurent Bastard est né en 1955 en Basse-Normandie, où son père était compagnon tanneur- corroyeur du Devoir (le dernier de sa corporation, reçu à Tours en 1935). Le père, le grand-père et l’arrière-grand-père de ce dernier, ainsi que son oncle, étaient également des compagnons de ce métier. Le Compagnonnage lui était donc familier, et c’est en 1993 qu’il est nommé directeur du musée du Compagnonnage de Tours. Il est l’auteur, avec Jean-Michel Mathonière, de Travail et Honneur, les compagnons tailleurs de pierre en Avignon aux XVIIIe et XIXe siècles (Dieulefit, La Nef de Salomon, 1996). Dans Images des Compagnons du Tour de France (Jean-Cyrille Godefroy, 2010), il a souhaité faire partager la lecture d’une quinzaine d’estampes compagnonniques, qui révèlent des influences très diverses et souvent insolites et qui illustrent l’évolution des Devoirs au cours du XIXe siècle. Nous lui devons aussi Compagnons au fil de la Loire (Jean-Cyrille Godefroy, 2000) et de Chefs- d’œuvre de Compagnons (De Borée, Coll. La mémoire du temps, 2008).
Le Musée du Compagnonnage à Tours – Val de Loire, une présentation vidéo de Tours Val de Loire Tourisme https://bit.ly/3NzaUtZ ou encore cette vidéo “Le Compagnonnage, réalisations, chef d’œuvres, histoire au musée de Tours, les secrets” https://bit.ly/3WrIUN8
Venez découvrir un chef d’œuvre de Compagnon.
Un caque en ardoises restauré au Musée du Compagnonnage à Tours, le 1er et 2 avril 2023.
Pour rappel, en 2021-2022, Clémence Poirier, restauratrice, et quelques Compagnons couvreurs ont restauré un insolite casque en ardoises réalisé un siècle plus tôt par Paul Leseurre. Ce petit chef d’œuvre atypique se distingue des autres maquettes de couverture. Son originalité réside dans sa forme : le Compagnon a pris pour support un véritable casque de pompiers pour le recouvrir d’ardoises ! La forme arrondie du casque constitue à elle seule une prouesse technique. Venez rencontrer les restaurateurs pour découvrir les coulisses de ce chantier original.
Musée du Compagnonnage 8 rue Nationale, 37000 Tours
En date du 15 décembre 2022, notre confrère « La Nouvelle République », version numérique, nous informe que « Tours : le musée du compagnonnage et le Muséum d’histoire naturelle fermeront bientôt pour travaux ». Extrait :
« Les deux établissements restent ouverts jusqu’à la fin de l’année 2022 avant de fermer plusieurs semaines pour de nouveaux aménagements. (…] La nouvelle boutique cet été
Le musée du compagnonnage fermera du 1er au 27 janvier pour procéder à la rénovation des parquets, au dépoussiérage des chefs-d’œuvre des compagnons, à l’inventaire des collections, à l’entretien du bâtiment… L’aménagement de nouvelles pièces et le retour de chefs-d’œuvre, restaurés depuis deux ans, sont également prévus.
Autre gros dossier, la création de la nouvelle boutique rue Nationale. Les travaux viennent de débuter et la fermeture de janvier permettra la « jonction » (abaissement du seuil et du palier, transformation de la rampe pour les personnes à mobilité réduite, changement de la porte) avec l’ancien bâtiment. Les travaux se poursuivront dans le nouvel espace durant six mois, sans impact pour les visiteurs. L’ouverture est prévue cet été… »
En savoir plus https://bit.ly/3BAR2C3
Dommage qu’il n’y ait pas d’accès pour les handicapés
Nous espérons tous qu’avec la nouvelle entrée située rue Natioanle (cf. ma photo intitulée “Future entrée du musée”), la norme PMR, ainsi que l’accès seront respectés, dans le respect de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances.