mar 03 décembre 2024 - 18:12

Eloge des inégalités

Nous avons en commun avec la République la devise « Liberté, Egalité, Fraternité ». Mais curieusement la liberté et la fraternité peuvent se mettre au pluriel : les libertés ou les fraternités. Pour l’égalité c’est plus compliqué. L’égalité est un principe qui ne souffre pas le pluriel. C’est une notion qui semble une et indivisible. L’emploi du pluriel nous gêne car il semble affaiblir le principe. Mais si on entre dans le concret, l’unité se dissout dans le multiple. 

L’égalité morale portant sur la dignité, le respect, la liberté.

L’égalité civique devant la loi.

L’égalité sociale qui cherche à égaliser les moyens ou les conditions d’existence.

L’égalité politique qui porte sur le gouvernement de la cité.                                          

L’égalité des chances qui nous met sur la même ligne de départ sachant que nous n’arriverons pas tous en même temps. Et sur tous ces sujets, on peut distinguer l’égalité formelle de l’égalité réelle. Bref, comme dirait l’humoriste, si nous sommes tous égaux, il y en a qui sont plus égaux que les autres.

Et pourtant, face au principe d’égalité, nous ne rencontrons aucune difficulté à parler d’inégalités multiples. Imagine-t-on un principe unique dont le contraire serait multiple ?
Et si l’égalité s’oppose à l’inégalité ou aux inégalités, alors le franc-maçon se devrait de combattre les inégalités. Nous savons toutefois que les mots sont souvent des pièges et qu’il ne faut pas « prendre les mots pour des idées ». C’est donc d’un point de vue maçonnique que nous avons à réfléchir.

Le franc-maçon peut et doit adhérer à des principes qu’il s’est librement donné.
Il est là pour vivre selon des valeurs et pour être dans sa vérité.

La différence entre principe et valeur mérite d’être soulignée. Bien sûr, chacun peut avoir sa définition et je vais en formuler une.

Liberté, Égalité, Fraternité
Liberté, Égalité, Fraternité

Un principe est souvent une affirmation première dont d’autres peuvent être déduites et qui ne peut être déduite d’aucune autre. Par exemple, du verset “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” (Lévitique XIX, 18) se déduisent toute la Loi et toute la morale (Mattieu XXII, 40). Quand nous parlons de Grand Architecte de l’Univers, il s’agit d’un principe créateur et organisateur. Il est celui dont tout découle, la source de ce qui est. « Il est la cause sans cause, sans preuve et sans prêtre », pour citer Raymond Abelio.

Une valeur est ce que notre raison autant que notre intuition posent comme étant le plus digne d’estime dans l’ordre social, esthétique ou moral : le Bien, le Beau, le Vrai, la Justice, etc… Les valeurs servent de repères à la conscience pour juger les actes, les œuvres ou les événements. Elles s’organisent en systèmes, auxquels se réfèrent les groupes sociaux pour définir ce qui est louable et ce qui est blâmable.

C’est donc de valeurs dont nous allons parler et de l’égalité et des inégalités comme valeurs. Il est vrai que la notion d’égalité dans le monde profane est une source de débats infinis.

La notion sur laquelle il ne doit y avoir aucun débat, que ce soit dans le monde profane ou dans nos temples, c’est l’égalité ontologique des l’homme. Tous les hommes sont égaux en dignité quelles que soient toutes leurs autres particularités physiques, intellectuelles, philosophiques, spirituelles ou religieuses. C’est le service minimum de l’humanisme maçonnique. Mais au-delà de cette égale dignité, en quoi l’égalité est une valeur maçonnique ?

Il devient difficile de séparer la valeur maçonnique de la valeur profane. L’une de nos formules rituelles nous enjoint « en toute chose préférer la vérité et la justice ». C’est peut-être à l’aune de notre conception de la Justice que nous devons nous poser la question de l’égalité ou de son contraire l’inégalité. Car la justice est une notion plurielle et complexe.

  • Il y a la justice universaliste qui se préoccupe plutôt de l’égalité des droits mais qui laisse de côté des inégalités de situation.
  • Il y a la justice différentialiste qui se préoccupe plutôt de l’égalité des chances, mais qui ne règle pas les inégalités de situation.
  • Il y a la justice correctrice qui se préoccupe plutôt de corriger des inégalités de situation mais qui introduit une inégalité des droits.

La justice renvoie donc à une définition de différents types d’égalités et de proportions dans lesquelles elles doivent être appliquées. Il n’y a pas de conception de la justice sociale qui soit intrinsèquement supérieure aux autres. Cela dépend essentiellement du corpus de valeurs dont nous sommes porteurs.

Si l’on suit John Rawls un des géants de la philosophie politique du XXème siècle et sa « Théorie de la justice », il y a des inégalités injustes, mais aussi des inégalités justes.
Nous savons bien qu’il peut y avoir un intégrisme égalitaire qui transforme la notion d’égalité en égalitarisme. On passe insensiblement de la notion de valeur à celle d’idéologie.

Si l’on se réfère à l’étymologie latine, « equitas » et « equalitas », ont la même racine.
Ces mots sont frères et sœurs, mais aussi parfois frères et sœurs ennemis. Cela a donné lieu à un dialogue musclé entre Platon et Aristote.                                                                       

Pour Platon, « il n’y a pas de choses égales, il n’y d’égal que l’égal ». Il n’y a pas de choses justes, il n’y a que « le juste en soi. »          

Aristote critique Platon et invite à la raison pratique. Il faut distinguer l’égalité arithmétique et l’égalité géométrique. Par exemple, le traitement des files d’attentes aux urgences.

  • Egalité arithmétique – Le premier arrivé sera le premier servi
  • Egalité géométrique – On va discriminer selon l’urgence

Si la loi n’est pas la même pour tous, elle est injuste. Mais si la loi est la même, comme les situations sont particulières, alors un traitement égalitaire conduit à une forme d’injustice. Mais ce sera peut-être un autre développement ou l’on verra que les inégalités ne peuvent pas être condamnables et sont même souhaitables.

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Jean-Robert Daumas
Jean-Robert Daumas
Dirigeant d'entreprise dans le monde profane, Jean-Robert DAUMAS est franc-maçon de la Grande Loge de France depuis près de 40 ans. Au sein de cette obédience, il a été président de la Commission d'éthique et est actuellement Président de l'UVRE ( Union des Vénérables Maître de Rite Ecossais ) Il assure également les fonctions de Secrétaire du Collège maçonnique et de Président de l'Université maçonnique.

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