Anthologie morale de l’art sublime de gouverner les hommes
Yves Marek-Préface de François Baroin – Balland, 2022, 354 pages, 25€
Haut fonctionnaire, Yves Marek, élu membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, a été directeur de cabinet et conseiller de six ministres, de droite comme de gauche, et conseiller culturel du président du Sénat. Artisan de la renaissance du musée du Luxembourg, il a été aussi à la tête de la Fédération française des échecs et préside désormais le Centre National du patrimoine de la chanson française.
Bien que non maçonnique, son remarquable ouvrage sur la sagesse ne peut qu’interpeller le cherchant. Car n’est-elle pas cette connaissance du vrai et du bien, fondée sur la raison et sur l’expérience et une juste connaissance des choses ? En religion, notamment dans la tradition judéo-chrétienne, la sagesse est omniscience, discernement parfait entre le bien et le mal, bonté infinie, sainteté, qui sont inhérents à la personne divine. D’ailleurs, le Livre de la Sagesse, écrit sapientiel composé à Alexandrie vers 50 av. J.-C., n’est-il pas attribué fictivement à Salomon, (Léon 1975).
Alors oui, la sagesse qu’elle soit grecque, religieuse, juive, chrétienne, musulmane, orientale, moderne et post-moderne ou encore populaire est un concept utilisé pour qualifier le comportement d’un individu, souvent conforme à une éthique, qui allie la conscience de soi et des autres, la tempérance, la prudence, la sincérité, le discernement et la justice s’appuyant sur un savoir raisonné.
Et dans le domaine de la philosophie, la sagesse représente un idéal de vie vers lequel tendent les philosophes, « amoureux de la sagesse », qui « pensent leur vie et vivent leur pensée », à travers le questionnement et la pratique de vertus. En rappelant que les philosophes grecs différenciaient la sagesse théorique (sophia) de la sagesse pratique (phronèsis). Mais la vraie sagesse serait la conjonction des deux !
Pour le maçon, la notion de sagesse s’inscrit dans ses travaux. Au cœur même ! Évoquée plusieurs fois, elle figure dans le Manuscrit Halliwell dit Regius (1390), poème rimé anonyme, considéré comme un de nos textes fondateurs : « Le métier de maçonnerie vit son commencement quand le clerc Euclide dans sa grande sagesse fonda le métier en pays d’Égypte ». Sagesse, Force et Beauté, triptyque maçonnique par excellence et par essence – la sagesse (pour inventer), la force (pour diriger), et la beauté (pour orner) – permet de construire son temple intérieur. L’astrologie chinoise précise même que « l’essence des traditions c’est l’union de la sagesse, de la force et de la beauté ».
Préfacé par l’ancien ministre François Baroin – fils de Michel Baroin (OE), haut fonctionnaire, homme d’affaires, grand maître du Grand Orient de France en 1977-1978 –, ce dernier met en avant d’entrée que « Ce livre nous offre une plongée en profondeur dans trois mille ans de sagesse politique, parcourant toutes les grandes civilisations de l’Antiquité la plus lointaine jusqu’à nos jours. Il n’est pas seulement une anthologie et un recueil de pensées fulgurantes et des plus grands penseurs sur l’Art de gouverner, mais une anthologie raisonnée car il nous propose de ramener la politique à des figures éternelles des relations humaines : la promesse, la crainte, la confiance, le destin, le secret… »
Hasard ou non, les six chapitres – cf. la symbolique de ce nombre chez Allendy, dans l’Apocalypse, les contes de fées ou encore dans les interprétations de l’étoile ou de l’hexagone – ponctuent l’ouvrage nous conduisent, avec des titres de sous-chapitres si évocateurs, dans les méandres de la gouvernance des hommes et des affaires de l’État. Partons à la découverte de « Les autres » (Des bienfaits et des promesses mais.) ; « Humains trop humains » (Quelle immortalité) ; « Art politique » (Le secret des secrets, faire confiance, Mensonges) ; « L’exercice du pouvoir » (Des lois, Utiles Honneurs, Pratique religion, Encombrants ministres, Le pouvoir de nommer) ; « Penser la haute politique » (La puissance de l’opinion, L’arcane de la Force, Funestes Idées) ; « Mystères » (Rire divin, Éternel féminin, Fatalités intimes, le Génie, Les Force de l’Esprit).
Nous nous nourrirons, avec profit, des nombreuses citations, dont certaines de frères : Vauvenargues, Sénèque, Jean Rostand, Talleyrand, Montesquieu, Tacite, Cicéron, Machiavel, Céline, Michel Audiard, Mahomet, Louis XI, Rivarol, Oscar Wilde, Montherlant, Balzac, La Rochefoucauld, Sainte-Beuve, Homère, Sir Winston Churchill, Spinoza, Mark Twain, Bernanos. Tite-live, Paul Valéry. Maître Yoda (La Guerre des étoiles), Montaigne, De Gaulle, Bourguiba, Lao Tseu, Sun Tzu, Flaubert, Eschyle, Nietzche, etc.
Yves Marek expose, développe, décrypte une sagesse millénaire qui nous fait regarder l’art de gouverner, et les hommes qui sont aux manettes, avec un œil nouveau. S’appuyant sur des pensées politiques mais aussi sur des écrits de grands écrivains voire nous faisant entrer dans le champ littéraire de certains grands mystiques, ce livre, construit avec intelligence et fruit d’une grande expérience, pose un cadre intelligent de la vie de la cité, au sens noble du terme politique. Une véritable mise en lumière.
Pour un premier essai, cet ouvrage est un coup de maître qui réhabilite, dans l’esprit du lecteur, l’art de gouverner. Il est publié sous la direction éditoriale de l’ancien officier des forces spéciales et du renseignement, Daniel Hervouët, Contrôleur général des armées, professeur associé à l’université Paris 2 Panthéon-Assas et auteur de plusieurs livres gravitant tous autour des dimensions géopolitiques de notre époque ou du monde de l’espionnage.
Rappelons que Balland, maison d’éditions fondée à Paris en 1967, publie Vladimir Fédorovski, diplomate et écrivain russe d’origine ukrainienne aujourd’hui français, auteur emblématique s’il en est. Elle a été aussi récompensée, en 1983, par le prix Goncourt attribué à Les Égarés (Balland 1983, Points-Seuil 1984, Fayard, 2000) de Frédérick Tristan (1931-2022), de son nom d’état civil Jean-Paul Baron et qui, sous le pseudo Mary London, nous donna Un meurtre chez les Francs-Maçons (Éd. du Rocher, 1998).
Que Gouverner, c’est aimer, livre conduit selon les règles de la prudence, permette à chacun de croître et de grandir en sagesse. Sagesse qui préside à la construction de l’édifice, le nôtre, notre temple intérieur. Afin de vaincre nos passions.