Un vaste sémantisme indo-européen, *dek-, avec des vocalisations diverses selon les langues, exprime l’idée de conformation, d’adaptation.
Il s’agit principalement de s’inscrire dans la décence. C’est ainsi que l’invention du décor théâtral marque la recherche de ce qui est beau parce que décent. Même si on y plonge dans l’horreur tragique ou le burlesque comique…
Les Grecs antiques initient une longue tradition de machines théâtrales propres à la représentation de la tragédie et de la comédie, avec changements de décors sous forme de constructions tournantes de chaque côté de la porte centrale, qui s’ouvre et se ferme dans le mur de fond de scène. Très sophistiquées et ingénieusement élaborées.
La décence ou l’indécence ne relèvent pas ici d’un code moral, mais de ce qui est digne d’être montré, concernant les récits mythologiques à propos des divinités et des héros. Le spectateur, qui participe à cette pédagogie par l’exemple, y puisera en actes ce qu’il se doit de dédaigner, ce dont il s‘indigne à juste titre.
Tel est le sens premier de la *doxa grecque, l’opinion à se faire, la réputation à en induire.
*Dogma, l’opinion, ouvre le champ lexical du dogme, quitte à en altérer la signification. Le dogme est originellement une idée acceptée, non pas imposée. Volontiers accueillie avec docilité parce qu’elle ne déroge pas à la conformité si rassurante du groupe. Ainsi le dogme crée-t-il les conditions d’une adhésion, d’où ce faussement qui en fait une obligation érigée par une hiérarchie, une pensée uniforme, un dogmatisme pour personnes dociles, qui interdit la désobéissance. Dès lors, l’adogmatisme se voit, par ses détracteurs dans le champ du religieux, assimilé à la mécréance, l’agnosticisme, voire l’athéisme.
Etayée par une ample documentation, l’orthodoxie justifie la parole de ses doctes sages, docteurs autoproclamés qui endoctrinent le profane, quel qu’il soit. L’Inquisition espagnole, aux temps honnis de la persécution contre les hérésies de tout bûcher, engendra ainsi de redoutables doctrinaires.
Orthodoxie versusparadoxe, dans cet affrontement, le second peine parfois à prouver la pertinence de la méthode de réflexion qu’il suscite par la santé mentale du doute.
A propos d’orthodoxie, on raconte que Gioacchino Rossini, grand gourmet s’il en fut, demanda un soir qu’on fasse cuire des tranches de bœuf avec des croûtons, du foie gras et des truffes. Comme le maître d’hôtel prétendait que “ce n’était pas orthodoxe !“, Rossini lui suggéra de servir ce plat en tournant le dos aux autres clients pour ne pas les choquer. Ainsi naquit le “tournedos Rossini“, de durable renommée…
Annick DROGOU
Il faut entrer dans la nuance des mots. D’ailleurs, tout dans la vie doit s’apprécier dans les nuances et dans les marges. La nuance, c’est le contrepoint de la complexité, son acceptation et sa poésie. Notre expression gagne toujours à s’enrichir de l’abondance des mots qui font le tour d’une même idée mais l’éclairent chacun différemment. Ainsi, j’aime le mot « docilité » dont on fait trop rapidement un synonyme d’obéissance ou de soumission. Il y a dans l’assonance même de ce mot « docilité » une plasticité et une souplesse qui font écho à la douceur, une image de la sagesse du roseau qui plie mais…
Savez-vous que docile, docilis en latin, est la qualité de celui qui apprend aisément, qui est disposé à se laisser enseigner ? Faut-il avoir peur d’être docile, comme si c’était un aveu de faiblesse, une réponse un peu niaise ? La docilité est tout le contraire de la naïveté puisqu’il s’agit de se fortifier en apprenant. Avant d’être rebelle ou goguenard, il faut savoir écouter, s’instruire de l’expérience de l’Autre, de la sagesse accumulée, accueillir le message immémorial des grandes écoles spirituelles. Cette docilité, rétablie dans son sens premier, consacre la beauté de la transmission, de génération en génération.
La docilité est une ouverture progressive. Loin d’être passive, elle croît toujours dans l’accueil d’une parole, d’une compréhension, d’une espérance. Elle refuse la forteresse des certitudes. Son préalable est la confiance et l’amour. Humilité du souple roseau. Le goût de la docilité s’apprécie avec le temps long, tout le contraire de nos zappings quotidiens. Accepter être docile, de se laisser enseigner, c’est aussi goûter à la patience plus qu’à l’obéissance. C’est pérégriner au long cours sur un chemin d’apprentissage des mystères de la vie qui mène à l’infini. Docilement.
Jean DUMONTEIL
Le passage de la porte basse, les yeux bandés, lors de la cérémonie d’initiation est l’épreuve de la docilité au sens qu’en développe Jean Monteil.
Courbez la tête, cette porte est très basse». Par cette première parole, adressée au novice, la cérémonie d’initiation se place d’emblée sous le signe de l’inflexion, de la docilité. Depuis son obscurité, le récipiendaire fait confiance à la parole dans la lumière. Alors il se baisse, par acceptation que la porte soit basse; en réalité ou symboliquement. C’est CELA l’humilité, se baisser non pour se faire petit, mais pour faire confiance à l’autre; pour laisser place à la parole d’un autre qui sait mieux, qui guide, qui indique, qui dit. C’est l’humilitas selon Spinoza et non la micropsuchia (se minimiser) d’Aristote. L’humilité n’est pas le mépris de soi, mais une connaissance de soi et une re-connaissance de l’autre.
Si la docilité peut se discuter la nuance,elle,n’est pas du tout “le contrepoint de la complexité” elle en fait partie dans un enchevêtrement
qui peut être extrêmement complexe en effet mais pas sous forme de contrepoint.