L’enseignement ci-dessous a été donné par Ajahn Tiradhammo le septième soir d’une retraite de 10 jours en Suisse. Les « 7 Facteurs de l’Illumination » dont il est question sont : l’attention, l’investigation, l’énergie, la joie, la tranquillité, la concentration et l’équanimité.
Quand la joie est présente, nous sommes prêts à découvrir de nouvelles choses – Si nous avons déjà décidé : « La vie est souffrance », alors nous n’allons pas chercher plus loin.
Dans la pratique spirituelle, nous pouvons parfois faire l’erreur d’assimiler la vie religieuse à une sorte d’auto-flagellation. Ou alors, nous sommes enclins à croire que cette pratique devrait aboutir à un genre “spécial” de pureté. Avec cette idée en tête, nous regardons en nous et, bien sûr, tout ce que nous voyons ne sont que des impuretés. Nous étant formés à une idée de ce qu’est l’illumination, nous examinons notre propre esprit et nous y voyons juste le contraire : confusion et conflits.
Mais ce qu’il faut comprendre c’est que toutes les idées que nous avons concernant la pratique ne sont que des idées, seulement des idées…
Penser, par exemple : « Moi, je suis ici et le Nibbana se trouve là-bas, je ne suis qu’un idiot aux idées confuses et le Nibbana est toute pureté et profondeur » n’est qu’une projection de concepts.
En fait, dans la pratique réelle, illumination veut seulement dire être pleinement attentif et conscient de la confusion elle-même. La sagesse consiste à voir clairement son ignorance. Il ne s’agit pas ici de connaître la sagesse mais bien plutôt d’utiliser la sagesse pour connaître notre ignorance !
Toute la pratique de l’attention nous ramène à réaliser la vraie nature du fait d’être là, présent. Nous ne tentons pas de nous brancher sur une sorte de « Sagesse nibbanique » flottant quelque part dans l’espace et nous n’attendons pas non plus que la sagesse nous tombe dans les bras. Ce dont il s’agit c’est d’être conscient de la nature de la condition humaine telle qu’elle est.
C’est seulement à partir du moment où nous comprenons réellement ce qu’est la vie que nous pouvons commencer à la transcender. Si nous tentons de la transcender avant qu’en fait nous la connaissions, nous sommes seulement pris au piège de l’illusion.
Ajahn Chah avait coutume de dire : « Nous devons d’abord ramasser quelque chose avant de réaliser combien c’est lourd ». Nous rendre compte combien c’est lourd, c’est voir dukkha (la souffrance). C’est après avoir vu dukkha que nous pouvons lâcher-prise. Après avoir lâché prise, nous réalisons combien, en fait, c’est léger.
Ah ! Quel soulagement ! Et c’est ici que l’on parle de joie, ou piti comme elle est appelée dans les “Facteurs de l’Illumination”.
Il existe différentes traductions du terme piti, de même qu’il y a différentes sortes de joie. Hier, nous parlions de la manière dont, après avoir été motivé par dukkha pour chercher la Voie, nous arrivions à la confiance : c’est cette confiance qui, à son tour, conditionne la joie.
Ainsi, il y a ces différentes sortes de joie qui, dans la pratique spirituelle, naissent de différentes causes. Dans ma pratique personnelle, j’ai trouvé très utile d’y réfléchir car il semble que l’importance et la fonction de la joie soient souvent perdus de vue lorsqu’on parle de développement spirituel.
Toutefois piti n’est pas seulement le plaisir d’avoir une expérience agréable mais c’est plutôt une expérience qui nous amène à plus d’ouverture dans la vie, à l’éveil. Quand la joie est présente nous sommes prêts à découvrir de nouvelles choses. Par contre, si nous avons déjà décidé que “la vie est souffrance” et que nous la considérons comme un état misérable, alors évidemment nous n’allons pas chercher plus loin.
Regardez les enfants, comme ils observent et veulent constamment découvrir, la fascination qu’ils ont pour les choses. Il est triste de voir comment nous, les adultes, sommes devenus tellement sophistiqués que nous ne prenons plus le temps de regarder les fleurs ou toutes ces choses de moindre importance … Nous fonctionnons à un niveau beaucoup plus conceptuel. Quand nous voyons une fleur, nous pensons immédiatement “fleur” et ensuite : « oui, je sais tout des fleurs, toute ma vie j’ai vu des fleurs et ça, c’est seulement une autre fleur ». En vérité pourtant, chaque fleur est unique : elle est là, à cet endroit, en ce moment, c’est cette fleur-là. La même chose se passe si, par exemple, nous pouvons vraiment écouter chanter un oiseau et entendre seulement le son de ce chant. C’est une chose toute différente que de penser : “Oh, voilà un autre oiseau en train de chanter”. Si nous écoutons vraiment, il y a seulement le son de ce chant en ce moment précis, en cet endroit, dans ces circonstances et il y a la conscience de savoir cela, il y a l’écoute. Voilà une réalité totalement différente du fait de penser : « un autre oiseau en train de chanter ».
Si nous ne faisons constamment que conceptualiser, le dialogue ou bavardage intérieur ne s’arrête plus : « tiens, un oiseau en train de chanter… une fleur là-bas, telle personne est en train de parler, si elle pouvait se taire… une bougie qui brûle » etc.
Et nous croyons tout savoir de la vie !
Tout ce que nous faisons, c’est seulement jongler avec des concepts dans nos têtes et tout ce qu’ils font, c’est de se déplacer d’un côté à l’autre du cerveau, émergeant de la mémoire pour être verbalisés et y replongeant ensuite. Si nous vivons avec seulement des concepts par rapport à la vie, il y a beaucoup de chances qu’elle devienne plutôt ennuyeuse avec toujours ce même rabâchage : « fleur, oiseau, arbre… »
Bien qu’il soit naturel que le langage nous permette d’apprendre, de comprendre et d’exprimer notre compréhension, beaucoup d’entre nous sont devenus prisonniers du langage. La méditation nous donne l’occasion à présent d’amener un changement profond dans notre civilisation occidentale en essayant de comprendre à un niveau non conceptuel. La méditation nous permet de réaliser de manière directe la nature de toute expérience.
Ceux qui croient s’identifier totalement à travers les mots peuvent peut-être trouver cela menaçant, mais il est bien évident qu’il ne s’agit pas de se passer complètement des mots, nous devons pouvoir continuer à nous exprimer et il est nécessaire que nous puissions communiquer. Mais nous devrions reconnaître que les mots que nous utilisons pour communiquer ne sont pas identiques à l’expérience que nous tentons de décrire.
Dans notre société actuelle, la part donnée au silence est tellement mince et les mots sont si bruyants et forts que souvent c’est seulement cela que nous entendons. Pourtant c’est l’importance accordée au silence qui nous donne accès à une manière différente de communiquer.
Comme il est merveilleux d’être à nouveau un enfant et de ne plus être limité par les mots ! Au début, les enfants ne connaissent pas de mot pour désigner une fleur et ils demandent : « c’est quoi, ça ? ». Alors, nous leur répondons : « c’est une fleur ». C’est vrai qu’ils doivent apprendre à communiquer, mais pourquoi n’essayerions-nous pas de répondre : « on appelle cela une fleur mais ce n’est pas ce qu’elle est vraiment, elle est comme elle est, c’est sa nature et c’est parfait ainsi ». Connaître cet état de « simplement, comme les choses sont… », c’est connaître la joie. C’est cette joie qui peut faire revivre en nous tant de belles qualités qui se sont éteintes. A présent nous avons la clé secrète qui peut nous aider à nous libérer de nos habitudes.
Cette joie peut aussi être développée davantage car au-delà de piti ou joie spirituelle existe une qualité beaucoup plus stable appelée sukha. En général, on traduit sukha par bonheur, le contraire de dukkha, mais en fait ce n’est pas suffisant car le bonheur momentané est comme un papillon qui vole de-ci de-là. Il n’y a certainement rien à redire à cela mais bonheur ne traduit pas la qualité profonde de bien-être exprimée par sukha. A force d’avoir vécu tellement avec des concepts, notre vie est devenue ennuyeuse et des moments fugitifs d’excitation en sont venus à nous paraître importants.
Sukha, par contre, signifie : « tout est simplement parfait ». C’est un sentiment de calme et de bien-être qui imprègne notre corps et notre esprit tout entier. Sukha rend l’esprit paisible et non fragmenté, donnant une fondation solide pour samadhi, la concentration.
Mais revenons à présent à la joie : la joie est spontanée. Vous ne pouvez pas la concevoir à l’avance ni la créer : elle vient simplement dans le moment présent. Quand la joie est vraiment là, vous vivez dans le moment présent. Voir la joie ainsi devient un point de référence précieux pour nous car nous savons alors que, si nous vivons une joie véritable, nous sommes dans le moment présent et, inversement, si nous sommes réellement dans le moment présent, une joie authentique se manifeste.
Donc, tâchez de découvrir d’où vient la joie, voyez ce qui la maintient et ce qui la fait disparaître. En faisant cela, nous commençons à cultiver la joie comme un des « Facteurs de l’Illumination ».
Elle devient une des qualités qui nous mènent à l’éveil.
J’ai choisi ce texte, car par les temps que nous vivons, il semble important de trouver sinon une joie intérieure mais tout du moins un calme qui nous permette d’agir dans le bon sens et non de réagir aux évènements extérieurs.
Les évènements extérieurs depuis quelques mois (pandémie, feux, réchauffement climatique…) nous inciteraient plutôt à réagir, à poser des questions « pourquoi ? » mais nous savons bien qu’il n’y a pas de réponse ou quelles sont multifactorielles. Et que les solutions ne dépendent pas que de nous.
Nous pouvons agir si nous le souhaitons en aidant les autres autour de nous, mais nous ne pourrons le faire, de façon judicieuse que si nous sommes habités par ce calme intérieur et cette joie, toute simple. Ida Radogowski
Ida a créé avec d’autres personnes LA LETTRE DES DEUX VOIES pour favoriser des échanges et des liens entre Francs-Maçon (nes) qui sont déjà dans une démarche bouddhiste ou qui souhaite connaître un peu mieux le bouddhisme.
La lettre est trimestrielle et gratuite, on peut s’y inscrire en précisant son Ob., sa L. et la Ville de résidence à ce mail : lesdeuxvoies@orange.fr