jeu 10 octobre 2024 - 23:10

Mitterrand et les grands travaux ésotériques (…suite)

Le 8 janvier 1996, François Mitterrand s’éteint quelques mois après avoir quitté l’Elysée. Un peu plus d’un an auparavant, il se confiait aux français et leur disait

« je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas ».

Avec cette petite phrase, il confirme définitivement son amour pour le spirituel et l’ésotérisme, et laisse derrière lui bien plus qu’une carrière politique. À l’image de tous ces grands souverains bâtisseurs, il a souhaité marquer le monde matériel avec des constructions symboliques.

La suite de ce reportage avec le magazine Inexploré – Un article d’Aurélie Aimé

Les mystérieux travaux de Mitterrand

Quatre mois seulement après son arrivée à l’Elysée, François Mitterrand annonça les débuts d’une entreprise pharaonique : les « Grands Travaux », parmi lesquels figureront la Pyramide du Louvre, la Grande Arche de la Défense, la Très Grande Bibliothèque, les Colonnes de Buren, l’Opéra Bastille… Ces monuments, de par leur emplacement, leur architecture, de par l’attrait que l’on connaissait au Président pour ce qu’il nommait « forces de l’esprit », ont donné lieu à de nombreuses interprétations. On y a vu des symboles cachés, liés à la franc-maçonnerie, à l’Egypte antique, à l’occultisme, certains y ont lu un désir de laisser son empreinte, à la manière d’un monarque… Le président souhaitait-il transmettre un message caché? Etait il un grand initié comme certains le disent ?

François Mitterrand est le seul président Français à s’être exprimé aussi fréquemment, et spontanément, sur le sujet de la spiritualité et de la transcendance, qui dans notre société, sont généralement cantonnés dans le registre de la vie privée. Ceux qui l’ont connu disent qu’il était un homme de la terre, sensible aux énergies, et très intuitif. Son terreau éducatif fut profondément catholique. À 14 ans, il affirme même vouloir entrer au séminaire. Il s’imagine un grand destin, clamant vouloir être « roi ou pape »

Bien qu’il s’éloigne de la religion au fil de sa vie, son questionnement métaphysique ne cessa de s’intensifier. En 1974, il se confie au journaliste Franz-Olivier Giesbert : « Enfant, j’étais croyant. Maintenant, franchement, je ne sais pas. Disons que, devant l’absence d’explication du monde, j’ai tendance à être déiste. Je ne fais pas partie de ceux pour qui tout n’est que hasard et nécessité. Au contraire, j’incline à penser qu’il y a une inspiration, derrière l’univers. Peut-être parce que mon esprit n’est pas très scientifique ; peut-être parce que le christianisme a modelé toute ma jeunesse. » Il portait notamment un vif intérêt pour toutes les expressions de la croyance, qu’elles soient écrites ou architecturales. Ce dernier point fut l’une de ses grandes passions. Etudiant, arpentant les rues de Paris, il s’imaginait déjà pouvoir modifier çà et là le visage de la capitale… Arrivé au sommet de l’Etat, il engage ainsi sa destinée, l’œuvre d’une vie.

Il faut aller au delà des apparences pour découvrir un message caché.
Les Grands Travaux ne figuraient pas dans son programme. Aussi tout le monde fut surpris lorsqu’il en fit l’annonce, lors de la conférence de presse du 24 septembre 1981. Son projet concernait tous les domaines de la culture : de la musique à la lecture, aux arts plastiques ou au savoir scientifique, en Ile-de-France et en régions. Certains, comme la rénovation du Louvre se seront étendus sur une vingtaine d’années, traduisant son besoin de parer notre pays des grandes institutions culturelles qui lui faisaient défaut. Serge Thibaut, ancien élève de l’ENS, docteur en Philosophie, et auteur du Guide du Paris hermétique: Essai sur la logique symbolique des alignements parisiens (Ed. Dervy, 2016) explique que les termes employés pour l’annonce du grand Louvre auguraient déjà un projet nimbé de mystère : « d’un air presque goguenard, il fit part de sa décision de « rendre le Louvre à sa destination », propos ambigus car la « destination » originaire du Louvre était celle d’être le palais des rois de France, pas celle d’être un musée ». Mitterrand s’envisageait-il comme un roi parmi les présidents ? Il fut après tout le premier président après Napoléon III à le modifier, s’inscrivant dans la continuité des monarques de France.

pyramide Kheops

La pyramide en verre du Louvre a été faite d’après les dimensions de la pyramide de Kheops.La grande pyramide du Louvre, érigée au bord de la Seine comme autrefois les pyramides d’Egypte au bord du Nil est l’œuvre dont il s’est dit le plus fier, malgré les vives critiques qu’a reçues le projet à l’époque. Ce n’est pas un secret : l’ancien Président nourrissait une grande passion pour l’Egypte antique. Sa confidente de 12 ans, Marie de Hennezel, psychologue, psychothérapeute, et auteure de Croire aux forces de l’esprit le dépeint ainsi : « Je pense qu’il était très obsédé de laisser une trace. Il était fasciné par la mythologie égyptienne, toutes les mythologies qui montrent que la mort est une transformation l’intéressaient. Je portais à l’époque cette croix, la croix égyptienne. On l’appelle la clé d’Isis. On a beaucoup parlé de ce qu’elle signifiait. Il allait en Egypte régulièrement, car il sentait que ce peuple-là, à cette époque-là avait perçu une réalité. »

Selon Serge Thibaut, les trois petites pyramides entourant la grande pyramide du Louvre soulèvent des questions. En effet étant dénommées « pyramidions », leur fonction devrait être de coiffer un obélisque : « soit ce n’étaient pas des pyramidions, soit il y avait des obélisques. Or le fait est que le dallage au sol reproduit, en surface plane, des obélisques sous les trois pyramidions. Par ailleurs, les bassins reflètent le cosmos, et indiquent la fécondation par la force céleste du cosmos. Cela évoque à mes yeux Amon-Rê, fécondant par sa semence le cosmos en son entier. » D’après lui , l’ouvrage fait écho au temple d’Amon-Rê à Karnak en Egypte, où ne demeurent que trois obélisques surmontés de pyramidions, et dont la configuration générale rappelle étrangement celle du Grand Louvre.

La configuration du musée rappelle également une loge maçonnique : Les pyramidions font écho aux 3 fenêtres grillagées qui éclairent la loge. On retrouve aussi le grand escalier hélicoïdal, qui symbolise le fait de devoir gravir les échelons pour atteindre la sagesse, ou qui nous permet de descendre au centre de la terre. En sous-sol , on trouve une pyramide inversée. Sa pointe rencontre le sommet d’une autre sans qu’elles se touchent, comme pour illustrer encore une fois le lien entre ciel et terre…

Pourtant, Mitterrand n’était pas affilié à ceux qu’il surnommait non sans moquerie « frères La gratouille », en référence à leur poignée de main maçonnique caractéristique. Marie de Hennezel explique qu’il était simplement un homme de la terre, connecté aux éléments : « Il se disait un peu druide. Il avait une connaissance intuitive des choses. On lui prête une connaissance intellectuelle, mais il n’a jamais été initié. Je pense toutefois qu’il avait cette initiation en lui, peut-être d’une autre vie… ». Elle ajoute cette anecdote « Dans le Gard j’ai une pierre Celte mais aussi une maison dans laquelle il y a des fenêtres triangulaires avec une étoile… Quand il est arrivé il m’a dit : « mais Marie, vous n’êtes pas Franc-Maçonne ? », j’ai répondu « non ». Il a dit « moi non plus », et a ajouté « vous êtes comme moi, vous avez la connaissance des symboles ». »

L’emplacement de la pyramide a aussi une grande importance, car c’est l’un des seuls éléments sur lequel il avait réellement la main. Serge Thibaut précise l’aspect symbolique de ce choix : « Il est à Paris des axes signifiants, dont le plus connu est l’Axe historique et c’est à partir de leur position sur les axes que les monuments prennent tout leur sens. Notons par exemple que l’Opéra Bastille, le Grand Louvre et la Grande Arche sont alignés sur l’Axe historique, et c’est leur rapport à l’Axe qui me semble fournir la clé de leur sens. Il en va de même pour la Pyramide du Louvre et les colonnes de Buren, situées sur le Méridien, ce qui signifie que le Louvre est à la croisée des deux axes majeurs de la capitale. ». Cette voie royale fut enrichie par Catherine de Médicis, Louis XIV, Napoléon, et achevée par Mitterrand.

pyramide inversée Louvre

La pyramide inversée, autre symbole à qui sait le voir.« J’ai eu à la cathédrale de Bourges l’un des coups de foudre de ma vie. ». François Mitterrand vouait une passion non dissimulée à l’architecture religieuse et pour l’atmosphère spirituelle qu’elle dégage : « il percevait l’énergie des lieux. Il allait incognito à Thésée, se mettait sur un petit tabouret au fond de l’église, et me disait « je sens l’énergie. Vous êtes d’accord qu’il y a une énergie incroyable ? », se souvient Marie de Hennezel. Cette forte attirance trouve un écho dans la construction de l’un de ses principaux Grands Travaux: la Bibliothèque Nationale de France. C’est sa plus vaste construction : sur 75 000 m2, avec un bâtiment en sous sol, et un véritable écosystème forestier avec 130 pins. Les 4 tours en forme d’équerre figurent 4 livres ouverts, aux noms sans équivoque : tour des lois, des nombres, des temps et des lettres.

Le choix de ce projet titanesque de l’architecte Dominique Perrault n’est pas anodin « Avec Perrault, nous en avons beaucoup parlé, nous avons voulu reconstituer l’atmosphère de cloître. Naturellement, avec les moyens modernes, et sans vouloir imiter les cloîtres anciens. » Ainsi a-t-il réuni son goût pour le recueillement, son amour du livre et de l’architecture, sans jamais négliger l’aspect énergétique : « il faisait des choses surprenantes pour un président de la république, s’approcher d’une pierre, poser ses mains dessus et rester en silence là. Il me disait : cette pierre c’est de l’énergie, ce sont des atomes qui dansent », confie Marie de Hennezel.

L’emplacement de la pyramide a aussi une grande importance.
Au delà du choix systématique de constructions simples, géométriques -des pyramides au Louvre, un Hypercube à la Défense, une sphère à la Villette, des colonnes épurées au Palais Royal, des équerres à la BNF- on trouve un autre élément commun aux constructions Mitterrandiennes : une partie souterraine. « Les salles de recherche de la BNF sont sous terre et l’on n’y accède que par de vastes escaliers roulants inquiétants, tout comme l’auditorium central de l’Opéra Bastille ou la Géode sont des salles situées en souterrain. Même les locaux fondamentaux de la Grande Arche sont sous terre ; on y accède par le cratère central au sommet des 54 marches. Quelle que soit donc la construction mitterrandienne, il nous faudra descendre à l’intérieur de la terre, rectifier nos croyances et nos naïvetés, et ainsi comprendre où se situe l’essentiel. », explique Serge Thibaut.

Mitterrand, lors de ses nombreux échanges avec Marie de Hennezel, lui disait qu’« un chef d’état qui n’a pas de profondeur ne peut pas avoir de hauteur ». La psychologue, explique que se dessinait en lui « tout une réflexion politique entre ce qui est non visible et souterrain et ce qui est visible. C’était important pour lui, et même vital de se relier à ses profondeurs. »

colonnes de Buren

Les colonnes de Buren et leurs 260 cases, un clin d’oeil au calendrier Maya ?Ainsi, le projet des colonnes de Buren, qui a aussi beaucoup contrarié l’opinion, est constitué de 260 colonnes en marbre rayées de noir de hauteurs variables, disposées sur une sorte de damier. Mais les apparences sont trompeuses : les colonnes ont en réalité toutes la même taille, mais sont plus ou moins enterrées. Le second plateau est parcouru d’une rivière souterraine. On retrouve ce jeu d’opposition apparent/dissimulé, et ce lien entre le souterrain, le ciel et la terre. Certains y ont vu la représentation d’un calendrier Maya, spéculant notamment sur le nombre 260. Serge ajoute que Daniel Buren est de confession judaïque, et qu’il est donc bien plus probable qu’il ait voulu figurer le Temple en ruine : « Cela expliquerait la présence des cours d’eau souterrains évoquant dans ce cas la superposition des deux fleuves de la tradition hébraïque, celui des grâces et des influences célestes, se déversant verticalement sur l’axe du monde et se distribuant selon les quatre directions cardinales sur terre. Cet axe du monde serait matérialisé par « la colonne du puits », seizième colonne de l’ensemble, entièrement souterraine mais non recouverte par le grillage. »

axe de Paris

L’axe historique de Paris, renforcé siècle après siècle par Louis XIV, Napoléon puis Mitterrand.L’un des ouvrages les plus explicites et richement orné de symboles est le Monument des droits de l’homme, situé dans les jardins du Champ de Mars et construit pour le bicentenaire de la Révolution. Si de prime abord, et de part sa fonction le bâtiment paraît austère, il faut aller au delà des apparences pour découvrir un message caché. Sa forme est celle d’un temple antique : les deux colonnes se trouvant à l’entrée sont des répliques de celles du Temple de Salomon, appelées Boaz et Jakin , largement reprises dans la tradition maçonnique. Elles ont pour particularité de ne rien porter, si ce n’est symboliquement : la voûte étoilée. Sur les façades de la bâtisse, figurent d’étranges totems : personnages, animaux, formes géométriques… En haut du monument se trouve un lézard, symbole d’éternité, de sagesse, et de bienveillance chez les égyptiens. Au dessus de la porte, on trouve un oculus traversé de la lumière solaire qui éclaire l’intérieur du monument. Il est entouré d’un ouroboros : serpent qui se mord la queue, symbole dans de nombreuses traditions du caractère cyclique du temps, de la vie et de la mort, de Dieu. Une gigantesque porte en bronze interdit l’entrée du bâtiment au « simple citoyen », étonnant pour un monument qui lui est dédié ? Celle-ci est gravée d’un mélange étonnant de symboles: on retrouve des formules franc-maçonnes, des sphères et des triangles pouvant évoquer des temples, des Dieux égyptiens…

Enfin, sur la face arrière, on découvre 3 œilletons disposés en triangle avec en leur centre, un trou plus large en forme de triangle. Il invite à entrevoir l’invisible : ici, la face cachée de la porte du temple sur laquelle on découvre un médaillon figurant une poignée de mains, une corne d’abondance et un caducée : des symboles qui confirment le caractère maçonnique de l’édifice. La signature si chère au président est également là: le monument se trouve à nouveau sur les deux axes parisiens… Tout comme les grands bâtisseurs, peut-on supposer que François Mitterrand a voulu placer l’homme au cœur du divin, et reconnaît leur immortalité ?…

Monument des Droits de l'homme

Construit à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, le Monument des droits de l’homme nous invite mystérieusement à entrevoir l’éternité de l’homme.Tandis qu’on prête de multiples intentions à celui que des humoristes de l’époque surnommaient « Dieu », il faut considérer que si les grands travaux ont été initiés par Mitterrand, cela n’implique aucunement qu’il ait pu décider de leur forme ni de leur symbolique. Comme il l’a lui-même expliqué « l’ensemble des grands projets relève de choix des jurys nationaux et internationaux ». L’opéra Bastille, par exemple, n’avait pas du tout les faveurs du Président. Dans un entretien avec Bernard Pivot, en avril 1995, il put affirmer qu’il eût préféré qu’un autre projet vît le jour, au moins pour la façade extérieure.

Enfin, les réalisations de François Mitterrand sont certainement indissociables d’une question qui l’a habité de manière croissante les dernières années de sa vie : celle de l’au-delà. L’année du lancement des grands travaux, en 1981, les médecins pronostiquent un cancer de la prostate et ne lui donnent plus que quelques mois à vivre. Jacques Attali dans son ouvrage C’était François Mitterrand (Ed. Fayard), raconte : « Quand je lui demandais s’il croyait en l’existence de Dieu, il me répondait qu’il admettait l’idée d’un principe ordonnant toute chose, sans pour autant croire en une religion particulière ni verser dans le mysticisme. »

Suite et fin de l’article d’Aurélie Aimé

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