Il y a quelques temps, lors de l’écriture de mon premier ouvrage, l’Ethique en Franc-maçonnerie (disponible sur le site des éditions Numérilivre ou chez votre libraire), j’avais fustigé la virilité imbécile et la phallocratie institutionnelle (relisez les pages 92 et suivantes). En m’inspirant des travaux du docteur Christophe Dejours, j’en concluais que les stéréotypes virils de la réussite constituaient une nouvelle banalité du mal : glorification de la violence des vrais hommes, mépris des personnes les plus vulnérables et dénigrement du soin, juste bon pour les gonzesses. Que peut-on alors penser d’un régime politique qui consacre le droit à porter des armes à feu pour n’importe quel clampin et qui revient sur une avancée majeure du droit des femmes, à savoir l’interruption volontaire de grossesse ?
Lorsque la nouvelle est tombée, j’ai cru à une mauvaise blague. Mais non. La Cour Suprême des Etats-Unis a annulé l’arrêt Roe-Wade autorisant l’interruption volontaire de grossesse.
Il faut savoir que contrairement au droit européen dans lequel tout est écrit et codifié, le droit américain est avant tout prétoriel : il existe des règles communes, comme la liberté d’expression et le droit à porter des armes, mais tout le reste est soumis à l’autorisation d’un juge. Ainsi, durant la ségrégation (en 1969), il a fallu la décision d’un juge pour que la mathématicienne Mary Jackson puisse suivre la formation d’ingénieur (normalement réservée aux blancs) nécessaire à son poste à la NASA.
Le droit américain est donc écrit dans les prétoires. Il est malheureux qu’il s’exprime à coup de pétoires…
La Cour suprême a donc décidé d’adopter le point de vue de fondamentalistes religieux (généralement « mâles blancs dominants »), de type WASP, comme leur ancien président, celui qui privilégiait les « faits alternatifs » à la réalité.
C’est très choquant de notre point de vue d’européen, mais au final, cela s’explique. Selon Noam Chomsky, les américains sont un peuple d’arriérés. Il estime que 30 % de la population croit encore au miracle et que le monde a été façonné par une divinité en 7 jours (cf. le résumé de ses conférences et entretiens ici). Dans ces conditions, on peut plutôt se demander comment le droit à l’interruption volontaire de grossesse a pu être ajouté dans le droit et comment il a tenu aussi longtemps…
De la même manière, après une énième tuerie dans une école (massacre d’Uvalde au Texas il y a quelques semaines), l’État de New-York a lancé des restrictions au port d’armes automatiques, sans grand espoir de succès. La preuve, la Cour suprême a consacré le droit à porter une arme à feu, en même temps qu’elle a annulé le droit à l’IVG. On appréciera le symbole : les mêmes qui interdisent aux femmes de disposer de leurs corps au nom d’une idéologie pro-vie, autorisent les hommes (et les femmes aussi) à porter et utiliser des armes semi-automatiques… Vous la sentez, la cohérence, là ? A se demander si ces braves gens n’ont pas un léger problème avec la maternité d’un côté et leur propre virilité de l’autre !
Ainsi, pas besoin de développer plus : l’autoproclamée plus grande démocratie du monde, qui s’imagine fondée à porter ses valeurs dans le monde entier n’est qu’un pays d’arriérés. Notons que ce sont les élites de ce même pays qui se permet d’expliquer aux représentants de l’État français que la Sécurité Sociale, les assurances sociales, bref, toutes les déclinaisons du solidarisme ne sont pas rentables et qu’il faut tout privatiser (cf. la Lettre au futur locataire de l’Elysée par l’équipe de Charlie Hebdo). En effet, il est tellement mieux, tellement plus éthique de faire payer les soins directement par les patients, comme la banale somme de 30 000 Euros pour un accouchement qui se passe bien… Ou de présenter la facture aux survivants d’un massacre de masse du fait d’un tireur isolé.
Et en Europe, sommes-nous protégés contre cette grave régression du droit des femmes ? A en juger par les récents événements en Pologne, clairement, non. Nous ne sommes pas à l’abri d’un recul drastique du droit des femmes au nom d’une idéologie prétendument pro-vie, qui est en fait le retour du religieux dans la sphère politique. On peut aussi s’interroger sur les conséquences des actions des militants prétendument pro-vie : je rappelle qu’une femme est morte en Pologne après qu’on lui a refusé une interruption médicale de grossesse (la poche des eaux s’étant déchirée très prématurément, condamnant le fœtus et la mère). Cette femme avait trois enfants, désormais orphelins. Bravo les pro-vie. A se demander quelle vie ils prétendent défendre.
Ce qu’avaient compris le Frère Pierre Simon, Lucien Neuwirth et ceux qui les ont suivis, c’est qu’une femme qui veut avorter le fera. Alors autant leur donner la possibilité de le faire en protégeant leur vie à elles. Tel est l’esprit des lois Veil et Neuwirth. On ne peut pas, on ne doit pas, à moins d’être une belle ordure, laisser une femme mettre sa vie en danger. C’est avant tout à cela que servent les centres de planning familial : permettre une interruption volontaire de grossesse dans les meilleures conditions possibles, et les protéger des conséquences d’accidents de la vie sexuelle, comme une infection sexuellement transmissible, et accessoirement, donner aux jeunes un complément salutaire d’éducation sexuelle, ce que l’Education nationale ne semble plus en mesure de faire, faute d’enseignants d’un côté, faute d’arguments à opposer à la pudibonderie religieuse des familles d’élèves de l’autre. Vouloir remettre leur existence en cause est criminel.
N’en déplaise à Michel Sardou, il est temps de mettre une distance salutaire avec les Ricains, ce peuple d’arriérés en proie aux délires de sectes diverses et désormais incapable de se donner une réelle éthique publique. Et plus proche de nous, il me semble plus que nécessaire de rappeler que les convictions religieuses relèvent de l’intime et ne doivent pas être utilisées comme argument dans le débat politique (on peut se référer à mon ouvrage Ethique et athéisme pour nourrir sa réflexion). Les lobbies religieux font trop de dégâts pour être considérés comme inoffensifs. Leur action doit cesser, ce qui requiert un certain courage, vertu manquant à nos politiques. L’avenir est de plus en plus sombre.
La Grande Loge Féminine de France a émis un communiqué pour marquer son indignation, de même que la Fédération de Droit Humain. Des forces obscurantistes sont à l’œuvre pour faire régresser le droit et la liberté, plus que jamais, restons vigilants.