Étymologiquement le mot «travail» viendrait du bas latin, Tripalium, du nom d’un instrument à trois piliers qui servait à ferrer les chevaux, à maintenir les animaux sous le joug et assujettir les condamnés à la torture. Assimilant l’action à l’instrument, on considéra le travail comme un maintien sous le joug en y ajoutant le contexte biblique de condamnation infamante à perpétuité. C’est le très grand honneur de la Franc-maçonnerie d’avoir détruit le tabou d’expiation qui pesait sur le travail ; et de l’avoir remplacé par le symbolisme d’un effort, délivrant des servitudes humaines. (Éliane Brault).
Pour d’autres, «Travailler» serait formé sur une base lexicale exprimant un mouvement, qui s’articule au préfixe tra– exprimant la notion de passage assortie d’une résistance. André Eskénazi émet l’hypothèse selon laquelle tous les sens de travailler se ramènent à une signification abstraite : rupture, sous la pression d’une intervention extérieure, d’une position fondamentale de dégagement dans «l’en soi-pour soi-chez soi». (l.art.pense.free.fr/travailler.html).
Leitmotiv des rituels de tous les rites du passage au deuxième degré qui reconnaît que c’est parce que l’apprenti a bien travaillé qu’il mérite de devenir compagnon. Le travail est conçu, dans les loges, comme permettant d’atteindre un but moral. Le maçon est invité à travailler sur lui-même, à polir sa pierre brute, à se perfectionner avant de songer à améliorer le monde. La symbolique maçonnique, avec les outils du constructeur, témoigne de cette orientation primordiale.
Les francs-maçons, parfois considérés comme héritiers spirituels des bâtisseurs de cathédrales, ont leur Temple à construire. Salomon l’a conçu. Hiram en traça le plan. Chacun des frères et sœurs l’exécute. «C’est le temple de l’harmonie humaine et de la paix. Il est fondé sur la raison. Il est embelli par l’amour. Il est réalisé par le travail.»
Il s’agit, non seulement de participer aux travaux dans les loges, mais de répandre à l’extérieur les philosophies et, surtout, plus efficacement encore, de les servir par l’exemple et l’action dans le monde profane.
Le travail est celui du compagnonnage opératif qui fait de l’ouvrier un artisan, de l’artisan un ouvrier d’art et de l’ouvrier d’art un bâtisseur de cathédrales de pierre ou d’esprit.
Le travail est un dessein de perfectionnement, celui du franc-maçon n’est ni un labeur, ni une peine, ni une tâche, mais une liberté en action, un devoir.
Il est vraisemblable que la formule de glorification du travail ait été issue d’une traduction déformant les premiers rituels maçonniques britanniques. Depuis la moitié du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours, dans tous ces textes de rituels complets on glorifie (on honore) le Craft, éventuellement le Work(ing). Or, Craft se traduit par mestier, chantier, savoir-faire ou œuvre, et Work(ing), dans le contexte maçonnique, par rite, rituel, travail en loge, méthode, forme de travail, manière de travailler, en somme le «style». Work(ing) est le synonyme d’un rituel qui va gouverner et diriger la loge. Il ne s’agit donc, par cette expression, que de la glorification du travail initiatique.
Et pour ce travail la Franc-maçonnerie offre des outils.
«Pratique, beau, divers, l’outil transpire l’unité de l’homme qui l’a conçu, utilisé, soigné, transmis. Particulier en son utilité, il sue bien d’avantage encore l’unité d’un homme dont toute porte à penser qu’il n’est devenu sapiens qu’à force de s’être voulu faber» (Paul Feller). L’homme a mis dans l’outil qu’il a créé du savoir-faire, de l’imagination, de la patience, un sentiment du possible bien contrôlé, un sens précis de ses actes ; sans l’outil qui réalise, l’invention de l’esprit n’est que rêverie.
«La première preuve, quant aux outils dans les cérémonies maçonniques, provient de l’Edinburgh Register House MS. de 1696, avec deux versions ultérieures, presque identiques, de c. 1700 et c. 1714. Ils ne contiennent qu’un seul passage qui mentionne des outils. Cela se produit au cours de la salutation du candidat aux Frères lors de son retour dans la loge : comme je suis juré par Dieu, Saint Jean par l’équerre et le compas, et juge commun… En 1801, Preston, lors de sa cérémonie d’installation, a énuméré la règle, la ligne, la truelle, le ciseau, l’aplomb(la perpendiculaire), le niveau, l’équerre, le compas et le maillet, dans cet ordre, et a «moralisé» chacun d’eux. (Harry Carr, Le franc-maçon au travail, &79-p.164)
Il est évident que les outils présentés au cours d’une vie maçonnique sont à considérer comme allusifs à une manière de penser et de progresser tant intellectuelle que morale et spirituelle (taille, géométrisation et vérification). Les outils retenus servent d’indication aux francs-maçons pour une action conforme à la fraternité et à l’amélioration de chacun d’eux. «Je vous présente maintenant les outils de travail de lʼApprenti franc-maçon. Ce sont la Règle de vingt-quatre pouces, le Maillet à dégrossir et le Ciseau. La Règle de vingt-quatre pouces nous sert à mesurer l’ouvrage, le Maillet à dégrossir la pierre brute et à enlever les aspérités, le Ciseau à aplanir la pierre, et à la préparer avant qu’elle ne passe aux mains d’ouvriers plus habiles. Or, comme nous ne sommes pas tous des maîtres opératifs mais plutôt des maîtres Francs et Acceptés ou Maîtres symboliques, nous appliquons ces outils à notre conduite morale» (Rite Émulation : extrait du rituel au grade d’Apprenti, correspondant à la présentation des outils).
Les outils retenus servent d’indication aux francs-maçons pour une action conforme à la fraternité et à l’amélioration de chacun d’eux. Les outils maçonniques expriment ce que Bergson disait de la philosophie : «agir en homme de pensée, penser en homme d’action.»
L’objet rituel, selon Philippe Langlet, est un principe, et les rituels, quand il y est présent, soulignent constamment qu’il est utilisé pour «moraliser», c’est-à-dire qu’il est essentiellement support d’interprétation «spirituelle»…Ainsi on peut les associer avec la triade maçonnique : Sagesse (règle, équerre, compas) ; Force (levier, maillet, ciseau) ; Beauté (niveau, perpendiculaire, truelle).
Jean Baudrillard a raison d’affirmer que cet objet (outil) «n’a plus de fonction, il a une vertu». Poursuivre et compléter par la lecture du texte : Lettre aux francs-maçons par Dominique Naert.
Les outils de la sagesse (règle, équerre, compas)
La Règle
Instrument rectiligne qui sert à diriger la main pour tracer des lignes droites, c’est aussi ce qui peut conduire, diriger les actions et les pensées des hommes par un jugement équitable. La droiture donne la rectitude, la direction dont il ne faut pas dévier et la loi morale dans ce qu’elle a de rigoureux. « La Reigle disoit au compas : Tu ne sais pas ce que tu dis ; tu ne saurais rien faire qu’un rond seulement qui est le trou du cul ; mais moy je conduis toutes choses directement, et du long et de travers ; et en quelque sorte que ce soit je fais mon cher droit devant moi. Ainsi quand un homme est mal vivant, on dit qu’il vit desreiglement», qui est autant à dire que, sans moi il ne peut vivre droitement. Voilà pourquoy l’honneur m’appartient d’aller devant.» (Bernard Palissy, Dessein du jardin délectable). À la Renaissance, l’équerre porte le nom d’esquierre, et la règle porte le nom de rigle (parfois reigle, Jean Bullant (151?-1578), Petit traicte de geometrie et d’horologiographie pratique, p.4).
L’importance de l’enseignement de la règle est manifeste, la règle est portée au cours de 3 voyages (sur les cinq) lors de l’augmentation de salaire, soulignant l’exigence de ce devoir impératif et de sa constance dans le temps. À certains rites, la règle graduée est d’abord portée sur l’épaule gauche, symbolisant la passivité, la soumission à la matière, puis dans la suite des voyages elle est portée à droite signifiant son sens actif et sa plénitude. À gauche elle devrait être portée avec la graduation apparente (la graduation fait entrer la métaphysique de la droite infinie dans le domaine inférieur de la quantité et de la finitude), à droite sans graduation. Sur l’arbre des séphiroth anthropomorphe, l’épaule gauche est hesed (la générosité, qui est le centre par lequel s’exprime la bonté pure), l’épaule droite est geburah (la puissance. Elle exprime la force vitale).
Souvent sectionnée en 24 divisions horaires, la règle est le symbole de la loi commune qui régit les phénomènes du monde réel et du monde spirituel. La répartition de ces divisions se voulait indication de règle de vie pour le franc-maçon, comme indiqué dans les Divulgations de Martin Harvey : 6h pour le travail, 6h pour la prière, 6h pour la communauté, 6h pour le repos. La Franc-maçonnerie anglo-saxonne la découpe en 8h pour le travail au chantier, 8h pour la prière et les exercices spirituels, 8h pour le repos et la vie familiale.
La règle, c’est aussi le règlement, le principe qui dirige un groupe et qui s’impose à lui.
Une association d’individus peut se considérer comme constituant un ordre quand elle présume une règle ou un rite à travers lesquels on obtient une déterminante infinie.
Un ordre est initiatique quand la règle, ou le rite, sont tels qu’ils complètent la signification de la parole elle-même.
La Franc-maçonnerie se définit comme ordre initiatique. Certaines obédiences, dans le cas de quelques grandes loges dites régulières, se définissent comme un ordre initiatique qui, tout en transcendant les spécificités individuelles, regroupe des personnes qui acceptent par serment, de vivre sous certaines règles que l’on appelle Anciens Devoirs. Les fondements de la régularité maçonnique s’appuient sur le respect d’un ensemble de règles consignées dans les composantes de base que sont les Landmarks, la Règle en douze points de la Franc-maçonnerie et la Constitution de la GLNF du 14 novembre 1915 qui inclut le règlement général et les principes de base propres à toute grande Loge régulière : «-1er Surveillant : Frère Second Surveillant, où sont tracées les règles de nos devoirs ? -2nd Surveillant : Elles sont empreintes dans nos cœurs ; la raison nous en instruit, la religion les perfectionne, et la tempérance nous aide à les remplir.»
Équerre et compas feront l’objet du prochain article.
Les outils de la Force (levier, maillet, ciseau)
Le Levier
«Oui, depuis longtemps l’idée flotte dans mon esprit qu’il est un point en lui [l’univers] d’où tout se découvre, un certain levier qui donne prise sur lui.» (Julien Gracq).
Barre rigide, mobile sur un point d’appui, dont on se sert pour soulever ou faire mouvoir un élément pesant, surmontant ainsi une résistance, qu’elle soit physique ou morale.
Certains ont pu considérer les colonnes Jakin et Boaz du Temple de Salomon comme des engins de levier, permettant d’actionner un mécanisme à l’intérieur du Saint des saints ; l’assemblage de leur nom signifiant : «il érigera» «avec la force». En plus de décrire la grandeur du Dieu des Hébreux, ces colonnes auraient constitué un système avec base et force de sable faisant pivoter un levier qui devait soulever ou abaisser l’Arche d’Alliance placée dans l’espace sacré du Saint des saints, afin de la protéger.
À la volonté du soulèvement, il faut joindre l’habileté en trouvant ce qui fera basculer ce qui paraissait inerte. Cela suppose donc connaissance et persévérance dans l’effort. Le levier est l’emblème de la puissance de la science et la force de la pensée.
La métaphore du soulèvement grâce au levier traduit la dynamique d’un mouvement montrant le dessous, la face cachée des choses, élargissant ainsi le champ de l’entendement du compagnon, tout comme le pas de côté de la marche au deuxième degré de certains rites. La pierre, que le levier doit faire bouger pour la mettre en place, c’est le franc-maçon lui-même devenant un morceau du temple en y intégrant sa nature et les affirmations de sa liberté de conscience. Si l’impulsion semble venir de l’extérieur pour qu’il puisse s’élever, le franc-maçon apprend qu’il est à la fois la pierre et le levier.
C’est avec le levier que peut être extrait, de la pierre cubique, le pyramidion pour construire la pierre cubique à pointe.
Avec l’Intelligence et la Connaissance comme bras de levier, la Sagesse devient un point d’appui pour intervenir dans le monde profane.
Le Maillet
Dans la langue sacrée de l’Égypte ancienne, le maillet est appelé «l’ouvreur du cœur». Le nom donné au sculpteur signifiait «celui qui donne la vie». Telle est la fonction du travail maçonnique, faire sans cesse jaillir la vie en découvrant l’esprit caché dans la matière.
Nommé «malleus», il est décrit dans le Lexique des Antiquités romaines (rédigé par Georges Goyau, 1896) comme : instrument des ciseleurs, des tailleurs de pierres, des maçons, des charpentiers… ; masse avec laquelle les bouchers et les victimaires assomment les animaux.
Le marteau en vieux gaélique se dit «ordos» (avec la mise en ordre) portant l’idée de création à travers le son.
La première apparition du mot «maillet» aurait eu lieu en 1606. On en faisait alors mention comme diminutif de «mail», en référence à l’instrument de guerre utilisé jadis par les Français. De sa première utilisation comme arme (engendrant le désordre), le maillet servira par la suite la justice (représentant l’ordre).
Le maillet est la représentation de la clé tautique ou cruciforme des divinités égyptiennes dont la clé du Nil n’était qu’une imitation. Il symbolisait le pouvoir et la puissance, et ne s’accordait qu’aux initiés du plus haut degré, comme consécration de leur sacerdoce.
En Franc-maçonnerie, il est un outil qui symbolise le pouvoir et/ou la volonté.
Le Maillet est cité parmi les douze lumières de la Loge : «le Père, le Fils, le Saint Esprit, le Soleil, la Lune, le Maître Maçon, l’Équerre, la Règle, le Fil, le Plomb, le Maillet et le Ciseau» (Graham Manuscript, 1726, p.4/10. Voir Note de bas page n° 53)
Tenu par le Vénérable et les deux surveillants, il représente le pouvoir de diriger la loge. Petit marteau en bois, ordinairement précieux ou orné, il n’est aujourd’hui confié qu’aux trois premiers dignitaires (le Vénérable et les deux Surveillants) qui, en loge, sont chargés de diriger les initiations, et d’instruire les adeptes. Habituellement, le maillet est fait d’un bloc de bois de chêne, de frêne, de buis ou d’orme et comporte un manche de frêne de petite longueur.
Pour l’apprenti c’est la volonté de travailler sur lui-même. L’anglais différencie ce maillet (common gavel) de celui utilisé par le vénérable et les surveillants (mallet or setting maul). Le maillet de l’apprenti est toujours utilisé avec le ciseau pour le travail du néophyte : tailler sa pierre brute.
Il existe un troisième instrument, le heavy maul, qui désigne le maillet pesant avec lequel le Maître Hiram est assassiné. C’est pourquoi une parole à ne partager qu’entre francs-maçons est dite sous le maillet, sous le sceau du secret.
Dans le RSE/RÉÉ on devrait distinguer toujours le maillet de justice ou de juridiction (mallet) du maillet pesant opératif (setting maul). “Mallet” est le vrai maillet des surveillants et du vénérable, symbole de leur pouvoir ; ce mot étant à entendre comme compétence manifestée en frappant divers coups déterminés pour commander et faire exécuter les travaux d’une manière précise et symétrique, il est utilisé suivant la liturgie de la maçonnerie. Il est également représenté sur les attributs du premier diacre.
Le maillet nous enseigne à corriger les irrégularités de caractère, et, comme la raison éclairée, à freiner les aspirations d’une ambition débridée, “pour déprimer la malignité de l’envie et pour modérer l’ébullition de la colère”.
Les francs-maçons français, à qui le mot Gavel est inconnu, utilisent uniformément le mot “maillet”, ne permettant pas de différencier ses usages symboliques.
Le marteau commun est l’un des outils de travail d’un apprenti. Il est fait usage par le maçon opératif pour casser les coins de la pierre de taille rugueuse, et ainsi l’adapter le mieux pour l’utilisation du constructeur. Il a été adopté comme un symbole dans la Franc-maçonnerie spéculative, pour nous avertir du devoir de “dépouiller nos esprits et de nos consciences de tous les vices et de toutes les impuretés de la vie, ajustant ainsi nos corps comme des pierres vivantes pour ce bâtiment spirituel non fait avec mains”.
Le marteau du Maître de Loge ( du Vénérable) s’appelle aussi un Hiram, parce que, comme cet architecte, il gouverne le Craft et maintient l’ordre dans la Loge, comme il l’a fait dans le Temple.
Le plus célèbre des Setting Mauls est l’un des plus précieux de la Lodge of Antiquity, n ° 2, United Grand Lodge of England. Il appartenait autrefois à Sir Christopher Wren, et a été par lui présenté à la Loge dont il était membre (de même que son fils après lui). Dans un registre écrit de la loge appelé Livre E, dans ce qui est dit être une copie d’un ancien livre des procès-verbaux, un article daté du 18 mars 1722 fait référence au «vieux maillet utilisé pour poser la première pierre de la cathédrale Saint-Paul. Dans l’inventaire de la loge de 1778, il y a un record: le maillet avec lequel Sir Christopher Wren a posé la première pierre de la cathédrale Saint-Paul. En 1827, le duc de Sussex, grand maître, y fit apposer une plaque en argent gravé : il s’agit du même maillet avec lequel sa majesté le roi Charles II a nivelé la première pierre de la cathédrale Saint-Paul. (Albert C. Mackey M. D., Encyclopédie de la Franc_Maçonnerie et de ses sciences apparentées.
Le Ciseau
C’est un des outils emblématiques du Maçon grâce auquel l’opérant doit s’efforcer de faire tomber, comme autant d’aspérités fâcheuses, ses défauts, ses préjugés et ses erreurs. Le ciseau symbolise le raisonnement, l’intelligence, le discernement. Le ciseau, est l’emblème de la discipline et de l’éducation. L’Esprit dans son état primitif est rude et non poli, telle la pierre brute, et comme le ciseau a pour effet sur la surface de la pierre d’en faire jaillir les beautés cachées, l’éducation fait ressortir aussi les vertus latentes de l’esprit.
Le Ciseau n’apparaît que fort tardivement dans les rituels de la Maçonnerie spéculative. Dans The Whole Institution of Masonry (1724), l’outil est cité parmi les douze lumières de la Loge : «Le Père, le Fils, le Saint Esprit, le soleil, la lune, le Maître Maçon, l’équerre, la règle, le fil, le plomb, le maillet et le ciseau.»
Le travail sur la pierre consiste à enlever le superflu, à ôter et supprimer le lourd et le grossier, à conférer une qualité à ce qui est encore une quantité, et à privilégier l’être par rapport à l’avoir. Cette taille de la pierre est un cisèlement de l’être. On parle d’abandon du vieil homme.
Le ciseau est actif par rapport à la pierre passive, sur laquelle il imprime sa marque ; en revanche il est passif par rapport au maillet dont il subit l’impulsion. Il correspond alors à une faculté de distinction et de discrimination. Comme le suggère Irène Mainguy : «Dans son application initiatique et opérative, le ciseau symbolise une connaissance distinctive et le maillet la volonté spirituelle qui actualise ou stimule cette connaissance.»
Utilisé au premier degré pour dégrossir la pierre brute, il est, au deuxième grade, l’outil pour affiner, lisser, polir la pierre cubique. Ce ciseau est l’allégorie du perfectionnement de soi et de son influence salutaire exercée non seulement sur l’individu, mais sur tout son entourage.
Outre le ciseau, il existe un très grand nombre d’outils de la taille de la pierre, adaptés à sa dureté : pointe ou pointerolle, pied-de-biche, ciseau à grain d’orge, ciseau à bout rond, chasse, chasse-pierre, gradine, gouge, massette, taillant, têtu, pique, polka, boucharde, chemin de fer, rabotin, râpe, ripe, scie, sciote,…
Les outils de la Beauté (niveau, perpendiculaire, truelle)
Le Niveau
Ce mot provient de l’ancien français nivel, déformation de livel, du latin libella, qui désigne précisément le niveau maçonnique. L’outil, composé de deux jambages et d’une traverse graduée, est surmonté d’un fil à plomb oscillant ; stabilisé à la verticale, à équidistance de son piétement, il nous indique la rectitude de l’horizontale. L’archipendule est l’ancêtre du niveau, constitué d’un cadre et d’un fil à plomb.
Pour le Chinois, le niveau est le symbole des magistrats, des hommes de justice, des justes, de ceux qui sont équitables… des hommes de droiture, ceux dont on dit parfois, en accolant le pouce et l’index et en traçant une droite dans le vide, qu’ils sont à niveau. On retrouve cette idée d’équité chez les Hébreux avec Isaïe 28.17 «Je prendrai le droit pour règle et la justice pour niveau».
Le niveau est l’outil de base sans lequel aucune construction ne saurait être bâtie sans risque de s’effondrer.
Le niveau dit «de maçon» est un outil de la maçonnerie opérative. Il sert à mesurer l’horizontalité d’une surface, bien qu’il indique aussi la verticalité, s’entendant alors comme la droiture d’esprit. Il existe plusieurs types d’outils nommés niveau, servant à vérifier la planéité : niveau à bulle, de charpentier, de paveur… Celui de la Franc-maçonnerie est un bijou, emblème de l’un des deux surveillants, variant selon les rites, avec la perpendiculaire. Ils s’appuient l’un et l’autre sur le fil à plomb. Ainsi ils permettent de vérifier la conformité de la réalisation, de l’élévation aux principes énoncés par le plan de l’œuvre porteurs de signifiants philosophiques et de devoirs de fonction.
Le niveau symbolise l’égalité fondamentale des hommes. Le règne de ce principe d’égalité dans les droits et dans la valeur humaine, est la condition sine qua non de l’épanouissement de cet esprit de fraternité qui distingue la Franc-maçonnerie. Parce qu’il évoque avant tout l’égalité, le niveau convie les francs-maçons à inventer les relations qui permettront de manifester l’idéal humaniste et fraternel.
Le Prichard (1730) cite le Niveau parmi les bijoux mobiles pour vérifier toutes les horizontales.
Pour le RER, le niveau est l’emblème de la régularité.
Au Rite Français Ancien, bien que ne figurant pas parmi les outils de passage, le niveau est ainsi expliqué : «le Niveau nous avertit qu‘il doit régner une parfaite égalité entre tous les Maçons.»
Au Rite Émulation, « le niveau sert à poser les surfaces planes et à vérifier les lignes horizontales… Il nous enseigne l’égalité.»
Dans les loges Émulation, une louve est placée sur le plateau du 1er surveillant dont l’emblème est précisément le niveau, sa fonction est associée à la colonne de la force Jakin.
Le niveau du surveillant se présente sous la forme d’un châssis triangulaire auquel est suspendu un fil à plomb qui vient battre une marque quand l’instrument est en position horizontale.
Commencé dans la verticalité avec le fil à plomb, l’apprentissage se poursuit dans le plan transversal avec le niveau. En passant de la perpendiculaire au niveau, le jeune maçon quitte le 2 du dualisme, celui des oppositions, pour découvrir le 2 de la multiplication, celui de la dualité.
Au cadran solaire, le niveau se déduit de la verticale par un déplacement de l’ombre de la lumière.
La Perpendiculaire
Du latin perpendiculum, ce qui pend à la verticale et perpendere, peser attentivement, apprécier avec exactitude, évaluer avec précision. La perpendiculaire est aussi appelée fil à plomb en Maçonnerie.
Une perpendiculaire est une droite géométrique convenue, dans une figure géométrique convenue, qui peut se trouver n’importe où dans l’espace, pourvu que, issue d’un sommet de cette figure géométrique, elle face un angle de 90° avec une autre droite de cette figure, opposée au sommet dont elle est issue. Cette figure géométrique pourrait par exemple se situer dans un plan tangentiel à une sphère. On peut donc tracer des perpendiculaires dans la voûte céleste, mais pas des verticales car la verticale d’un lieu se situant sur une sphère, passe par le centre de cette dernière.
Le second surveillant qui a une fonction d’éveilleur des apprentis porte en sautoir la perpendiculaire, symbole actif de la recherche sur soi, de la profondeur de la connaissance et de sa rectitude. Il invite l’apprenti à descendre dans les tréfonds de la conscience de soi, mesurant la pesanteur de ses pensées, de ses actes et de ses propos, puis à s’élever, libéré, régénéré, apaisé et confiant, ayant accédé à un niveau de conscience nouveau.
Partie complémentaire de l’horizontalité dans l’équerre, la verticalité doit être marquée dans toute gestuelle maçonnique qui veut faire référence à la rectitude, à la droiture et à l’équilibre.
La Truelle
Pourvue d’un manche oblique, sa forme est empruntée à la «Truelle à finir».
Cet outil représente l’achèvement du travail, le moment où l’on étale et lisse sur les murs le mortier ou le plâtre qui efface les distinctions entre les pierres. Il est aussi associé à la puissance créatrice ; au Moyen Âge, le créateur était parfois représenté une truelle à la main.
Au RER, elle orne le plateau du Vénérable. On la retrouve aussi aux grades capitulaires : Arche Royale, Maître Écossais de Saint-André, etc., on y explique que les Maçons du Temple de Jérusalem tenaient l’épée de la main gauche et la truelle de la main droite. Ce qui prouve, entre autres, que le maçon ne doit ni attaquer, ni se battre, mais seulement travailler et se défendre. La truelle est un outil de «liaison» et de coordination, donc un rappel du lien fraternel. Le symbolisme de cet outil se fonde aussi sur la forme triangulaire de sa lame et sur son profil brisé simulant l’éclair. Le Rituel de Swedenborg de 1870 explique : «La truelle est l’instrument qui permet d’étendre uniformément le ciment sur les pierres de la construction. Symboliquement, nous l’utilisons pour étendre le ciment de l’amour fraternel et de l’affection tant sur la surface que sur les fondations des institutions humaines afin d’unir les hommes dans l’unique fraternité des enfants d’un même père, qui ont comme seul but l’intérêt de tous. Ainsi cimentées, toutes les pierres de l’édifice seront droites, impartiales, justes et égales entre elles.»
Pour Mackey, la truelle est l’outil par excellence du Maître : “Lors de la construction du Temple, les pierres ayant été taillées, équarries et numérotées dans les carrières par les apprentis, ayant été correctement ajustées par les compagnons, sont finalement fixées à leur endroit approprié, avec le ciment le plus fort et le plus pur, par les maîtres constructeurs. Après que les compagnons aient prouvé l’exactitude de leur travail (par l’équerre, le niveau et l’aplomb) et testé, par ces instruments infaillibles, l’exactitude de leurs joints, satisfait de la juste disposition de chaque partie, le maître appliquait le ciment, qui devait donner une union immuable à l’ensemble” (Albert G. Mackey, The Symbolism of Freemasonry, 1882, chap. XII, The Symbolism of Solomon’s Temple.
Au Rite Français, la truelle, que le récipiendaire tient en main pendant le cinquième voyage de l’initiation au second degré, est l’outil avec lequel, par la chaux ou le ciment, le maçon unit les pierres, en particulier les dalles du pavé mosaïque, place les enduits et polit les surfaces. C’est par elle que la construction se termine et devient parfaite. La truelle symbolise, outre l’achèvement du travail, sa glorification. Dans le rituel de 1786, au cours de la cérémonie d’attribution du 2ème Ordre de Sagesse, on utilise une truelle pour oindre le récipiendaire sur le front, la bouche et le cœur d’une mixture composée de lait (douceur), d’huile (sagesse), de vin (force) et de farine (beauté).
Au Rite Écossais Rectifié La truelle est évoquée dès le grade d’apprenti «pour construire des temples à la vertu». Remise au deuxième degré, elle prend une autre signification : «Pour couvrir charitablement les défauts de mes frères.» comme on peut le lire dans le discours prononcé par le frère Lalande en recevant Voltaire dans la Loge des Neuf-sœurs (1778). L’expression, passer la truelle, signifie aussi pardonner.Cette incitation à l’indulgence est le véritable ciment de la tolérance, de la concorde et de la fraternité.
Pour Ambelain, la Truelle n’est pas en effet le symbole d’un effacement de toute irrégularité sur une face de la Pierre cubique. Elle est encore le rappel, l’image du ciment qui unit les pierres du Temple entre elles, les maçons eux-mêmes. (La Symbolique maçonnique des outils, Scala Philosophorum, par Robert Ambelain). La truelle rappelle à chaque nouveau franc-maçon son devoir constant de prendre soin de ses Frères et sœurs de la Franc-maçonnerie.
«Les monarques eux-mêmes n’ont pas pensé qu’ils dérogeaient à leur dignité d’échanger le sceptre contre la truelle». Dans cette déclaration, il est dit que certains qui ont occupé le poste le plus élevé du pays n’ont pas eu honte d’occuper le poste le plus récent et d’être le plus jeune parmi les francs-maçons.
Il est à noter que la truelle est absente des Rites Écossais.