Fort de plus de 1000 publications, avec un logo choisi dans un ouvrage de symbolique égyptienne, la voie semblait toute tracée pour que Dervy s’engage dans le domaine de l’ésotérisme, du symbolisme et de la spiritualité.
Dirigé désormais par Jean-Cyrille Godefroy, Dervy, une marque du groupe Guy Trédaniel, est reconnu par toutes les Obédiences maçonniques comme étant l’éditeur de la Franc-Maçonnerie française, avec des auteurs tels que Oswald Wirth, Jean Tourniac, Paul Naudon, Irène Mainguy, Pierre Mollier, Roger Dachez, ou Jean Hani ou encore René Guénon (1886-1951).
Dervy a souhaité rééditer, à prix abordable, tous les ouvrages du métaphysicien français faisant autorité dans les domaines de l’ésotérisme, du symbolisme et de l’étude comparée des religions.
Édité pour la première fois à Paris chez Bossard en 1927, La Crise du monde moderne a été remaniée – que nous pourrions qualifier d’édition définitive – en 1946 aux Éditions Gallimard et maintes fois réédité notamment chez Nrf, Collection Tradition, toujours chez Gallimard.
René, Jean-Marie, Joseph Guénon (Blois, 1886-Le Caire, 1951) est un auteur incontournable pour qui s’intéresse à l’hermétisme et à la Tradition. Le rayonnement de sa pensée et son influence sur nos contemporains ne laisse personne indifférent.
Pour lui, le but de tout homme est de parvenir à la réalisation spirituelle. Etudiant en mathématique puis en philosophie, il fréquente d’abord les cercles occultistes, spirites, et autres écoles pseudo- initiatique dont il combattra les théories. C’est auprès des maîtres des grandes religions traditionnelles – hindouisme, taoïsme et pour finir l’islam à travers le soufisme, qu’il trouvera en 1912 la source de l’initiation véritable qu’il cherchait.
Au travers ses nombreux travaux consacrés aux spiritualités hindoue, chrétienne et musulmane, il s’efforça toute sa vie de revivifier un héritage oublié et d’éveiller les consciences à l’existence d’une tradition au sens vrai menant à une redécouverte d’un fond commun unissant l’Orient et l’Occident.
Nous lui devons le projet de restauration de la « Tradition », source de la connaissance au sens vrai, qui naît avec le XXe siècle.
Dès 1930, René Guénon se rendit au Caire pour faire des recherches. Il y séjourna jusqu’à son décès, laissant une œuvre dense et profonde composée de 26 ouvrages et de quelques 350 articles. Il choisit la voie du soufisme et adopta le nom de Sheikh ’Abd al-Wâhid Yahyâ (Serviteur de l’Unique) menant une vie simple consacrée à l’étude et au recueillement.
Comme toute pensée traditionnelle et véritable à visée métaphysique, théosophique ou poétique, elle a conduit son auteur à une utilisation très spécifique de chaque mot.
La crise du monde moderne est la suite d’Orient et Occident dont la parution, en 1924, eut un retentissement considérable dans les milieux intellectuels.
Pour René Guénon, qui écrit en 1927 l’un de ses plus célèbres ouvrages, la crise du monde moderne est devenue évidente. Si l’homme moderne est hanté par l’idée de fin du monde, c’est parce qu’il pressent la fin de son monde.
Il nous explique quelle acception il faut donner au mot crise, en fait à prendre et comprendre dans son sens le plus ordinaire, mais avec « l’indice d’une possibilité de redressement de la mentalité contemporaine ». Le monde en question, lui, est donc à « faire remonter l’époque moderne près de deux siècles plutôt qu’on ne le fait d’ordinaire ». C’est-à-dire au « commencement de la désagrégation de la « Chrétienté ». L’auteur constate ainsi que « la Renaissance et la Réforme sont surtout les résultantes, et qu’elles n’ont été rendues possible que par la décadence préalable. » Pour lui, « l’« humanisme », c’était déjà une première forme de ce qui est devenu le « laïcisme » contemporain ».
L’avant-propos pose la problématique et donne ensuite toute latitude à l’auteur de développer, en neuf chapitres, sa thèse. De la crise de la pensée, il donne à penser la crise.
Il montre combien cette civilisation est déviante et s’oppose à la quasi-totalité des civilisations qui l’ont précédée.
Il prend pour point de départ la doctrine hindoue et le Manvantara, qui est une période à l’intérieur de la temporalité cosmique. Il se divise en quatre âges dont le quatrième, l’âge sombre, fait l’objet du premier chapitre. René Guénon n’hésite pas à poser la question : « ne sommes-nous pas arrivés à cette époque redoutable annoncée par les Livres sacrés de l’Inde, « où les castes seront mêlées, où la famille même n’existera plus ? ». Cette phase finale du Kali-Yuga est bien cette période d’obscuration, si ténébreuse où règne la confusion.
Puis de relever une scission entre Orient et Occident. Cette réalité est incontestable. Pour l’Occident, il n’existe qu’une seule civilisation, Europe et Amérique. Quant à l’Orient, la situation est plus complexe car il en existe plusieurs. Ce qui importe, c’est le côté traditionnel de toutes civilisations. Car cette « opposition de l’Orient et de l’Occident n’avait aucune raison d’être lorsqu’il y avait aussi en Occident des civilisations traditionnelles ». Et de nous donner quelques « idées de restauration d’une tradition occidentale ».
En partant d’une tradition atlantéenne, en passant par l’hyperboréenne puis par celle du celtisme, qui sera assimilé par le « Christianisme ». La quête du Graal y occupe une place capitale. Pour Guénon, le Graal est tout à la fois un vase (grasale) et un livre (gradale ou graduale), manière indirecte de nous faire comprendre que la possession du Graal nécessite une réintégration dans l’état édénique, dans le Pardès ou « Centre du Monde ».
Ensuite pour l’auteur, « un des principaux aspects de l’opposition qui existe actuellement entre l’esprit oriental et l’esprit occidental […] celle de l’esprit traditionnel et anti traditionnel […] cette opposition apparaît comme celle de la contemplation et de l’action ». Pour Guénon, contemplation appartient à un groupe dans lequel on retrouve : secret, temple, qui exprime la coupure, le retranchement. Mais l’action est complémentaire de la contemplation. Même si l’action n’a de conséquences que dans son propre domaine, c’est-à-dire que son efficacité s’arrête où cesse son influence. L’Orient conserve une dimension contemplative importante. C’est pourquoi il possède une supériorité à l’égard de notre civilisation de l’agir.
En matière de science, deux conceptions s’opposent aussi « radicalement différentes et même incompatibles », celle de la « conception traditionnelle et de la conception moderne. L’auteur nous livre quelques exemples, comme des illustrations.
René Guénon s’attaque ensuite à l’individualisme qui est « la négation de tout principe supérieur à l’individualité », qui « implique la négation de l’intuition intellectuelle ». Il nous expose donc les effets de l’individualisme dans le domaine de la philosophie, de la religion.
L’aspect social ne l’intéresse que modestement même un chapitre est consacré au « chaos social », permettant ainsi de définir et d’analyser les notions d’égalité, de progrès, et de démocratie.
Le propos de Guénon était d’éviter ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le « choc des civilisations », en présentant, un Occident en déshérence oublieux de son propre patrimoine spirituel, les richesses d’un Orient largement ignoré, ou défiguré. Comme on l’a dit très justement, ce métaphysicien fut un passeur entre les mondes, un artisan de paix entre des peuples qui se haïssaient faute de se connaître.
À travers son analyse, nous retrouvons toutes nos préoccupations actuelles, en particulier sa critique de la civilisation matérielle de l’Occident. René Guénon, penseur de la Tradition, s’est éteint il y a plus de soixante-dix ans. Ce grand esprit laisse derrière lui une œuvre très riche qui mérite d’être (re)découverte.