Il y a un monde entre nous : il y a tout ce qui nous sépare. Tout ce qui nous sépare des autres, tout ce qui nous gêne, tout ce qui nous révulse, tout ce que nous ignorons, que nous ne voulons pas voir. Tout ce qui nous est indifférent et, si l’on y songe, c’est à peu près la plupart de ce qui se passe dans le monde.
Il y a un monde entre nous : nous savons bien qu’il y a tant d’espaces que nous ne visiterons jamais, tant d’espèces dont nous n’avons aucune idée, de végétaux, d’animaux, toutes sortes de minéraux, de substances, de fluides, que sais-je encore.
Or ce monde, auquel nous avons plus ou moins accès, les uns ou les autres, selon ce que nous sommes, le lieu où nous nous trouvons, ce monde dont nous avons plus ou moins conscience, en fonction et parfois en dépit des circonstances, ce monde variable et aléatoire, quand on l’envisage de loin, sans connaissance particulière – ce monde-là est le nôtre.
Car, tout aussi bien, il y a un monde entre nous : il y a tout ce qui nous réunit, tout ce sans quoi nous ne saurions être. Nos parents, nos amis, nos animaux de compagnie. Le verre de lait, le matin ; le verre de bière, le soir. Le café, le chocolat, le vin ! Les fruits, les légumes. La mer, le soleil, les montagnes et les prairies. La musique, le chant, et toutes les paroles échangées, les langues que nous avons apprises dès l’enfance, celles avec lesquelles nous vivons, désormais, les croyances enfouies dans les pierres, dans les paysages, tombant du ciel, ruisselant de la nature. L’amour, l’amitié, les enfants. Les siècles et l’honneur dont on a hérité ou que l’on s’est peu à peu construit. Les formes de société que nous acceptons ou que nous recherchons, quelque chose de l’humanité qui nous coud à tout le reste.
Bref, il y a un monde en nous et tout autour de nous. Un monde que nous devons comprendre, où nous devons vivre en bonne intelligence, un monde que nous espérons laisser sans honte aux autres, à ceux qui sont déjà là, aux générations futures. Un monde où nous devons exercer nos responsabilités, à titre individuel, certes, mais plus encore ensemble voire tous ensemble, tant les risques et les dommages dépassent l’échelle même des groupes dans lesquels nous nous reconnaissons. Nous avons tellement abusé de tout que nous ne pouvons plus nous permettre de rester simplement entre nous. Le défi qui s’élève de toutes parts sur la planète, entre les peuples et d’un pôle à l’autre, c’est d’être nous-mêmes « entre le monde », comme on est entre amis. Et, pour ce faire, il ne nous faudra pas seulement de grands rapprochements mais des trésors de coopération.