sam 23 novembre 2024 - 11:11

Mot du mois : TOLÉRANCE

L’idée générale induite par l’indo-européen *tel-, *tol-, *tla, est de “supporter, soulever, prendre la responsabilité”.

*Tolmê, c’est l’audace qui soulève le héros grec, *anatolê, le lever du jour, donne son nom à l’Anatolie. *Talanton, concrètement, est le plateau de la balance, et le poids à y déterminer. Les Grecs mesurent le prix en talents d’or ou d’argent. La langue chrétienne en infère une valeur morale définissant le don inné que l’on fait ou non fructifier, avec la charge morale que cela suppose. Le géant Atlas porte le poids du monde aux Colonnes d’Hercule, nom antique de Gibraltar, qui ouvre une  porte vers l’Atlantique. Les atlas seront les cartes des voyages que cet océan permettra.

*Telos en grec marquela fin, l’accomplissement d’une charge, dont on s’affranchit, comme on paie le timbre qui permet l’acheminement d’une lettre, objet de collection pour le philatéliste.

De manière détournée, l’acquittement d’une obligation, *telesma, se retrouve dans l’arabe et, s’assortissant d’une valeur d’envoûtement, devient le talisman.

Quant au latin, *tollere reprend l’idée de soulever. D’où le tollé d’indignation.

*Tolerare, c’est supporter un fardeau. Tolérer, tolérance.

La tolérance… Une notion bien ambiguë, largement exploitée dans le champ du tolérable ou de l’intolérable. Si souvent associée à la morale de la souffrance, que la religion ne se fait pas faute de considérer comme la “juste” rétribution du péché. La connotation n’est guère laudative…

La tolérance fait aussi l’objet de questions réitérées lors du bandeau. « Madame, Monsieur, que pensez-vous de la tolérance ? ». On se prend à rêver d’un impétrant qui répondrait comme Paul Claudel, « La tolérance ! Mais il y a des maisons pour cela ! “. Nul, hélas, ne se hasarderait, en ces circonstances, à une insolence éliminatoire…

Qu’est-ce qui relève du tolérable, sinon ce qui mériterait de soulever un intérêt plein de sollicitude, en quête de solutions ? Et où passe la frontière avec l’intolérable ? Difficile appréciation, particulièrement subjective. Relevant, à coup sûr, de la bonne conscience, d’une condescendance au mieux indifférente, au pire méprisante, la tolérance s’avère trop souvent en être le cache-misère, sous les oripeaux de l’apitoiement, de la sensiblerie, de la commisération affichée.

La prudence, voire la méfiance, s’imposent à l’égard d’une tolérance qui dispenserait du souci sincère de l’Autre.

ANNICK DROGOU

Pauvre tolérance qui, en France, n’aurait la qualité que de demi-vertu. La tolérance comme un fardeau, un pis-aller, toujours octroyée à celui que l’on tolérerait sans vraiment l’accepter. Comme une violence faite d’abord à soi-même, un renoncement à nos propres jugements, une amputation, pour s’achever et se vautrer dans un lâche relativisme ou une confortable indifférence.

Non, la tolérance que nous avons à construire est tout autre chose. C’est un dépassement et d’abord une ascèse. Souplesse contre rigidité. Les charpentiers le savent bien : pour constituer une structure solide, tous les éléments doivent parfaitement s’ajuster mais ils ont besoin d’une tolérance qui permet à l’ensemble de rester vivant, pour ne pas casser et supporter toutes les contraintes. Tolérance et résistance des matériaux, tolérance et résistance de l’homme, de l’homme par rapport à lui-même ; de l’homme en société, par rapport à ses frères, dans ce qui est notre condition d’homme, à savoir notre exercice permanent plus ou moins réussi de la fraternité. Ajuster, c’est accueillir l’autre, le respecter et entrer en dialogue pour construire une paix vraiment charpentée. La tolérance n’est pas un but, un point d’aboutissement, c’est plutôt une condition première. La tolérance comme étape nécessaire à la reconnaissance de l’autre.

Si vous avez des difficultés avec le mot « tolérance », passez alors par le mot « intolérance », et vous comprendrez tout de suite de quoi il s’agit. Car de même qu’on peut avoir des difficultés à définir la paix, on sait ce qu’est la guerre. Et quand vous aurez accompli ce détour, vous conviendrez peut-être – avec moi, en toute tolérance – que le contraire de l’intolérance n’est plus exactement la tolérance, mais peut-être le mot « respect ». Alors peut commencer un chemin de fraternité. Patience et persévérance. Acceptation, comme une réception. Pas de “eux“ et “nous“, il n’y a que le seul nous qui vaille. Aimer plus, juger moins.

JEAN DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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