sam 23 novembre 2024 - 09:11

« Un homme qui veut être franc-maçon ne peut pas être un fanatique, c’est même le contraire. La franc-maçonnerie est l’antisecte »

De notre confrère espagnol tribunasalamanca.com

Brenno Ambrosini préside la seule loge maçonnique de Salamanque, Sapientia-Ars Vivendi nº 87. Il explique que la base de la franc-maçonnerie est la tolérance envers les idées des autres et rejette les faux mythes l’entourant : « ceux qui affirment certaines choses, comme celles de groupes de pouvoir, je leur dis venez, restez un an et après parlez-en ! »

Brenno Ambrosini préside la loge maçonnique Sapientia-Ars Vivendi n° 87 à Salamanque, la seule Loge de ce type dans la ville.

– Comment est née l’idée d’installer une loge à Salamanque ?

– Celle-ci vient d’une loge à Madrid, il y a plus de cinq ans. Il a fallu d’abord demander à une obédience, puis d’être un certain nombre de frères… et il nous a semblé que Salamanque était un bon endroit précisément à cause des références qu’il y avait dans le passé. C’est une ville universitaire importante, historique, où le savoir peut mieux fusionner avec la sagesse, avec deux universités… Nous avons pensé qu’il était très intéressant d’essayer de former une loge, nous avons réussi et je dirais que c’est par le fait de l’humanisme qu’implique la franc-maçonnerie, le savoir.. Il existe un lien entre de nombreux intérêts dans le domaine de la connaissance. Et parce qu’il y avait des gens comme moi liés à la ville, au travail, à l’université…

– L’origine de la loge remonte à plus de cinq ans. Quelle a été l’expérience jusqu’à présent ?

– La vérité est que le problème de la Covid a tout bousculé. Cela fait quelques mois pourtant, nous en souffrons encore. En peu de temps, nous sommes passés d’un groupe de trois personnes à 15 et maintenant, nous sommes une vingtaine . Nous essayons depuis de nous retrouver deux fois par mois. 

– Êtes-vous basés à Salamanque ? 

– Actuellement non, pas encore. Nous recherchons activement. On se réunit dans des temples que nous louons… Nous espérons pour le printemps ou au plus tard à l’automne avoir notre propre temple.

– Y a-t-il plus de loges en Castille-et-León ?

– Je parle pour les loges mixtes de la GLSE (Grande Loge Symbolique Espagnole). Il y a une obédience en Espagne, reconnue par la Grande Unie d’Angleterre, qui est masculine. Je peux vous parler du GLSE qui, elle, est mixte. Il y en a une à Valladolid depuis de nombreuses années. Parmi les autres obédiences, je sais qu’à Valladolid, il y en a aussi une masculine. À Salamanque, il y en avait, mais je ne sais pas s’ils fonctionnent toujours. Dans les autres villes, il n’y en a pas. 

«La tolérance est une composante fondamentale. Que faut-il pour être franc-maçon ? Pour être franc-maçon, il faut être tolérant»

– Que faut-il pour être franc-maçon ?

– Comme écrit dans les constitutions d’Anderson (texte fondateur de la franc-maçonnerie moderne) : être libre et être de bonnes mœurs. Il s’agit d’une partie du mystère qui entoure la franc-maçonnerie et je ne sais pas dans quelle mesure c’est vrai ou faux. Je le résumerais avec le titre d’un livre de  Pedro Álvarez , un professeur universitaire jésuite, qui a étudié à fond la franc-maçonnerie et le krausisme (Courant de pensée juridique et politique majeur en Espagne, au Portugal et en Belgique) : c’est une école de formation citoyenne. Les gens croient que la franc-maçonnerie est une chose très mystérieuse, car de temps en temps il nous voit en photos avec des tabliers et entendent des histoires. Je ne sais pas s’ils pensent que nous sacrifions des chèvres. La vérité est beaucoup plus simple : un groupe de personnes ayant des intérêts différents qui progressent précisément en étant en contact avec des personnes qui ont d’autres intérêts et d’autres points de vue.

Dans ma loge il y a des gens de toutes confessions et de tout l’ éventail politique. Mais bien sûr, si je me réunis avec des gens qui pensent comme moi, avec le même point de vue politique ou qui ont la même confession, on ne s’améliore pas beaucoup. Au sein de ces groupes, je ne parle pas seulement de celui auquel j’appartiens, dans lequel il y a un contact constant avec des gens qui pensent différemment. Mais en même temps chacun est régi par un rituel extrêmement respectueux des personnes. On commence à ouvrir son esprit et on peut communiquer ses impressions et ses idées, les partager et en discuter, et on accepte celles des autres. La tolérance est un élément fondamental. Que faut-il pour être maçon ? Pour être franc-maçon il faut être tolérant, libre, croire aux valeurs fondamentales de l’Humanité, être respectueux des lois… il faut être de bonnes personnes pour l’être davantage. Dans presque toutes les loges on retrouve tout l’éventail politique et le plus normal c’est que l’on se retrouve d’un athée à un catholique, un juif, un musulman, un agnostique…

– Quels événements publics la loge organise-t-elle ?

– Beaucoup sont focalisés du point de vue historique, autour de la Franc-Maçonnerie… Nous ne nous en tenons pas qu’à la franc-maçonnerie, nous essayons de couvrir tous les domaines du savoir. Nous avons fait des réunions sur l’environnement, le mysticisme, l’Europe et ce qu’elle peut faire pour les jeunes… nous ne nous mêlons jamais de politique et de religion. Nous essayons de couvrir tous les domaines. Nous nous intéressons à tout. Nous apprenons de tout et nous nous intéressons à tout.

– Franco a persécuté la franc-maçonnerie pendant des décennies et cela continue encore aujourd’hui à véhiculer une image de secret, de dissimulation… Cette image est-elle un héritage de cette répression ?

– Peut-être. Dans les générations plus âgées, ce substrat demeure. La campagne contre la franc-maçonnerie était très grande. En fin de compte, au cours de ces 40 années, cinq fois plus de personnes ont été reconnues coupables d’être francs-maçons que les véritables maçons. La franc-maçonnerie était le prétexte.

Chez les jeunes, soit ils ne sont pas intéressés, soit il n’y a pas de type de rejet a priori. Dans nos loges, nous avons des personnes très jeunes. Les gens pensent que c’est un monde de retraités et de personnes âgées qui n’ont rien à faire. Dans notre loge, nous avons des personnes qui sont entrées à l’âge de 20 ans et qui ont maintenant 23-24 ans. Il y a de tout et c’est une façon, et ils l’ont compris, de s’améliorer, de devenir une meilleure personne. Je pense que les jeunes devraient mieux comprendre ce qu’est vraiment cette forme de coexistence.

– Vous ne faites pas de prosélytisme ?

– C’est interdit. Si quelqu’un est intéressé par la Franc-maçonnerie, nous lui présentons, mais nous n’allons pas lui promettre monts et merveilles, s’il nous rejoint. Par nos règlements, nous l’avons interdit.

– Avez-vous vu la reconstitution d’une loge au Centre de Documentation de la Mémoire Historique ?

à plusieurs reprises.

« Je ne comprends toujours pas comment une personne (Franco) a pu en vouloir autant à une association de libres penseurs, sachant que son frère était un franc-maçon relativement important et que lui même voulait y entrer »

– Qu’est-ce que vous en pensez ?

– J’essaie de penser à quoi cela pourrait ressembler pour quelqu’un qui y va et qui ne connaît rien à la franc-maçonnerie : cela donne envie de fuir. C’est absurde. Tout est fait avec des parties extraites de vraies loges… mais lorsque l’on voit les trois capes, on recule, comme pour ce squelette suspendu. Du point de vue maçonnique c’est aussi un désastre car cela mélange tous les degrés qui existe. C’est une fou.

Je ne comprends toujours pas comment une personne (Francisco Franco) a pu en vouloir autant à la Franc-maçonnerie et utiliser les armes de l’Église catholique pour “dissoudre” une association de libres penseurs et y réussir, sachant que son frère (Ramón Franco) était un franc-maçon relativement important en plus d’être un bon aviateur, et que lui-même voulait y entrer… Je ne sais pas s’il voulait entrer pour savoir ce qui se passait là -dedans ou s’il pensait que c’était un groupe puissant.

– Le sont-ils ?

– Nous ne sommes pas un lobby, au sein de la loge il y a un professeur d’université, un retraité, un livreur, un jardinier… nous sommes des gens de toutes catégories sociales, croyances et idéologies.

« En Espagne, il y a encore très peu de francs-maçons, 4 000 ou 5 000. En France, le Grand Orient de France à lui seul en compte 45 000 »

– Dans d’autres pays, cela ne se passe pas comme en Espagne. Des responsables politiques reconnaissent être des maçons.

– Et ils le mettent dans leur CV, justement parce que dans certains pays, pour être franc-maçon il faut répondre à certaines exigences, comme être honnête, parce que si tu ne l’es pas, ils te vireront de la loge. Il faut toujours être honnête,  non pas qu’avec les membres de la loge, mais avec la société. Ensuite, comme dans tout groupe de personnes, il y a de tout. Nous ne sommes pas des saints, nous sommes toujours des hommes et des femmes avec nos vices et nos vertus, mais une autre chose est que nous essayons de supprimer les vices et d’amplifier les vertus.

En Espagne, il y a encore très peu de maçons . Nous sommes peu nombreux. Au total, parmi toutes les obédiences, je ne sais pas si nous sommes 4 000 ou 5 000. En France , le Grand Orient de France à lui seule en compte 45 000. Il y en a environ 200 000 dans toute la France. En Italie , une obédience en compte plus de 20 000 et il en existe d’autres plus petites. Peut-être aussi à cause de nos personnalités, peut-être devons-nous faire table rase du passé parce que nous pensons toujours à eux et nous faisons du harakiri. Voyez le caractère espagnol et voyez comment vous pouvez faire table rase et être capable de travailler.

– On disait que les francs-maçons étaient derrière le pouvoir, que c’étaient eux qui conseillaient les rois…

– Il y aura sûrement eu des francs-maçons auprès des conseillers et des rois. Cela fait de nombreuses années, mais cela me fait rire de penser que la franc-maçonnerie est une sorte d’entité qui influence : la Révolution française ? franc-maçonnerie; la révolution je ne sais où ? La franc-maçonnerie… si justement nous entrons en franc-maçonnerie pour ouvrir notre esprit. Il se peut qu’il y ait eu des francs-maçons qui ont collaboré à cette révolution, mais aussi à l’extrême opposé, car c’est une décision libre. Et quand vous sortez de la loge ou de la réunion, vous êtes la même personne.

La loge est l’environnement de travail pour ouvrir davantage les esprits et rendre notre pensée aussi libre et objective que possible, en éliminant la subjectivité des passions, comme une croyance ou une idéologie. Un homme qui veut être maçon ne peut pas être un fanatique. C’est une contradiction. La franc-maçonnerie est antisecte. Dans les sectes vous avez un dogme et une pensée unique. C’est l’antisecte : quand quelqu’un vous dit quelque chose vous pensez et doutez. ceux qui affirment certaines choses comme celles que nous serions des groupes de pouvoir, Je leur dis venez, restez un an et après parlez-en”.

« Mon espoir est que la loge de Salamanque s’ouvre et pas seulement chez les jeunes, mais aussi versles étudiants universitaires. Garder les yeux ouverts, quand vous entendez quelque chose que vous ne savez pas, est fondamental et je vois que les jeunes ne l’ont pas, ou du moins pas assez »

– Après cinq ans de travail à Salamanque, quel avenir attend la loge ?

– Comme toutes choses, lorsque vous les créez, vous y mettez beaucoup de force et elles s’épanouissent. L’heure est à la stabilité. Petit à petit, j’espère que d’autres membres se joindront à nous. Je pense que maintenant elle doit vraiment prendre racine. Et j’espère que ça va faire son chemin chez les jeunes , parce que ce sont eux qui décideront plus tard. C’est une façon de se former dans un environnement tolérant et ouvert pour pouvoir raisonner, en plus de la question de la fraternité. Le mythe du lobby vient de là : puisqu’on est tous frères, nous en entraidons, je ne vois pas d’autre raison.

  • Mon espoir est que la loge de Salamanque s’ouvre et pas seulement chez les jeunes, mais aussi versles étudiants universitaires. Garder les yeux ouverts, quand vous entendez quelque chose que vous ne savez pas, est fondamental et je vois que les jeunes ne l’ont pas, ou du moins pas assez

    Les carrières sont si spécialisées et canalisées avec des compétences pointues. On perd tout l’humanisme et la connaissance, même légère, des autres domaines du savoir. Sans ses autres champs de savoir qui font que tu créées des liens dans ta vie et que tu ne sois pas seulement le meilleur ingénieur ou quoi que ce soit d’autres. Si tu es le meilleur dans ton domaine mais que tu ne sais rien faire d’autre.. Dans la vie, si tu dois prendre des décisions et savoir agir, je pense que cet humanisme est fondamental.’. Espérons que les jeunes universitaires savent que la franc– maçonnerie est une école de formation citoyenne.

– Comment les gens réagissent-ils lorsqu’ils vous rencontrent et savent que vous êtes franc-maçon ?

– Cela dépend du type de personnes. Je pense pouvoir compter sur les doigts d’une main, les amis à qui j’ai dit que j’étais franc-maçon et qui évitent d’en parler parce qu’ils n’aiment pas ça. C’est deux ou trois. La plupart des autres ouvrent grand les yeux et me demandent si ça existe. La plupart disent très bien, tu m’expliqueras… naturellement . C’est identique avec les collègues de travail : ceux qui sont intéressés me demandent et ceux qui ne le font pas, c’est comme si j’étais membre d’un club de golf. Je n’ai pas été ostracisé.

*Le krausisme est une doctrine nommée d’après le philosophe allemand Karl Christian Friedrich Krause (1781-1832) qui prône la tolérance doctrinale et la liberté académique du dogme.

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