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William James “Count” Basie 21/08/04 – 26/04/84 La locomotive à swing était membre de la LOGE WISDOM n°102 de Chicago

Image extraite de la BD « Des Filles Formidables » page 16 du génial Denis Frémond.
Il a hélas abandonné la BD au profit de la peinture

Tu préfères les Beatles ou les Rolling Stones ? Voilà la question que l’on se posait au lycée dans les années 60. Moi je ne tranchais pas, j’aimais les deux et je les aime toujours. Mais cette question s’est également appliquée à Duke et à Count une bonne décennie avant. Là non plus je ne peux pas trancher, tant je les aime aussi tous les deux.

Dans ses mémoires Quincy Jones rend hommage à Basie ne tarissant pas d’éloge sur sa gentillesse, son professionnalisme et sur sa droiture. Il faut tout de même mettre un petit bémol à toute cette histoire.

Le livre d’Albert Murray « Good Morning Blues Count Basie » écrit en collaboration avec Basie, ne nous apprend strictement rien sur la part intime du pianiste et chef d’orchestre. Je me suis rarement autant ennuyé à la lecture d’une biographie de musicien. Sur plus de 500 pages vous parcourez de long en large et en travers les États-Unis et à partir des années 60 le monde entier, mais pour le reste… Rien. C’est à peine si on connaît la date de son mariage ; sur la naissance de sa fille handicapée : pas un mot ; sur son addiction à la boisson, aux femmes, au jeu : pas un mot. C’est le trompettiste Clark Terry, qui, toujours dans la bio de Quincy, nous apprend que la course au cachetons de l’orchestre de Count, était en grande partie liée à ses dettes de jeu. Tous l’appréciaient, car il donnait sa chance à tous ceux qui frappaient à sa porte, il était fidèle en amitié et en collaboration musicale, mais à ses débuts, la vie chaotique qu’il menait, a failli lui coûter cher plus d’une fois.

La pudeur extrême est la caractéristique de Basie. Celle-ci commence très tôt. N’étant pas doué pour les études, il ne rêvait que d’une seule chose : jouer d’un instrument et faire partie d’une troupe itinérante. Dès son plus jeune âge il est fasciné par le cirque, et comme il le dit, donner à boire aux éléphants aurait déjà amplement suffit à son bonheur. Le Kid de Red Bank préférait la batterie au piano à ses débuts, mais finalement il opta à 15 ans pour les 88 notes, dégoûté par son copain, le batteur Sonny Greer, qui intégra l’orchestre de Duke dès 1919.

À partir des années 20 il émigre à Harlem et va côtoyer tous les musiciens les plus en vue de l’époque. Seulement, n’ayant pas fait beaucoup d’études de musique, Basie passa son temps, voir une majorité de sa vie, à éviter de se confronter avec les pianistes concurrents. Il ne s’est jamais senti à la hauteur de ces batailles musicales qui faisaient rage entre les deux guerres. Certaines boîtes, ou clubs avaient leur pianiste attitré et les « déloger » était très difficile. Count Basie ne s’y est jamais essayé. De cette trouille, comme il le dit lui-même, il va en sortir, après maintes péripéties, une volonté de jouer de l’orchestre. En effet, je ne vois pas d’autre meilleure définition de ce musicien. Il joue de son orchestre et à partir de 1935, à la mort de Bennie Moten, il ne va plus jamais cesser d’exercer son art de chef d’orchestre contre vents et marées.

Comme pour Duke, la radio jouera un rôle primordial dans la diffusion de la musique du Count. Que ce soit lors des retransmissions en direct dans des salles de concerts, des clubs, ou par la diffusion des disques, ce média servira de catalyseur pour bon nombre de musiciens, dont les grandes formations étaient en tête d’affiche dans les années 30.

Une rencontre au sommet.

Il fit pourtant une rencontre importante dans ses débuts en la personne ô combien charismatique de Fats Waller. Fats pris le Count sous son aile et lui appris à improviser sur l’orgue du Lincoln Theater. C’était l’époque du cinéma muet, où un pianiste, ou mieux et plus riche, un organiste improvisait au cours du film projeté à l’écran. Count savait très bien qu’il ne pouvait pas se frotter techniquement à Fats, mais leur relation ne fut jamais construite sur ces rapports de force. Au contraire, Waller fut toujours de bon conseil et d’une aide permanente sur lesquelles Count pouvait compter. Lui qui avait toujours peur de trouver un pianiste meilleur que lui en travers de sa route, (il raconte qu’il sauta plusieurs fois par la fenêtre d’un bar ou d’un club afin d’éviter de se faire « virer » par un sérieux client prêt à en découdre) et d’éviter une humiliation, Fats fut une chance qu’il sut utiliser à bon escient.

À partir des années 20 il ne remit plus jamais les pieds à l’école, et passa son énergie à entrer dans un orchestre et partir en tournée. De même que Duke, Count ne prit pas beaucoup de vacances au cours de sa carrière. Entre désir et amour du swing, et nécessité de gagner sa vie, sans compter ses travers qui lui posaient problème, une sorte de frénésie et de course au cachet furent sa marque de fabrique pendant les 60 ans de carrière de son orchestre.

Hormis une petite baisse de régime à la fin des années 50, lorsque les grandes formations n’avaient plus la cote, Basie ne s’arrêta plus jamais de tourner. Comme il est mentionné dans certaines biographies, ce fut une cavalcade que seul son cancer du pancréas interrompit, et encore pas définitivement, car l’orchestre continua à se produire sans son chef pendant plusieurs décennies sous la direction du trompettiste Scotty Barnhardt.

La modestie, on peut même dire l’extrême timidité de Basie, ne l’a pas empêché en revanche d’avoir un goût parfaitement sûr pour le choix de ses musiciens et vocalistes qui ont très largement contribué au succès populaire de son orchestre. Il fut, et c’est tout à son honneur, un découvreur de talent hors pair. Dans la liste impressionnante de célébrités qui ont participé à la construction de cet édifice musical on peut citer en vrac : Lester Young, l’ineffable guitariste Freddie Green pilier indéboulonnable de l’orchestre, les immenses Ben Webster et Coleman Hawkins, Joe Turner, Billie Holiday, Ellen Humes, Jimmy Rushing, Buck Clayton, Illinois Jacquet, Lucky Thompson, Eddie Lockjaw Davis, Paul Gonsalves (qui passera chez le Duke ensuite pour y rester définitivement), Buddy Rich, Wardell Gray, Tommy Turrentine, Idrees Sulieman, Joe Newman, Paul Quinichette, Zoot Sims, Ernie Wilkins (également arrangeur), Buddy De Franco, Fred Astaire, Frank Sinatra, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Serge Chaloff, Stan Getz, Thad Jones (qui fondera plus tard le Thad Jones Mel Lewis ensemble), Frank Foster, les collaborations d’arrangeurs fantastiques comme Neal Hefti, Quincy Jones, Sam Nestico (qui nous a quitté récemment), etc.

Extrait d’un concert au milieu des années 60 pour la BBC et deux fameux tubes du Comte.

Avec plus de 120 albums de son vivant et plus d’une vingtaine sortie après sa mort, on peut également ajouter quelques apparitions dans plusieurs films.

« Hit Parade » et « Top Man » en 1943, ainsi que les documents absolument exceptionnels de la télévision CBS 1957, où on le voit esquisser un très léger sourire à l’écoute intriguée de Thelonious Monk, et également dans le film déglingué de Mel Brooks Blazing Saddles de 1974, traduit ici par le titre improbable « Le Shérif Est En Prison ».

Choisir dans cette discographie est impossible car je ne connais pas un seul mauvais disque de Count Basie. De son complexe d’infériorité et d’une certaine manière d’une difficulté à apprécier la réalité de son succès arrivant très tôt dans sa carrière, son besoin d’excellence voulant tirer le maximum de son orchestre, Count Basie aura lui aussi accompagné l’évolution du jazz pratiquement de ses débuts jusqu’aux formes les plus modernes. Il tint compte des évolutions, et se produisit dans de nombreuses tournées avec C. Parker et Dizzy Gillespie. On sait qu’il appréciait le Be-Bop, était toujours très admiratif de ses contemporains comme Oscar Peterson, et même lorsqu’il ne comprenait pas toujours la démarche de certains, il se considérait souvent comme très inférieur. Je me souviens d’une interview de lui avant sa mort, dans un « blindfold test », qu’il disait apprécier Cecil Taylor, pianiste de free-jazz radical, sans émettre la moindre critique négative. En résumé, ils étaient tous très bons, sauf lui.

Cette satanée absence de confiance en lui ne l’a jamais vraiment quittée et cette incroyable contradiction entre son désir de bien faire, sa course au succès, tout en ne voulant pas y attacher autant d’importance que ça, sa réussite mondiale aura finalement été bénéfique pour nous, jazz fans, musiciens et autres admirateurs et admiratrices.

De cette abondante discographie, qui n’est finalement qu’un pâle reflet de ce que fut la réalité de Basie, car lorsque l’on tourne 360 jours sur 365 pendant 60 ans de carrière, beaucoup de choses n’auront jamais été captées.

La musique de Basie aura toujours été caractérisée sous le signe du swing absolu et d’une incroyable énergie. Même dans les ballades en tempo lent ou moyen, l’orchestre aura toujours ce balancement qui fait frétiller les arpions. D’ailleurs à ses débuts, la plupart des orchestres étaient dédiés à la danse et Basie a fait gambiller des millions et des millions de danseurs et danseuses, dans des shows et revue à traves les USA mais également dans le monde entier.

Contrairement à Duke qui cherchait dans de nombreuses directions, et souvent trouvait, la musique de Count, si on est bien attentif, est toujours la même. Des « heads  arrangements » (arrangements de tête) des débuts dans les années 20, elle va juste évoluer, se peaufiner, se complexifier (un peu) au fil du temps, en fonction de l’arrivée de musiciens de plus en plus expérimentés, d’arrangeurs modernes qui sauront insuffler une couleur et une remise à jour de thèmes qu’il ne cessera de jouer tout au long de ses prestations, et point important à noter, une attention particulière à la qualité de son d’ensemble, tenant avantageusement compte des progrès technologiques.

Il va polir sa pierre encore et encore pour qu’elle devienne un chef-d’œuvre, ce qu’il aura parfaitement réussi, malgré ses dénégations.

Cet extraordinaire document CBS de 1957 avec Coleman Hawkins, Lester Young, Ben Webster, Gerry Mulligan, TH. Monk, Billie Holiday, est émotionnellement très fort.

Il sera avec le Duke et Woody Hermann (dans une moindre mesure avec Thad Jones & Mel Lewis) un des derniers rescapés de cet âge d’or des bigbands issus de la danse, machines à swing que le rock’n’roll finira par tuer définitivement. Saluons également cette performance et cette incroyable longévité.

Le principe de sa musique est toujours le même qui sera sa signature reconnaissable à la première seconde. Il introduit au piano le thème par quelques petites notes dans l’aigu du clavier à la façon « stride » (style de piano des années 20), et ensuite l’orchestre attaque en nous mettant une grande claque dans la figure. Imparable d’efficacité, et un bonheur musical sans pareil. Et il conclue pratiquement chaque morceau de la même manière. Trois petites notes égrenées en forme de résolution de l’accord par un chromatisme ascendant, un petit « one more time » et voilà. Tout Basie est résumé dans cette pirouette magique.

William James « Count » Basie était membre de l’obédience prince hall, loge wisdom N°102, Chicago, Illinois et membre des Shriners de NYC (New York City).

Sur son initiation, rien. Son engagement maçonnique, rien. Dans sa biographie, il dit qu’il n’a jamais souffert du racisme car étonnamment, enfant il était dans une école mixte, chose extrêmement rare à l’époque. Il était parfaitement au courant de ce qu’il se passait au USA, mais il ne voulait pas le voir. Fuyant la réalité comme il fuyait les pianistes concurrents, il passera à côté des conflits de son époque avec plus ou moins de bonne foi. Il confie son amitié indéfectible envers ses amis qu’ils soient blancs ou noirs, ceci n’avait pour lui strictement aucune importance et il ne voyait que le musicien et sa capacité à bien jouer ou pas. Il exprime également le même sentiment avec les managers de salle, les imprésarios et tous ceux qui se sont occupés de sa carrière. Je suis certain de sa sincérité de ce point de vue, tous les témoignages concordent en ce sens.

Il a également obtenu bon nombre de médailles et de décorations pour son œuvre mais une nous intéresse particulièrement c’est celle de 1970 du « Phi Mu Alpha Sinfonia » « Mu Nu Chapter », groupe paramaçonnique comme il en existe beaucoup aux USA. Celui-ci étant axé sur le développement spirituel et fraternel des musiciens et étudiants en musique.

On dit que choisir c’est renoncer, mais je vais tout de même vous donner quelques titres de disques qui ont ma faveur.

Il y a évidemment le fameux Atomic E=Mc2 de la période dite « Roulette », nom du label qui fit redémarrer la carrière de Basie dès 1959 et qui gagna un Grammy Award à cette occasion. Un classique, un must, un « ile déserte » (expression raccourcie en réponse à la question : quels disques emporteriez-vous avec vous sur une ile déserte ?).

Le « sublimissime » Basie avec Sarah Vaughan, qui est un disque d’autant meilleur qu’elle chante avec Basie, et l’orchestre est d’autant meilleur qu’il accompagne Sarah.

Toujours chez Roulette, ceux signés par Quincy Jones et Neal Hefti sont également des totems gravés dans le marbre.

Et puis j’ai un faible pour la toute dernière période lorsqu’il signe avec le label Pablo créé par son ami (l’ami de tous les musiciens) Norman Granz.

Warm Breeze est représentatif et une pure merveille ; le Live In Montreux 77 évidemment, le Live In Japan 78, bref tous les Live sont absolument merveilleux avec une mention spéciale pour le coffret en 5 volumes Live At The Crecendo 1958.

Enfin la crème de la crème (comme disent les états-uniens) LA rencontre entre le Duke et  le Count, une aristocratie totalement prévisible, mais tellement réjouissante ! Basie avait une admiration sans borne pour le Duke (qui ne l’a pas ?) et c’est un pur régal que d’entendre cette fameuse « bataille » de géants qui, telles deux étoiles se rencontrant, firent de cette magnifique collision un bonheur inégalé. Là, ici, oui ici, on entend la fraternité exploser d’un feu d’artifice cosmique aussi rare que jouissif.

Le Count est bon ? Oh que oui ! Vous en reprendrez à chaque fois que le blues vous prendra, n’hésitez pas il n’y a aucune contre indication.

À lire :

Les mémoires de Quincy Jones par Quincy Jones

Good Morning Blues Count Basie par Albert Murray & Count Basie

Le roman du jazz en trois volumes par Philippe Gumplowitz

Jazz & Franc-Maçonnerie une histoire occulté Yves Rodde-Migdal

En anglais, The World Of Count Basie de Stanley Dance

Photo de tête du double album Super Chief, compilation datant de 1972

À consulter également sur la toile :

https://en.wikipedia.org/wiki/Count_Basie

https://web.archive.org/web/20170909105308/

http://www.thecountbasieorchestra.com/cbo-history

https://imusic.am/artist/10105

http://www.swingmusic.net/Count_Basie.html

http://www.soulwalking.co.uk/Count%20Basie.html

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Yves Migdal
Yves Migdal
Yves Rodde-Migdal né le 02-11-1954 à Paris, a travaillé comme graphiste, directeur artistique, dans la presse et l’édition depuis 1975 (diplômé de l’école Estienne) et enseigné au CFPJ - Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes - pendant plus d’une dizaine d’années. À la libéralisation de la bande FM au début des années 80, il a travaillé un an à RVS (Radio Vallée de la Seine), et anime depuis 2011 l’émission Jazzlib’ sur radio libertaire 89,4 FM Paris, dans laquelle il accorde une grande place à l’histoire du jazz et invite de nombreux prestigieux musiciens, preuve que le jazz est toujours vivant. Parallèlement à ces activités, il a étudié le piano classique et s’est tourné vers le jazz dès l’âge de 16 ans. Il a étudié avec le pianiste Michel Sardaby, et Marc Berkowitz de la Berklee School Of Music. Il a composé des musiques de films, génériques, pièces de théâtre, et a régulièrement tourné avec son quartet et trio dans les années 90, 2000. Il a écrit de nombreux portraits de musiciens et sur l’Histoire du jazz dans diverses revues. Il a également rédigé, dans le cadre du devoir de mémoire en tant qu’ancien élève d’Estienne, deux longs articles dans le troisième tome de l’histoire de l’école. Auteur du livre Jazz & Franc-Maçonnerie, une histoire occultée, sortie en 2017, préfacé par Philippe Foussier (ancien Grand Maître du GODF 2017-2018, et « postfacé » par Alain de Keghel, passé souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil du REAA - GODF 2002-2008). Editions Cépaduès Toulouse. Initié au GODF en février 1990 au rite français, Vénérable Maître de 1998 à 2001, et de 2015 à 2018, Officier du Congrès de Paris 3 du GODF depuis 2014, Membre du Jury Fraternel du Congrès de Paris 3 du GODF de 2014 à 2017, puis président du JFR de 2019 à 2021, reçu dans les grades de perfection du rite français du GCG (Grand Chapitre Général du GODF Rite Français) en 2002, Chevalier d’Orient (4e Ordre du rite français des grades de sagesse). Rédacteur et rapporteur du texte final de la Commission travail au Colloque de Strasbourg du Parlement Européen en 1993 qui portant déjà la réflexion sur le « Revenu d’existence ». Membre fondateur d’un atelier à la GLMF (Grande Loge Mixte de France). Fils de déporté, il a collaboré à la rédaction et rédigé la postface du livre de son père, « Les Plages de Sable Rouge, André Migdal » éd. NM7/Jean Attias. (André Migdal fut un des 314 rescapés d’un épisode catastrophique peu connu de la fin de la 2e Guerre Mondiale : la tragédie de la Baie de Lübeck du 3 mai 1945 qui a fait plus de 8 000 morts en une heure.)

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