« Le maître-constructeur persan moderne [début XXe siècle] élabore ses idées par une méthode secrète, dans laquelle un plan est divisé en carrés égaux en damier, dont chaque carré représente une ou quatre briques carrées telles que celles utilisées en Perse. Il s’agit d’une miniature de celui qui est transféré au sol de l’atelier du Maître, où les motifs sont incisés dans un plâtre prêt à servir de moule à partir duquel des dalles peuvent être coulées. Il est encore en pratique secrète en Perse et s’accorde avec les plans carrés de l’ancienne Égypte qui servaient à fixer un canon de proportion. La Franc-maçonnerie dit que le temple de Salomon avait des carrés d’une coudée, maintenant représentés sur leur tapis[1].»
L’origine du mot mosaïque serait celle du mouséion, temple des muses et des arts. Hérodote avait fait entendre, dans l’assemblée des jeux olympiques, une histoire de la Grèce enchaînée à celle de la plupart des nations voisines. Cet ouvrage, écrit d’un style coulant, clair et persuasif, avait tellement enchantés les Grecs, qu’ils avaient donné aux neuf livres qui le composent le nom des neufs muses[2]
Hesiode évoque les muses ainsi : ” leur voix ravissante chante les lois de l’univers et la vie divine des immortels.”[3]
Une mosaïque est une décoration qui assemble des fragments pour en faire des motifs ou des figures. Ces fragments sont appelés des tesselles. Lithostroton, est le mot latin utilisé par Pline pour désigner un pavage en mosaïque, une marquèterie de pierres (p. 431 : Deux noms antiques de pavement : KΑΤΑΚΛΥΣΤΟΝ et ΛΙΘΟΣΤΡΩΤΟΝ).
La mosaïque sert au pavage du sol du temple maçonnique. C’est un assemblage complètement équilibré, parfait en régularité, de carreaux noirs et blancs alternés à l’infini, de lignes jointives sans épaisseur visibles en diagonale. Comme le rapporte Étienne Hermant, le Pavé mosaïque apparaît très tôt en maçonnerie et bien avant 1717 contrairement à ce qui a été avancé. Il apparaît déjà dans le Édimbourg Register House de 1696 dans la description des Trois joyaux (une pierre taillée, un pavage quadrillé et un large ovale), puis dans le Manuscrit Sloane de 1700 avec la même dénomination. On le trouve présenté dans la Convocation des Maçons Antédiluviens de 1726 à la suite de l’annonce d’une harangue dans le style Henleien, puis dans le Ms Mason’s Examination (sous la dénomination de pavé d’équerre) et le Ms Wilkinson (pavé mosaïque), tous deux de 1727. Quant à l’étoile au centre du Pavé mosaïque, il ne s’agit pas d’une fantaisie, elle est présentée de cette manière dans la Maçonnerie Disséquée de Samuel Prichard de 1730 en désignation des «meubles dans votre loge» : le Pavé mosaïque qui couvre le sol de la Loge, l’étoile Flamboyante au centre et la bordure dentelée autour. La bordure dentelée qui entoure le Tapis de Loge donne la signification de l’ensemble du quadrillage. Il s’agit de la séparation du chaos (triangles noirs tentant de percer la Lumière et de l’envahir) et le monde créé (triangles blancs repoussant l’assaut), entre le monde profane et l’espace sacré.
On assiste au triomphe de la Lumière sur la Ténèbre. Le Tableau de Loge, au centre du pavé mosaïque est un carré Long de Lumière que les ténèbres tentent d’envahir, la “Lumière luit dans les Ténèbres et les Ténèbres n’ont pu s’en accaparer”. Cette Lumière est consacrée au centre de la Loge par Beauté-Force-Sagesse lors de l’allumage des Piliers. Le pavé mosaïque est la réconciliation des deux extrêmes que sont les ténèbres et la lumière, le bien et le mal, Dieu et le Diable, l’infini négatif et l’infini positif des mathématiciens qui ne sont qu’Un. Pour cela, les Chevaliers du Temple en firent leur gonfanon composé, par moitié, du noir et du blanc, appelé aussi baussant signifiant «mi-parti de couleur».
Si plusieurs textes font du pavé mosaïque une sorte de planche à tracer, pour certains textes anciens, le pavé mosaïque faisant partie des bijoux immobiles est le sol de la loge. Dans le Sloane (1700), le Pavé est appelé Pavé d’Équerre. : «- Combien de bijoux y a-t-il dans la Loge ?- Trois : le pavé d’équerre, l’étoile flamboyante et le « parpaing».
Dans le Prichard (1730), les bijoux sont remplacés par des meubles et le parpaing devient la houppe dentelée : «- Y a-t-il des meubles dans la Loge ? – Le pavé mosaïque, l’étoile Flamboyante et la houppe dentelée…le pavé mosaïque est le sol de la Loge.»
REAA début XIXe : «Avez-vous des meubles dans votre Loge ? R. Oui. D. Quels sont-ils ? R. Le pavé mosaïque, l’étoile flamboyante et la houppe dentelée. D. Quel est leur usage ? R. Le pavé mosaïque est le sol de la Loge, l’étoile Flamboyante le Centre, et la houppe dentelée la bordure tout autour.» Aucune explication n’est vraiment donnée. Mais dans le paragraphe «Décoration de la Loge» de ce Rite, dont la plus ancienne version connue remonte à 1804, il est précisé que le sol de la Loge est pavé de carreaux noirs et blancs alternés. Pour ce rite, le pavé mosaïque est, de plus, strictement associé aux deux colonnes, J et B ; il doit être disposé entre elles, à l’entrée du Temple, de façon que l’on soit obligé d’en fouler les dalles pour s’avancer en loge. Et de rajouter ce conseil de décoration : lorsqu’il est aménagé autrement, il y a lieu d’incorporer un tel pavage, sous forme réduite d’un carré long placé au centre de la Loge, orienté comme cette dernière. Les proportions du rectangle doivent s’approcher au plus près du rapport harmonique, il prend alors le nom de «carré long» (8 par 5, en général, se rapprochant le plus du nombre d’or). Le pavage peut être représenté par un tissu, une natte, symbole de l’isolement vis-à-vis de la terre et de ses salissures empêchant la prise de racine et offrant ainsi une possibilité d’élévation. Il s’agit alors d’un simple rappel du pavement de carreaux noirs et blancs, au centre de la loge à l’endroit où l’on place le Tableau de Loge. De là à prétendre qu’il est interdit de marcher sur le pavé mosaïque, il y a une déduction qui est fausse en son essence.
C’est sur lui, comme sur un canevas, que les pas rituels s’exécutent laissant penser que les marches rituelles sont des techniques d’art de la mémoire des tracés géométriques.
Le pavé mosaïque est un lieu sur lequel il faut passer, «nous devons marcher sur le pavé mosaïque, représentant les joies et les peines». Le pavé mosaïque marque donc le passage du profane au sacré, que l’initié doit justement fouler pour poursuivre la voie. Il guide l’initié sur la voie droite, le maintient dans l’axe de l’Orient.
Le pavé mosaïque n’est pas un déterminisme du bien et du mal, il est le symbole de la liberté montrant le choix laissé à chacun d’agir. L’existence du libre-arbitre peut-être entendu comme un pouvoir absolu de commencement. N’est-ce pas pour cela qu’il faut marcher sur le pavé mosaïque en entrant en loge ?
Au rite de Salomon et MM, l’interstice des carreaux est un fil bleu foncé, représentant l’espace infini ; on l’appelle un virolet (n’est pas l’anagramme de Vitriol ?), c’est aussi le cordeau bleu qui sert à tracer au sol ainsi que le niveau des constructions. Ce fil évoque aussi cette mystérieuse couleur bleue, tékhélet (תְּכֵלֶת), citée 50 fois dans la Bible, que les hébreux utilisaient pour la fabrication d’objets sacrés. [4]
[1] John Yarker, Chap. 3, The Arcanes Schools, Aryan civilisation and mysteries, 1909, texte en anglais : <hermetics.org/yarker2.html>
[2] Fabre d’Olivet, Les vers dorés de Pythagore expliqués, p.96: gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k649986/f99.
[3] Hésiode, La Théogonie : gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54430304/f12
[4] De Tradition immémoriale, on raconte que, dans des temps très anciens, des colorants d’une couleur bleue très particulière provenant d’une sorte de «poisson» si rare et si recherché, furent réservés aux seuls puissants. Selon les époques, les textes nous affirment même, qu’ils se vendaient jusqu’à 20 fois le prix de l’or. La Septante traduit le terme Tékhelèt (תְּכֵלֶת), par un mot uachinthinos υαχινθινοσ, qui désigne des objets variant entre bleu et violet (yacinthe). La seconde traduction de référence est celle dite de la Vulgate de St Jérôme vers l’an 400, celle-ci en langue latine, puisque entre-temps la Méditerranée était devenue romaine. Le mot employé n’est pas très original hyachintinum, reprenant l’étymologie et le sens grec. C’est cette couleur seule qui permet le contact avec Yahwéh, elle signale le plus haut degré de sainteté, révèle la Présence indicible, colore la fonction la plus éminente du Temple, c’est-à-dire celle du Grand Prêtre et l’emballage des choses saintes (Exode, 39,1). Cette couleur Tékhelèt vient d’une racine trilitère hébraïque TKL signifiant à la fois le but, la quête, et la totalité. (Le Bleu en Loge Maçonnique … deux voies symboliques : trusatiles.org/pages/Le-bleu-en-loge-ma-onnique-8921029.html.