ven 22 novembre 2024 - 23:11

Remise du Prix du Grand Orient de France décerné à titre posthume à Samuel PATY le 2 décembre 2021

  ACTUALITÉ
Discours du Grand Maître du GODF à l’occasion du Prix du Grand Orient de France décerné à titre posthume à Samuel PATY le 2 décembre 2021


Madame Paty,
Monsieur le Grand Maître de la Grande Loge de France,
Madame la Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France,
Mesdames et Messieurs dignitaires des Obédiences amies,
Mes Très Chères Sœurs, Mes Très Chers Frères,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Le Grand Orient de France a choisi ce soir, d’honorer la mémoire de Samuel Paty, professeur exemplaire d’histoire géographie et d’enseignement civique, assassiné il y a un an pour avoir enseigné la liberté d’expression et de conscience à ses élèves. 
Merci Madame Paty d’avoir accepté d’être parmi nous pour recevoir, au nom de votre frère disparu, la Marianne du Grand Orient de France dont l’objectif, chaque année, est de célébrer la République en distinguant ses serviteurs les plus dévoués.
Notre République qui nous est si chère même si elle est encore loin d’être parfaite et demeure inaccomplie.

Notre République si belle et si précieuse par ses promesses comme par ses réalisations et dont votre frère, enseignant de l’école publique laïque, était un ardent défenseur. 

Victime de la haine et de l’obscurantisme de l’islamisme politique, ce nouveau fascisme qui arme une religion à des fins totalitaires et liberticides, votre frère, pour ce qu’il était autant que pour ce qu’il représente, est désormais une figure emblématique de la République.

Il nous appartient d’inscrire Samuel Paty dans nos mémoires comme un modèle républicain de courage et d’engagement, animé de la volonté du partage du savoir, de la résistance face à l’obscurantisme et de la lutte perpétuelle de la connaissance contre l’ignorance, mère de toutes les dictatures. 

C’est dans ce sens qu’il exerçait son professorat, afin de donner à chaque élève la faculté de penser par lui-même, de pouvoir exercer sa raison critique et s’émanciper des dogmes et tutelles qui enferment et cloisonnent les esprits et les êtres.
Fils d’instituteurs, son parcours est marqué par la volonté constante de « faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui vient de la naissance, l’inégalité d’éducation » comme l’avait déclaré Jules Ferry dès 1870.
Habité par sa mission, il choisit de consacrer sa vie à l’enseignement par conviction républicaine.

Son engagement, profond, est inséparable de sa personnalité, simple et authentique, dénuée des oripeaux factices et réducteurs des apparences et libérée des faux-semblants de la modernité.

Votre frère, chère madame, était un enfant des Lumières, au service de la République, de ses principes et de son idéal.
Il exerçait son métier, en conscience, dans la filiation la plus juste et parfaite des préceptes de Condorcet, dont l’objet était de transmettre le savoir et former des citoyens, « Rendre la raison populaire ».
Sa vocation était animée par le sens du devoir et de l’intérêt général, l’amélioration de l’homme et de la société qui commence par l’instruction des nouvelles générations. L’accès à la connaissance est la première des marches qui mènent à la liberté.

La liberté dont la devise républicaine exprime la primauté du dessein, et dont la pleine réalisation, déjà lente et progressive, est freinée, empêchée par les suppôts de l’aliénation et du dogme.
Dans ce combat, la liberté d’expression est une des premières cibles du totalitarisme.
Menacée en permanence, elle est une liberté fondamentale, un indicateur démocratique significatif.

La liberté d’expression est aujourd’hui malmenée par l’islam politique qui rejoint la cohorte des antirépublicains religieux traditionnels, et avec eux, l’extrême droite héritière des mouvements factieux d’avant-guerre, de l’Action Française et de la collaboration dont les remugles sont de plus en plus présents ces derniers mois.
Elle l’est également, paradoxalement, par de nouveaux censeurs, indigénistes décoloniaux et affidés, qui, utilisent le relativisme comme faux-nez du ressentiment, détournent les luttes les plus essentielles telles que l’antiracisme ou le féminisme et, dans un renversement sémantique et conceptuel orwellien dénué de tout fondement, métamorphosent ce qui emprisonne en outils de liberté et ce qui libère en outils d’enfermement.

Ainsi, c’est à l’issue d’un cours sur la liberté d’expression que s’est enclenché le processus délétère qui a produit l’ignominie du crime dont a été victime Samuel Paty.
Une nouvelle fois, la confusion est installée entre la critique et l’offense. L’inacceptable prétexte du blasphème, dans notre république laïque, sert d’injonction au silence de la censure. L’offense, invoquée ad nauseam, est devenue un point d’ancrage pour interdire la critique, soumettre au dogme, et faire porter aux autres les chaînes de croyances, idéologies et bientôt opinions, propres à soi-même.

La loi distingue parfaitement le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, de l’opposition, de la critique et bien sûr de l’humour envers les idéologies, religions et théories, tant que l’outrance ne rejoint pas la haine ou n’appelle pas à la violence.
C’est toute la clarté de l’État de droit, c’est toute la force de la République.
Ceux qui feignent de l’oublier, dessinateurs prudents, hommes politiques opportunistes, intellectuels égarés, chercheurs ou universitaires de « 
haut-rang » militants, en répétant comme un mantra, l’impératif « ne pas froisser », veulent exclure de fait toute critique qui dépasserait le cadre de convenance fixé par ceux-là même dont les croyances et opinions en sont l’objet.
En conditionnant ainsi la liberté d’expression à la subjectivité sinon à la susceptibilité de l’offensé, ils sont clairement les alliés objectifs, d’aucuns disent les « idiots utiles » des obscurantistes qui veulent la restreindre.

Et, restreindre la liberté d’expression, c’est la supprimer.
Telle l’inoculation d’un microbe, l’infiltration lente et insidieuse du virus totalitaire a de nombreuses voies d’entrée.

La violence et l’intimidation sont les plus courantes, les plus simples et les plus répandues. La soumission s’installe ensuite.

Aucun régime ne se crée dans une matière vaporeuse, sans substrat.
« Il existe quelqu’un de pire que le bourreau, c’est son valet » a écrit Mirabeau.
Ce sont ces valets qui font basculer une société hors du champ démocratique.
Si l’attentat perpétré à Conflans-Ste-Honorine a été le produit de la barbarie du fanatisme islamiste, nous devons à la mémoire de Samuel Paty, d’en comprendre la genèse, analyser le processus qui l’a produit à la lumière des évènements qui l’ont précédé.
Cela commence par l’inversion des causes et des effets, par la transformation de la réalité.
D’abord, un cours sur la liberté d’expression et la caricature est présenté comme un discours raciste contre une population.

Le mensonge et le détournement se poursuivent en transformant une proposition bienveillante de s’absenter le temps de la présentation des caricatures, en fait discriminant, le respect de la liberté de conscience devient une exclusion.
À l’instrumentalisation d’élèves adolescents par des intégristes, s’ajoute enfin l’enchainement de peurs, de lâchetés et de compromissions qui dans ce drame ultime, aboutit au passage à l’acte criminel d’un fanatique.
Les responsabilités sinon les complicités sont, comme toujours, diverses, complexes, souvent involontaires ou simplement stupides. Certaines sont bien connues, maintes fois décrites. D’autres, moins apparentes, sont plus insidieuses.

Les premières, les plus claires, celles des intégristes, calomnient ouvertement. Elles accusent de racisme et de discrimination celui dont les paroles et les actes expriment exactement l’inverse, « On avait surement calomnié Joseph K car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin » écrit Kafka dans Le Procès.

Les secondes, plus diffuses et indirectes inversent la suspicion au sein d’un dispositif institutionnel et le font se retourner contre un des siens quand il devrait le défendre.
C’est ce dispositif qui, dans l’affaire Dreyfus, vit le ministère des Armées préférer soutenir la version du traitre plutôt que celle de l’innocent.
La jonction des responsabilités met en place une mécanique inexorable et monstrueuse, celle des procédés les plus sombres des totalitarismes, qui installent, répandent puis exacerbent un climat de peur et d’intimidation propice à tous les reculs démocratiques.
Aujourd’hui, certaines idées sont sous protection policière en permanence, dans le pays des Lumières, celui de Voltaire, Condorcet et Jaurès.
Celui de Charb, Wolinski et Cabu.

Quels seront les ressorts de notre nation ?
Depuis l’assassinat de votre frère, le monde politique et médiatique, et au-delà des apparences, l’École et l’Université, c’est-à-dire les piliers fondamentaux de notre société, appliquent-ils dans leurs cours et leurs programmes, cette volonté exprimée par le Président de la République lors du discours à la Sorbonne du 21 octobre 2020 :
« Nous continuerons professeur, nous défendrons la liberté que vous enseigniez si bien, nous porterons haut la laïcité, nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins même si d’autres reculent, nous continuerons professeur ».

La récente suspension d’un professeur pour avoir mis en cause la responsabilité de sa hiérarchie dans l’assassinat de Samuel Paty, l’arrachage à Sciences Po des affiches annonçant le spectacle de la pièce de Charb « lettre aux escrocs de l’islamophobie » sont-ils les remous d’une vague finissante ou les mascarets d’une lame de fond ?
Il est des évènements dont la portée ne peut se saisir qu’à long terme, mais l’engagement de Samuel Paty et sa disparition tragique nous ordonnent d’agir.

La violence et la terreur, fulgurantes et insupportables, sont sources de peine immense, de chagrin et de douleur. Ils sont faits pour susciter la soumission collective, mais ils peuvent aussi donner lieu à des prises de conscience essentielles.
Prises de conscience qui ne peuvent être sans lendemain.
Il nous appartient de ne pas oublier, comprendre et agir.

Si le Grand Orient de France a choisi d’honorer la mémoire de Samuel Paty, c’est pour que celle-ci nous éclaire et que son engagement exigeant et déterminé nourrisse le nôtre à chaque instant.

La Franc-maçonnerie n’est pas la promesse d’un salut mais la volonté d’un travail au service d’un idéal de solidarité et de fraternité, d’attention à l’Autre, quelles que soient ses origines, sa couleur de peau, sa religion.
C’est pour cet idéal républicain qui relie liberté de conscience, émancipation des esprits et égalité des droits que Samuel Paty s’est dévoué, en plein accord avec lui-même.

D’abord en rappelant la place et le rôle fondamentaux des enseignants, maillons essentiels des forces de progrès que les Francs-maçons du Grand Orient de France et des Obédiences amies accompagnent depuis trois siècles.
Mais également par sa dimension profondément humaine, sans artifice ni posture, celle d’un homme resté fidèle à lui-même et au service de ses idées.
Il est l’exemple éclatant de l’engagement républicain.
Nous n’oublierons pas Samuel Paty.

Il est présent pour toujours dans nos cœurs. Il doit l’être également à jamais dans nos esprits.
C’est en suivant la voie qu’il a tracée avec simplicité et courage que nous vaincrons les obscurantistes et les censeurs dans le combat humaniste et universaliste essentiel qui se joue aujourd’hui.
Alors la République indivisible, laïque, démocratique et sociale restera une idée neuve dont la promesse continuera à se réaliser.
Non, Madame, nous n’oublierons pas Samuel Paty.
 
Georges SERIGNAC
Grand Maître du Grand Orient de France


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