mer 24 avril 2024 - 21:04

La clef pour fermer

La clef, c’est la forme exquise de la serrure, elle ouvre et ferme en rendant compte, en plein, du creux auquel elle s’adapte[1].

La clef est l’un des symboles les plus anciens de la Franc-Maçonnerie[2], même si certains rituels n’y font plus référence. Que ce soit en maçonnerie opérative ou spéculative, la clef telle qu’elle est évoquée donne l’idée qu’elle est cachée et sans la possession de laquelle on ne saurait avoir accès à un secret ou un mystère conservé tantôt dans un lieu à ouvrir (la loge) tantôt dans une partie du corps (cœur, poitrine,…).

On comprend que garder les secrets du métier dans la maçonnerie opérative était très important, la clef prend naturellement comme allégorie la langue et la boîte d’os les dents. Dans A Mason’s Confession de 1727, on lit  : «Q. Où gardez-vous la clé de votre loge? R. Entre ma langue et mes dents, et sous un repli de mon foie, où se trouvent tous les secrets de mon cœur; car si je dis quoi que ce soit dans la loge, ma langue doit être retirée de sous mon palais et mon cœur le sera de sous mon aisselle gauche, et mon corps doit être enterré dans la marque de la mer, où il reflue et coule deux fois en vingt-quatre heures. Q. Quelle est la clé de votre loge? A. Une langue bien accrochée.»(pglforfarshire.org/1727_Dundee_Manuscript.html)

L’endroit où trouver la clef a des variantes selon les catéchismes maçonniques. Cela est évoqué dès le premier degré jusqu’en 1745 où elle apparaît dans les catéchismes de compagnon puis de maître. Il s’agit tantôt «dans une boîte d’os, placée soit à un pied et demi de la porte de la loge», soit  «dans une boîte close ou sous un pavage à trois coins soit à un pied et demi de la porte de la loge», soit «dans une boîte d’os avec un poil hérissé» dans un coffre de corail[3].

Sur de nombreux anciens tracés de tableau de loge, la clef est montrée suspendue à l’échelle de Jacob. Cela l’associe clairement avec les vertus de la Franc-Maçonnerie représentées par les échelons. «Q. Avez-vous des secrets de maçons? R. Ils en ont, beaucoup de précieuses. Q. Où les gardent-ils? Répondez dans leurs cœurs. Q. À qui les révèlent-ils? Ne répondez à personne mais aux frères et aux francs-maçons. Q. Comment les révèlent-ils? Répondez par des signes, des jetons et des mots particuliers. Q. En tant que maçons, comment espérons-nous les atteindre? R. À l’aide d’une clé…. Q. Pourquoi la préférence est-elle accordée à la suspension? R. Elle doit toujours être suspendue pour la défense d’un Frère et ne jamais mentir à ses préjugés. Q. Qu’est-ce que ça tient? R.e Le fil de la vie, dans le passage de l’énoncé, entre Guttural et Pectoral. Q. Pourquoi si proche du Cœur? R. Étant un index de l’esprit, il ne doit prononcer rien d’autre que ce que le cœur dicte vraiment. Q. C’est une curieuse clé, de quel métal est-elle composée? R. Pas de métal, c’est la langue du bon rapport.»[4]

La clef prend le sens de discrétion (garder le secret), de clef de lecture pour comprendre le texte sacré, une promesse et une espérance d’un accès possible vers le Mystère. L’espérance, cette vertu théologale,  symbolisée par l’ancre tenue de la main gauche par l’allégorie féminine, est associée à la clef suspendue sur le tableau de Loge du 1er degré peint par Josiah Bowring en 1819. «L’homme doit être fixé à cette espérance comme l’ancre est elle-même attachée au vaisseau. Mais il y a cette différence entre l’ancre et l’espérance, que la première est jetée au fond de la mer, tandis que la seconde est accrochée en haut, c’est-à-dire en Dieu»[5].

Peut-être cette clef est-elle en rapport avec la clef de David, la référence christique se trouve en Apocalypse 3, 7 : Et à l’ange de l’Église qui est à Philadelphie, écris : Voici ce que dit le Saint, le Véritable, Celui qui a la clef de David ; Celui qui ouvre et personne ne fermera, et qui ferme et personne n’ouvrira. C’est dire que la foi en Jésus est la clef car en Jean 10, 7, 9 il est écrit : « 7 Jésus dit encore: «Oui, je vous le déclare, c’est la vérité: je suis la porte de l’enclos des brebis. 9 Je suis la porte. Celui qui entre en passant par moi sera sauvé.

On peut, aussi, lire dans la Masonery disséquée de Prichard en 1730[6] : «Où gardez-vous ces secrets ? A. Sous mon sein gauche. Q67 Avez-vous une clé de ces secrets ? R. Oui. Q68 Où le gardez-vous ? A. Dans une boîte en os qui ne s’ouvre ni ne se ferme mais avec des clés en ivoire. Q69 Est-ce qu’il pend ou est-ce qu’il ment ? R. Il pend. Q70 À quoi s’accroche-t-il ? A. Une ligne de remorquage de 9 pouces ou une portée. Q71 De quel métal est-il ? A. Aucune manière de Métal du tout, mais une Langue de Bon Rapport est aussi bonne derrière le Dos d’un Frère que devant son Visage..»

Le secret trouvé grâce à la clef est la Connaissance des signes paroles et attouchements qui permet d’ouvrir les portes de toutes les loges des 3 premiers degrés et, dès l’apparition du 3ème degré, le secret sera la parole perdue.

De nos jours, la clé n’est rencontrée que comme le joyau du trésorier, vraisemblablement pour l’encourager à garder les fonds de la Loge en sécurité. La clef d’ivoire n’apparaît comme symbole qu’au 4ème degré du Rite Écossais Ancien et Accepté, elle est posée sur le Livre de la Loi sacrée, et pend à l’extrémité du sautoir du Maître Secret.

En alchimie, les opérations de solve et coagula, correspondent à ce que la tradition chrétienne désigne comme le «pouvoir des clefs» ; celui de lier et de délier (potestas ligandi et solvendi). Leur pouvoir est celle d’une clé en or (correspondant au pouvoir spirituel) et une clé en argent (correspondant au pouvoir temporel).

La clé d’or et la clé d’argent furent les emblèmes de Janus, le dieu romain, gardien des portes. Ces clés ouvraient entre-autres, les portes solsticiales, c’est-à-dire l’accès aux phases ascendante (clef des cieux en or) et descendante (clef des homme en argent) du cycle annuel qui trouvent leur équilibre aux équinoxes.

Un mot de passe laisse supposer un dedans  et un dehors, quelque chose qui permet l’ouverture, l’accès. N’est-il pas une clé ? Suite dans un prochain article…


[1] Comme le dit Michel Serres.

[2] Mentionné dans l’Edinburgh Register House Manuscript de 1696 : “Q: 13 where shall I find the key of your lodge, yes [? = Ans] Three foot and an half from the lodge door under a perpend esler, and a green divot. But under the lap of my liver where all my secrets of my heart lie Q: 14 Which is the key of your lodge Ans: a weel hung tongue Q: 15 where lies the key Ans: In the bone box” : archive.org/details/EdinburghRegisterHouseMS1696/

[3] Hugues Berton et Christelle Imbert, Les enfants de Salomon, éd. Dervy, 2015, p.366, 478 et suivantes, 906, et surtout p.913.

[4]Catéchisme Émulation

[5] Saint Thomas d’Aquin

[6] http://freemasonry.bcy.ca/ritual/prichard.pdf

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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