jeu 31 octobre 2024 - 09:10

La Kabbale II-Un paradis à chercher

À partir d’Esdras, l’interprétation kabbalistique du Texte s’articule autour de quatre degrés dont les initiales donnent la racine «prds» du mot pardes, le paradis.

PARDES est l’acronyme pour désigner les quatre niveaux de lecture de la Bible  connus des kabbalistes : – pchat, sens littéral qui ne traite que du monde sensible – rémèz, sens allusif à une autre notion qui permet de mieux cerner le sujet, qui consiste en un niveau plus élevé de l’étude – drach, sens sollicité, l’enseignement admis par les sages expliquant le sujet ; c’est la parabole, la légende, le proverbe, etc. – sod, sens caché ou secret qu’on peut rechercher en groupe, ou seul à ses risques et périls ; c’est le niveau ésotérique concernant la théosophie, la métaphysique et la révélation des choses surnaturelles, secrètes et mystérieuses.

Ces quatre sens sont représentés par le mot PaRDèS «Paradis» qui est la contraction de :

Peshat : étendre, s’étendre (tendre un vêtement) ; assaillir (s’étendre pour piller comme l’armée qui envahit) ; vision des choses, sens obvie, littéral, historique, d’un mot signifiant simple, ordinaire, clair, facile, évident et du verbe pashot, ôter, enlever un vêtement ou une peau, déshabiller, épouiller, écorcher. C’est voir l’extérieur des choses et envisager de les mettre à nu, de les dépouiller de leurs artifices en faisant ressortir la racine bilitère ou trilitère.

Remez : faire signe, clin d’œil, sens allusif. C’est le clin d’œil que vous fait une lettre ou un groupe de deux trois lettres qui font allusion à d’autres références. Le clin d’œil de la connivence; souvent illustré par des aggadoth, récits légendaires ou folkloriques.

Derasch : sermon, commentaire, exigence d’une réponse dans le sens intuitif, analogique ; fouler, écraser (comme on écrase un fruit pour en faire sortir le nectar) ; chercher, demander, rechercher, s’informer, exiger, réclamer ; se préoccuper de, se mettre en peine pour… C’est de là que vient le mot Midrasch : Mi ? Qui Chercher ? Qui demander ? Questionnement philosophique.

Sod : Secret, confidence. C’est la Connaissance par amour ; la Torah ne révélant ses secrets qu’à ceux qui l’aiment (Sépher ha Zohar II, 99 b.). Rabbi Lévi Isaac de Berditchev nous dit : «Voilà ce qui en est : le blanc, les espaces dans la Torah, proviennent également des lettres, mais nous ne savons comment les lire, comme nous lisons le noir des lettres. À l’époque messianique, D. révélera le blanc de la Torah dont les lettres sont actuellement invisibles pour nous». C’est dans ce sens qu’il est possible d’interpréter les paroles prophétiques d’Ezéchiel annonçant Une nouvelle Torah  (ézéchiel 36, 20-27). Le sens Sod, secret, confidence, est occulté dans la tradition occidentale par une approche linguistique de l’Écriture, la limitant à une vision restrictive. Ce sens Sod, est comme un démoulage transparent de la parole qui permet de retrouver un savoir perdu ; c’est voir en transparence ce que cache l’opacité de l’encre, ce qu’il y a derrière la lettre. C’est le niveau ésotérique concernant la théosophie, la métaphysique et la révélation des choses surnaturelles, secrètes et mystérieuses.

Pour visionner l’approche de Marc-Alain Ouaknin sur le PARDES : <akadem.org/sommaire/cours/targoum-traduction-et-commentaire-de-la-genese/premiers-pas-vers-le-pardes-22-07-2008-7374_4254.php>

Ces quatre niveaux pourraient correspondre aux quatre causalités d’Aristote qui déterminera toute la philosophie médiévale : causa materialis, cause matérielle ; causa formalis, cause formelle (forme souhaitée) ; causa efficiens, cause efficiente, action ; causa finalis, cause finale qui ne relève que de l’âme : arsitra.org/yacs/files/article/1328/PaRDeS.pdf

Cette association du mot Pardès au jardin d’Éden nous est en fait familière devenue «Paradis». Un vieux mot que l’hébreu, comme les langues de l’Orient, avait emprunté à la Perse, et qui désignait d’abord les parcs des rois achéménides. Le terme passera ensuite à l’Occident, avec le grec paradeisos. Il y a là une notion d’enclos, de jardin gardé, thème que l’on connaît déjà du Cantique des Cantiques (4,12) qui évoque un «jardin cloisonné qui recèle une source secrète», inaccessible… sauf aux initiés.

Ces quatre niveaux de lecture, qui constituent le mot Pardès (verger ou paradis), ont été repris dans l’exégèse chrétienne et sont connus comme le sens littéral, allégorique, moral et anagogique. Ceci ouvre alors un champ infini de lecture, de compréhension, d’expérimentation du Texte. À travers des signes, le réel se donne à être décrypté sous l’angle de ces quatre niveaux, le caché à être dévoilé.

Utilisé dans l’expression «sens anagogique», cet adjectif provient du grec anagogikos (élévation). Il désigne en théologie (écrits patristiques et scolastiques) le sens le plus profond et le plus caché des Écritures. Chiffré par des symboles, ce sens anagogique conduit au divin et ne peut donc être analysé que par un exégète. Hiérarchiquement, dans les quatre sens de l’Écriture, anagogique vient en dernier : sens littéral, sens allégorique, sens tropologique (métaphorique), quelquefois appelé aussi sens moral car le sens tropologique cherche dans le texte des figures, des vices ou des vertus, des passions ou des étapes que l’esprit humain doit parcourir dans son ascension vers Dieu, sens anagogique. Dante Alighieri le qualifie de «sur-sens».

En critique littéraire, l’interprétation anagogique est celle qui tente de dépasser le sens littéral ou immédiat du texte. En philosophie, chez Leibniz notamment, l’induction anagogique est celle qui tente de remonter à une cause première. Pensée symbolique et pensée anagogique sont de même nature. Elles permettent d’aborder le sacré et le mystère. La mise en pratique de cette pensée se fait le plus souvent par le symbole lequel, à partir de son expression matérielle, nous ouvre le chemin vers le plan le plus élevé. Un exemple de chemin anagogique : la remontée dans l’arbre des Séphiroth du Royaume à la Couronne avec Marc Halévy :

C’est aussi ce que propose le Traité de la réintégration des êtres de Martines de Pasqually : <arbredor.com/ebooks/TraiteReintegration.pdf>.

Quand Maïmonide (1138-1204) traite du Pardès, il n’évoque pas le fameux acrostiche, ni même l’existence de quatre niveaux d’interprétation des Écritures, qu’il semble totalement ignorer. Le Pardès désigne pour lui, globalement, une forme d’étude qu’il qualifie de «sagesse divine et science des lois de la nature». Elle fait partie intégrante d’un vaste ensemble appelé talmoud ou guémara, qui ne désigne pas chez lui le corpus que l’on connaît, mais bien une discipline : l’effort d’intelligence des choses, l’établissement de liens intelligibles permettant d’obtenir une compréhension et une réflexion d’ensemble.

Au XVIe siècle, Alcala de Hénarès, dans la province de Madrid, était une région de paludisme. Un kabbaliste va trouver le cardinal Francisco Jimenez de Cisnéros et lui explique : les marais salants donnent des fièvres tierces et quartes, il faut les assécher et construire une école à cet endroit. C’est avec la technique du PARDES, trois niveaux d’organisation donnant le quatrième que cette solution fut proposée. Sur les lieux fut érigée la fameuse ville-université, sa façade est comme un livre qui s’ouvre, elle devient un centre d’enseignement des langues sémitiques, latines, grecques et surtout une université formant des kabbalistes. Elle fut fréquentée par Mazarin, Cervantès, l’infant Juan d’Autriche, Ignacio de Loyola… La Kabbale irradiera l’Europe à partir de ce centre.

Illustration : Maître du Haut Rhin. Le Jardin de Paradis (v. 1410-20)

La suite demain à la même heure. La kabbale, III-Les Séphiroth, chemin du divin

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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