ven 29 mars 2024 - 06:03

La Kabbale I-Une voie de la connaissance

J’ouvre un dossier qui sera publié en plusieurs articles sur la kabbale : I-Une voie de la connaissance, II-Un paradis à  chercher, III-Les Séphiroth, chemin du divin, IV-La Guématrie, une mystique des nombres. Cela ne fera ni de vous, ni de moi un kabbaliste. Ce n’est qu’avec un regard de franc-maçon que je vous transmets ce qui m’en est paru essentiel pour aborder avec cette voie de la Connaissance.

Ce ne sera qu’au début du IIe siècle de notre ère qu’apparaîtra en Palestine (nom donné par Hadrien en 135 à la Judée-Samarie) le rabbi Siméon Bar Yo’Hai, auteur présumé du Sepher ha-Zohar (Le Livre de la Splendeur). Et ce ne sera qu’un millénaire plus tard que se développera dans le Midi de la France le mouvement kabbalistique, avant de s’épanouir en Espagne. Ce courant prendra, alors, le nom de Kabbale, en remplacement de son nom précédent Hokmah Nistarah, «la connaissance cachée» ; il atteint son apogée à Safed (Galilée) au XVIe avec Cordovero et Louria. La kabbale est essentiellement hébraïque. Son cadre de référence est la communauté d’Israël et la Loi orale révélée à Moïse. Les grands maîtres sont juifs. Les spéculations exégétiques portent sur l’Ancien Testament. La cosmogonie est celle de la Genèse. La kabbale chrétienne, quant à elle, s’intéresse d’avantage aux procédés généraux qu’à l’élaboration d’une véritable science de l’être destinée à être vécue.

La Kabbale est une manière de regarder le monde, de se regarder voir le monde. Cette « manière » est originale parce qu’elle associe l’attente d’une révélation fulgurante (la voie mystique, ou intuitive) à l’étude patiente (la voie rationnelle). Autrement dit, le kabbaliste cultive l’art de comparer et de rendre compte de ses observations tout en intériorisant l’expérience de l’Unité retrouvée.

Le kabbaliste fait travailler en même temps les deux hémisphères de son cerveau. Ses exercices ont pour effet d’établir des connexions entre la raison, l’intuition et l’imagination. Sa démarche est à la fois intellectuelle et spirituelle (Daniel Bérezniak, <archipress.org/?page_id=352>)..

Le mot kabbale, qabalah (קַבָּלָה) est d’origine hébraïque. Il est dérivé du verbe construit sur Q-B-L qui signifie recevoir, accueillir, transmettre (la lettre Qof ק, qui descend vers le bas, symbolise les profondeurs du moi ; le Beith ב est la maison qui désigne l’être ; le  Laméd  ל  montre, par sa forme, ce qui s’élève mais aussi ce qui descend par le  Limoud, l’étude, la lettre Hé  ה représente le Souffle qui donne la vie. Ce que l’on reçoit, c’est la Sagesse d’En Haut. La kabbale constitue dans l’histoire du judaïsme le courant profond et secret qui complète l’initiation biblique et talmudique.

Les kabbalistes admettent généralement que la sagesse fut révélée à Moïse sur le mont Sinaï, en marge de la Loi écrite, le Pentateuque (Torah).

Chez les Juifs, comme chez les égyptiens, la kabbale faisait partie de ce que toutes les Universités métropolitaines appelaient la Sagesse, c’est-à-dire la synthèse des sciences et des arts ramenés à leur principe commun. Ce principe était la Parole ou le Verbe.

La kabbale développe des concepts théogoniques et cosmogoniques basés sur les 32 chemins de la sagesse (le cœur, en hébreu לב, a pour valeur 32) à savoir : les 22 lettres de l’alphabet kabbalistique associer aux 10 Séphiroth (Voir un article suivant, Les Séphiroth, chemin du divin). 

Née à Alexandrie dans un milieu lévitique hellénisant (par exemple avec Philon d’Alexandrie), elle est restée fidèle au monisme originel, arguant que le Divin et l’humain, le monde céleste et le monde terrestre, etc … n’étaient que deux manifestations de la même Unité impersonnelle nommée Eïn-Sof : le «Sans-Limite » (apeiron, en grec) dont YHWH n’était qu’un des Élohim, une des Puissances, celle du Pacte et de la Loi (Marc Halévy, Kabbale et Franc-maçonnerie, p. 26, coédition Académie maçonnique de Provence et éd. Ubik, 2021).

La kabbale remonte à l’origine gnostique de Dieu et des choses : c’est la science de l’Être par excellence. En désignant l’ésotérisme juif, elle va au-delà du Texte, elle cherche la symbolique de tous les éléments bibliques, ainsi que des mots et des lettres, dans leur rapport avec Dieu. Elle prend en charge des questions qu’on peut dire de type philosophique. Ainsi à propos – propos central en l’occurrence – de Dieu, du néant et de la création. L’arrière-fond thématique est ici néo-platonicien : une série d’émanations dérivées, à partir de l’Un, intermédiaires entre Dieu et le néant, et où se tient le monde. La kabbale reprend et approfondit cette donne, en dépassant le dualisme Être et Néant pour considérer en Dieu tout ce qui tient le monde (les dix sefiroth) ainsi que le néant lui-même. Ce qui conduit à faire du néant autre chose que du simple non-être et, partant, à lui attribuer une consistance ou une qualité ontologique (Pierre Gisel,Gershom Scholem, d’une redécouverte de la kabbale et de ses enjeux : <journals.openedition.org/theoremes/150?lang=en>).

Cette science est basée sur la parole. Le mot «qabalah» a commencé par désigner dans le Talmud, les livres bibliques des Prophètes et des Hagiographes, et à partir du cinquième siècle, toute la loi orale, puis à partir du Moyen Âge et surtout après la sortie du Zohar, toute la Tradition ésotérique de la Bible. On peut lui retrouver ainsi trois grandes orientations : la kabbala ‘iyounith contemplative, extatique et méditative, aujourd’hui encore théologique, spéculative et philosophique ; la kabbala ma’assith cherchant des transformations par des incantations des Noms divins qui sont rattachés aux Séphiroth ; la kabbala névouith prophétique par la technique du tsérouf (art de la permutation des lettres pour révéler d’autres sens cachés d’un mot ou d’une locution jusque dans leur essence pour y dissoudre l’énergie qui y est contenue).

Ce qui est nommé acquiert existence. En hébreu, parole se dit davar, ce qui signifie chose, parole, affaire ou ordre. C’est pourquoi, la chose n’a d’existence que si elle porte un nom. Par conséquent, la connaissance du nom implique la connaissance de la chose elle-même ; connaître les noms de Dieu reviendrait à connaître Dieu lui-même.

La Kabbalah  est le 4ème niveau de lecture de la Torah, du PARDES (voir l’article suivant, Un paradis à  chercher),  ce mot qui veut littéralement dire «réception», désigne la transmission orale du Maitre à élève des secrets de la Torah.

Mais, dans cette Transmission traditionnelle, jusque-là réservée uniquement aux initiés, un «Mystère sans nom» a été véhiculé de génération en génération ; «chaque lettre hébraïque est aussi un Nombre et à partir du Nombre,  se fait le calcul de l’énergie perpétuellement et infiniment  créatrice ; cette règle millénaire,  est la 29ème  des 32 règles de la Loi orale  donnée à Moïse sur le Mont Sinaï. Cependant, au cours du partage de La Connaissance, nos Sages décidèrent de nommer le « Mystère sans nom », ils utiliseront un «terme grec», car la Grèce est le symbole de l’exil du Peuple juif, l’exil de la Pensée véritable. Le terme qui sera choisi sera la «Gramma-Métria», la «mesure des lettres», il deviendra la «guématria», «guématrioth» (גימטריאות) au pluriel.

La kabbale se différencie de la métaphysique par le fait qu’elle ne se préoccupe pas de savoir si la chose existe. Il suffit que la chose soit. Le kabbaliste ne cherche pas la vérité, il participe à la vérité par ses actes. La kabbale est donc une démarche de vie et un mode de vie spirituelle ; comme le dit Guénon, «elle est une exaltation spirituelle qui imprègne l’être».

La kabbale offre la particularité d’opérer sur des nombres. Elle est d’abord une tentative d’interprétation et d’approfondissement de la Torah (Le Pentateuque) considérée comme inspirée et dictée par Dieu et porteuse, par-delà son sens littéral, d’un sens profond caché et codé à l’aide des 22 lettres de l’alphabet hébraïque. Le Livre peut être déchiffré par la triple méthode des équivalences numériques (Guématrie, voir un article suivant, La Guématrie, une mystique des nombres), des interpositions dans les acrostiches (Notarikon) et des permutations de lettres (Thémoura, Tsérouf). Les lettres, qui sont des acrostiches, y sont considérées comme gonflées de significations qui attendent l’interprétation (l’ex-plication), les mots sont en attente du révèlement de leur infini et le Livre est une promesse de livre à venir. Papus dit de la kabbale qu’elle est : «les mathématiques de la pensée humaine. C’est l’algèbre de la foi. Elle résout tous les problèmes de l’àme comme des équations, en dégageant les inconnues». Il rajoute : la kabbale apporte paix profonde par la tranquillité de l’esprit et la paix du cœur.»

Beaucoup de philosophes et mathématiciens grecs seront séduits par les révélations dévoilées par le Calcul sacré. Certains mêmes iront jusqu’à se convertir ; citons parmi eux Pythagore dont le nom est la réduction de l’expression «Pitouï Chel Guer» (פיטוי של גר), “la séduction du converti”. 

Le kabbaliste décrypte des textes sacrés composés de mots ; l’hébreu offre la particularité que chaque lettre a une valeur numérique, ce qui permet d’établir des ponts de significations pour les mots ayant même valeur numérique. Ainsi, la kabbale opère, à partir du sens ontologique des nombres, pour retrouver derrière le mot l’image la plus adéquate de la vérité qu’il recèle. La kabbale est d’abord une dynamique de l’interrogation, une quête du sens qui, jamais, ne s’enferme dans la certitude du dit, de la réponse et, toujours, s’échappe vers l’horizon de la pensée en chemin, à l’image même du peuple voyageur qui s’en est fait le messager (le mot «hébreux», selon son origine ivri עברי, peut se traduire par «ceux qui passent»).

Pour les cabalistes, les 22 lettres de l’alphabet hébreu sont les instruments de la Création. En effet, d’après la Tradition, les lettres sont des éléments constitutifs des vibrations de l’univers.

La kabbale est un des grands chemins de la Connaissance. Le Midrash Kabbalistique (l’interprétation ésotérique), transcende par sa réflexion le récit biblique, son seul et unique objectif reste l’amélioration de l’être.

Il existe d’autres formes de la Kabbale : Une Kabbale, sur base d’Isaïe et de Daniel, par Isaac Louria: c’est la Kabbale messianique ou eschatologique qui veut décrypter dans le message biblique, le moment et les circonstances de la fin des temps de souffrances, une fois que les temps messianiques  auront repris le monde en main.

Une autre Kabbale est celle d’Abraham Aboulafia, Kabbale yoguique qui pratique la récitation de  mantras  bibliques, des exercices de respiration en prononçant ou en épelant des versets ou des mots, des travaux de posture du corps, et surtout des pratiques de méditation sur les lettres hébraïques ou sur des textes au moyen de techniques appelées, génériquement, le Tsérouf.

C’est à partir du XVIIIe siècle qu’apparaissent les mots hébreux dans la Tradition maçonnique avec Fabre d’Olivet, ouvrant la voie ésotérique de la kabbale aux francs-maçons (Marc Halevy). Pour Mackey, la kabbale est intimement liée à la science symbolique de la Franc-maçonnerie, elle peut être définie comme un système de philosophie qui englobe certaines interprétations mystiques de l’Écriture et des êtres métaphysiques et spirituels.

La kabbale est l’alchimie du langage. Les mots sont substance, en déchiffrant les combinaisons des lettres de l’alphabet comme on étudie le lien chimique entre les substances, la kabbale permet de remonter jusqu’au verbe initial, celui qui est à l’origine du monde (le logos).

Baruch Spinoza tenait les kabbalistes pour des gens qui disent des billevesées et se déclara confondu par leur démence ! «Je déclare que la folie de ces charlatans passe tout ce qu’on peut dire», Traité Théologico-Politique, Chap. 9 : <fr.m.wikisource.org/wiki/Traité_théologico-politique/Chapitre_9>.

Pour Déconfiner la kabbale voir les quatre entretiens avec Marc Halévy dont voici le premier: 

La suite demain à la même heure. La kabbale, II-Un paradis à  chercher

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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