Clément d’Alexandrie rapporte dans ses Stromates une pensée d’Héraclite : « Sans l’espérance, vous ne trouverez pas l’inespéré. » Magnifique ! Mais il précise aussitôt que l’inespéré est « introuvable et inaccessible ». Dans ces conditions on est fondé à se demander si ça vaut bien la peine de le chercher. Car, tout bien considéré, qu’est-ce qu’il ajoute, l’inespéré ? Du sel à la vie – ou du piment, ça dépend des goûts – bref, des assaisonnements… Peu de chose, en somme, s’il n’y a pas de ragoût dessous !
En revanche, une autre traduction donne :
« Si tu n’attends pas l’inattendu, tu ne le trouveras pas ». Et elle ajoute : « … car il est pénible et difficile à trouver. »
Voilà qui change tout ! Et en tout cas qui m’a changé moi, car, séance tenante, je suis allé attendre l’inattendu et, puisqu’il fallait le trouver, j’y suis allé en furetant.
N’imaginez pas que je vais vous raconter une histoire qu’on peut faire durer à l’infini, comme le conte, chinois peut-être, de celui qui était parti à la recherche de la Vérité et qui, après bien des péripéties, la trouve blottie au fond d’une grotte, vieille, décharnée, avec des vêtements en lambeaux et d’une laideur repoussante. Elle supplie alors son découvreur d’aller proclamer partout qu’elle est jeune et belle. Piètre image de la Vérité, en vérité…
Mais je me suis dit, comme vous sans doute, que l’inattendu, eh bien il était là, dans la rencontre de cette fameuse grotte, et que c’était peut-être le fils, ou le père, ou en tout cas qu’il était de la famille de la Vérité. Toutefois, à y regarder de près, ce n’était guère plausible, car il y a énormément de gens qui détiennent la vérité, alors que personne ne maîtrise l’inattendu.
Il fallait donc trouver une autre piste… Elle m’a été fournie par L’histoire des Francs, œuvre monumentale que Grégoire de Tours rédigea jusqu’à la mort, en 594. C’est dans le livre II que l’on trouve le fameux récit du vase de Soissons, brisé par un soldat « léger, envieux et impulsif » (levis, invidus ac facilis). De quel objet s’agissait-il précisément ? L’auteur parle de « urceus », qui peut être aussi bien un ciboire qu’une coupe ou tout simplement une cruche.
Mais ce que ne dit pas le chroniqueur, c’est en quelle matière il était fait, ni que l’évêque Rémi, auquel il appartenait, y avait enserré la beauté. C’est pourquoi il y tenait tant. Des recherches récentes ont permis de résoudre cette énigme historique. On sait à présent que sous le coup de hache du soldat impie, la beauté s’échappa et qu’elle cherche, depuis, où se fixer. On a même appris, il y a quelques dizaines d’années, que l’Art contemporain l’avait réduite à la mendicité et qu’elle disputait aux Roms les bons emplacements.
Mais c’est grâce aux progrès de la science moderne, avec la découverte du carbone 1414bis qui permet de reconstituer les objets perdus, qu’on a pu prouver que le vase était une reproduction en miniature de la mer d’airain du Temple de Salomon, une superbe coupe, ronde pour ses deux cinquièmes supérieurs et carrée pour ses trois cinquièmes inférieurs. L’analyse a montré que lorsqu’il l’avait fabriquée, l’orfèvre, un Alain établi à Cougnes ou Coigne ou Cognes, (patronyme qui, par un transfert sémantique, est resté dans les commissariats), village situé sur un promontoire de la côte d’Aunis, au-dessus de l’actuelle La Rochelle, l’orfèvre, donc, y avait fondu l’imprévu qui avait donné au vase ses boursouflures et sa couleur changeante.
Quand il fut brisé, l’imprévu fut, malheureusement, dispersé et, depuis, il est obligé de s’adapter aux circonstances.
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