En l’an 526 se présente à la résidence de Leung Wudi, Empereur de Chine, résidant à Luoyang dans la Province du Henan, un curieux personnage qui demande audience. Il présente une lettre d’accréditation attestant qu’il est le fils du roi de Sughanga, royaume situé dans le sud de l’Inde qui est, depuis, devenu le Kérala.
Ce roi est considéré comme le vingt-septième descendant du Bouddha et, par conséquence Bodhidharma, ce qui signifie « L’Illuminé », est donc le « Vingt-huitième Patriarche ». L’empereur décide donc de le recevoir. Dans la compréhension ésotérique chinoise vingt-sept (2+7 =9) représente la toute puissance céleste, l’apogée de la grandeur. Mais vingt-huit (2+8= 10 =1) représente le « retour à l’Unité ».
Bodhidharma s’est donc donné comme mission de convaincre l’empereur de Chine de retrouver cette Unité. L’entrevue est quelque peu orageuse car Bodhidharma explique que l’authentique bouddhisme consiste à s’asseoir et à méditer. Et non à gesticuler dans tous les sens en brandissant des oriflammes et en jouant de la flute et du tambour. L’empereur lui rétorque qu’il a permis de fonder une soixantaine de temples et fait reproduire des textes sacrés. Bodhidharma lui rétorque que ce ne sont là que des spéculations foncières et matérielles puisque ces temples ont été construits dans des montagnes où il n’y avait auparavant que des singes et des tigres et que chaque pèlerin reverse une obole qui enrichit les caisses de l’Empire et qu’il en est de même pour les images sacrées qui sont également taxées. Cela peut aider à améliorer le Karma mais c’est sans aucun mérite. Bodhidharma ajoute qu’il n’y a pas de noble vérité autre que le vide.
L’Empereur se fâche pour de bon et demande
« Mais qui es-tu pour affirmer cela ? »
A quoi Bodhidharma répond
« Je ne le sais pas moi-même ! ».
L’Empereur le fait jeter dehors et Bodhidharma n’a la vie sauve que grâce à son statut royal. Furieux de son échec il se réfugie au Temple de Shaolin, le « Monastère de la Petite Forêt » situé non loin de Luoyang sur le Mont Song. Ce monastère existait déjà sous une forme primitive au premier siècle de notre ère car il avait été fondé par le moine Baotuo considéré comme la « Premier Ancêtre ». C’est lui, en effet, qui fit connaître le Bouddhisme Dhyana qui deviendra en Chine le Chan’na, en Corée le Son’na et au Japon le Zen’na. Qui deviendront le Dyan, le Chan (ou Tchan), le Sôn et le Zen. Pas grand-chose à voir avec le désormais fameus « J’suis Zen ! ».
Quoi qu’il en soit la légende dorée affirme qu’il s’agenouilla (ou s’assit suivant les versions !) face à un mur et qu’il médita neuf années. Et qu’il atteint l’Illumination. Il décida de partager et de transmettre son expérience aux moines. Mais eut déjà quelques peines à se relever. Il s’adossa donc à la muraille et se souvint d’une forme particulière de « gymnastique » (ce qui en grec ancien signifie « se mettre nu » donc « se dépouiller d’artifices ») que lui avait transmis son père et qui appartenait à la Caste des Rois Guerriers et des Chevaliers, les Kshatriyas.
Par la suite cette forme particulière, qui se transmet toujours sous différentes formes, se nomma «Yi Jin Jing Xi Sui Jing » ou « Eiki Kinkyo » en japonais. Soit « Nettoyage Muscles Tendons Purification Moelles Quintessence ». Avec souvent une magnifique erreur de traduction de l’anglais vers le français où « Sinews » ne représente pas les « sinus » mais la « quintessence – Cinquième Essence – qui est liée à tout ce qui peut modifier le comportement humain donc tout le système hormonal lié aux « glandes » que sont la thyroïde, les surrénales, la pituitaire, les gonades le système endocrinien sympathique, para sympathique et orthosympathique.
Mais dans sa vision chinoise ! Le travail sur « La » moelle (les moelles cérébrales, vertébrales et osseuses dans notre vision des choses) permet, affirme-t-on la « régénération du sang ». Donc une pratique qui dépasse, et de loin, la simple gymnastique de bien-être. Une fois remis en marche, Bodhidharma décide d’initier les moines à la méditation assise (Zuo Chan). Il constate qu’ils sont dans l’impossibilité de demeurer immobiles et silencieux. Il décide donc de leur faire pratiquer le fameux « Yi Jin Jing Xi Sui Jing » qui devient, de par le fait, de la méditation debout ou active (Zhan Chan). Il retrouve les principes essentiels transmis en Inde où il existe la « méditation » (Dhyana) et la « méditation assise » (ou en posture) (Dhyana Asana). Depuis, normalement, l’une ne va pas sans l’autre. La forme « active » consistant, dans un temple, à s’occuper de celui-ci, de cultiver le jardin, d’aller puiser de l’eau à la source, de polir les parquets de bois, à préparer les repas etc. Tout cela étant fait on peut alors passer à la phase « passive » ou « assise ». Inutile de dire qu’actuellement on a plutôt tendance à garer la voiture, à prendre l’ascenseur et à utiliser les services de techniciens de surface et d’un traiteur. On s’assoit et basta.
Au Japon on retrouve le même principe entre Ritsu Zen (la forme debout ou active allant jusqu’au Tir à L’arc – Le Zen dans l’Art Chevaleresque du Tir à l’Arc de Eugen Herrigel… Le Yiquan est l’une de ces formes du Ritsu Zen. J’en sait quelque chose puisque j’ai été DTN de la FFRZ Fédération Française de Ritsu Zen dans les années 70) et Zazen où l’on s’assoit pour méditer. Les deux n’étant surtout pas incompatibles ni irréconciliables.
Bodhidharma sa tâche enfin accomplie dans la transmission décida de continuer son périple et disparut dans la nature. Et les moines continuèrent à pratiquer debout et assis.
Et l’Art Martial dans tout cela ?
Là cela se complique un peu car, bien qu’issue d’une caste guerrière, la forme transmise par Bodhidharma ne consistait pas à casser des briques, des planches ou des pains de glace, à faire le grand écart latéral ou à se produire dans une cage pour tenter de gagner une ceinture dorée et un titre ronflant. Mais l’imagination chinoise n’ayant pas de limite et la réputation du « Premier Monastère sous le Ciel », donc de Shaolin Shi, étant grande grâce à Bodhidharma, alias Putitamo, alias Tamo, alias Damo (au Japon !), les autorités ecclésiastiques décidèrent de créer une « franchise » et, ainsi, de permettre à plusieurs autres monastères de se nommer Shaolin en toute légalité.
En Chine notamment le Shaolin (Siu Lim) du Julianshan dans le Fujian, juste en face de Taiwan. Au Vietnam le Thieu Lam dans le nord du pays, en Malaisie avec le Saolim de Penang du Révérent Sik Ko Sum et même au Japon avec le Shorinji Kempo (en chinois Shaolin Quanfa) du Maître Doshin So sur l’Ile de Shikoku à Tadotsu. C’est d’ailleurs ce dernier qui remettra aux autorités chinoises une très importante somme qui servit à restaurer le Temple du Henan. Décédé d’un infarctus lors d’un entraînement, c’est sa fille, Sôku, qui apportera le magot en 1981. A cette occasion la première démonstration fut effectuée devant le Temple par des Japonais en costume d’époque devant une foule chinoise et hilare. Il faut simplement dire que le fameux temple était en très mauvais état puisque lourdement dégradé par les Gardes Rouges puis abandonné.
Avant Doshin So c’est, paradoxalement Richard Nixon qui lors de sa visite en Chine en 1972 mettra le doigt sur l’abcès en demandant à visiter le Temple puisqu’il passait à Luoyang. Son conseiller spécial Robert Smith, l’un des meilleurs spécialistes mondiaux dans les Arts du Poing Chinois lui glissa à l’oreille cette requête : visiter le berceau des Arts Martiaux Chinois était pour lui un rêve d’enfance. Nixon en fit donc la demande aux autorités chinoises quelque peu gênées. Il y avait des tas d’autres temples à visiter donc le fameux Monastère du Cheval Blanc (Ba Mai Si) dans la région. Nixon insista et on dut faire venir un régiment chinois pour dégager la route et pour ouvrir, de force, les grandes portes du Temple. Le spectacle fut terrible car tout était sans dessus-dessous et couvert d’inscriptions dignes des toilettes d’une gare. La honte totale pour les autorités qui promirent de restaurer le site. Ce qui fut fait en partie avec l’argent des Japonais !
Et Shaolin rentra de plein pied dans les grands projets touristiques. Les deux vieux moines qui résidaient encore dans un ermitage de la montagne, Shi Deshan et Shi Dehu, pas trop représentatifs, furent rapatriés et on les remplaça par des militaires et des acteurs plus ou moins connus et dument rasés et tatoués. On recréa à peu près de toutes pièces une pratique assez chorégraphiée mais réalisée par des professionnels de la voltige aérienne n’ayant pas grand-chose à voir avec les « anciens styles ». Mais qui plait bien aux touristes venus de Chine et du monde entier. Et on arriva assez rapidement à un magnifique « Kung-fu Land » avec hôtels, salons de massages et cours collectifs et particuliers.
Et les Arts Martiaux dans tout cela ?
Ils proviennent en réalité, mais ne le répétez pas surtout aux Chinois, du Monastère de Julianshan dans le Fujian (Fukien) qui utilisa, pour des raisons de protection et d’auto défense, des paysans costauds, l’équivalent de nos moines « portiers » ou « convert » (rien à voir avec la couleur !) qui constituèrent une milice à l’origine entraînée par cinq moines compétents dans l’Art du Poing (et du pied, et du gourdin…), lesquels se nommaient Hung, Mo, Li, Liu, Chow. Le Temple rentra en rébellion contre les Qing, donc les Mandchous, lors que leur prise du pouvoir avec le mot d’ordre « Fan Ming Fu Qing » soit « Restaurons les Ming, Chassons les Qing ». Ce qui déplut en haut lieu. Une armée impériale détruisit le temple, dont il ne reste que quelques ruines et les Cinq Moines s’échappèrent fondant à la fois des Ecoles de Kung-Fu Wushu et des sociétés secrètes. Les deux étant parfois liées jusqu’assez récemment.
Le Patriarche de l’Ecole Hung Gar (Shaolin du Sud) Yuen Yik Kai (Yuan Cixi – 1909 1984) fut placé en résidence surveillé par les autorités britanniques de Hong Kong qui étaient persuadées qu’il était un personnage important des fameuses « Triades » qui en chinois se nomment Hung ou Hong. Un peu comme si on suspectait un boulanger de fabriquer du pain avec de la farine. A partir de là de nombreuses légendes virent le jour avec des souterrains, le fameux « chemin de Shaolin » semé d’embuches, des rites d’initiation, des chaudrons de bronze qu’il fallait saisir et qui laissaient sur les avants bras un « tatouage » d’un tigre et d’un dragon et des tas de fadaises romantiques à la chinoise. Une certaine réalité mais lourdement agrémentée pour plaire aux touristes et aux adolescents boutonneux. Ce que je fus, d’ailleurs.
Rien que le terme Arts Martiaux, avec ou sans majuscule, nous est débarqué des USA où le « Martial Art » et le « Martial Artist » font florès. Mais finalement Mars à Rome, Arès, chez les Anciens Grecs, n’est qu’un psychopathe égorgeur en jupette de cuir. Et si on s’en réfère à l’Iliade, un sacré looser qui est toujours du côté du plus fort qui va se prendre une trempe, pour être poli. Pas le meilleur exemple qui soit pour notre jeunesse. Il y a la Musique, la musique militaire et, encore, la musique martiale. Pour la seconde on peut apprécier en rentrant tard le soir, seul, en voiture pour rester éveillé. Pour la troisième le spécimen le plus représentatif est « L’entrée des gladiateurs » (op 68) par le compositeur tchèque Julius Ernest Wilhelm Fucik.
De la joie et de la bonne humeur mais évoquant quand même un peu le cirque et les clowns. Ne méprisons pas ces derniers qui dépendent, quand même, du ministère de la Culture alors que les arts martiaux dépendent du ministère des Sports, où l’un de ses divers avatars. Rien à voir avec Zavatta. C’est pourquoi, par principe et par raison, je préfère utiliser le terme Chevaleresque. Arts Chevaleresques c’est suranné mais c’est « autre chose ». Et j’évite même « Chinois ». Plus on en rajoute plus on affaiblit le propos. Ce qui serait dommage.