ven 22 novembre 2024 - 19:11

Le jeu de la mort du JE

Le Parricide contrairement au fratricide fait la place à la disparition d’une hiérarchie surplombante. En tuant Hiram, les mauvais compagnons tuent-ils un frère, une autorité ou une sous-représentation du divin?

Une fois la question posée que faire de notre violence ?

Le problème de base à éclaircir est que nous sommes tous plus ou moins violents. Oui, plus ou moins, selon les circonstances. Bien évidemment, nous sommes tous des êtres civilisés et bien-pensants et bienveillants. Le seul et unique point faible de toutes les argumentations est que personne n’est prêt à admettre sa propre violence. Notre culture nous persuade que cette fameuse énergie destructrice est le résultat d’une frustration ou d’une violence extérieure. La psychanalyse nous donne une formule simple ; la violence subie induit l’agression. Cependant, Henri Laborit émet l’hypothèse que la violence subie par un individu s’accompagne de perturbations biologiques qui vont, en réponse, modifier son comportement jusqu’à se déchaîner en violence. Ne devrait-elle pas lui donner quelques excuses ? Ce message très sain est paradoxalement voilé par les messages moraux de l’époptie de la cérémonie de réception au grade de maître qui refusent de reconnaître que la violence est inhérente aussi à la vie. Le maître n’est-il présenté comme quelqu’un pour qui vertus et perte d’ego font plus que force ni que «rat-je»?

D’ailleurs, une autre équation simple nous dit : «Sans agression pas de vie possible. Il faut tuer pour survivre, pour manger, etc. !» Cela nous le savions depuis longtemps, et il faut se rendre compte que le simple fait de naître est un acte violent pour la mère et surtout pour l’enfant. Son cri primordial est-il, dans son passage de l’eau à l’air, l’effroi de sa mort annoncée ? Par la suite, la reconnaissance de son agressivité va-t-elle lui permettre de trancher les questions de bien ou de mal – et de sa culpabilité en corollaire –  de tolérer des tensions  et de pouvoir «tuer» ce poids de soi-même ? C’est par le jeu cathartique qu’il va reconnaître son plaisir à manipuler son  agressivité pour la dominer nous disent les «psy». “Quand on n’a pas joué à faire des accidents avec des petites voitures, ou avec des figurines de pompiers qui viennent éteindre le feu en faisant “pin-pon”, on ne sait jouer qu’en vrai“, nous dit le pédopsychiatre Maurice Berger.

Jacqueline de Romilly a mis en évidence la fonction psychologique et sociale de la tragédie grecque qui permettait d’extérioriser la violence via un phénomène d’identification du spectateur à l’acteur-personnage et de l’évacuer ainsi hors des murs de la cité. Le rituel maçonnique accomplit une purification assez semblable grâce au spectacle visuel qu’il livre. La violence est théâtralement mise en scène, particulièrement lors du psychodrame de la cérémonie et du rituel de réception au grade de Maître. N’offre-t-il pas ainsi le cadre et tous les processus du jeu de rôle nécessaires au développement psychique et à son harmonisation entre ténèbres et lumières ? Outre l’issue fatale, on lit dans le Rituel du 3ème degré du Marquis de Gages  : «faites-moi parvenir ce malheureux Compagnon jusque au pied du trône de la vérité et de la justice par la marche des Maîtres… Lors, on applique un grand coup de rouleau de carton ou papier sur l’épaule gauche du récipiendaire puis on le fait partir du pied gauche du Midi pour aller à l’Orient par le Nord ; il reçoit un pareil coup sur l’épaule droite puis il part du Nord pour aller à l’Orient, il reçoit un pareil coup sur la tête à l’Orient[1].»  De nos jours, heureusement, le rituel du RER se montre plus doux, l’épreuve est devenue plus allégorique : on placera sur le tapis à l’Occident, au Midi et au Nord, trois rouleaux de papier ou de carton avec lesquels le candidat sera frappé légèrement sur le dos, lorsqu’il fera les trois pas de Maître, par les Frères qui en auront reçu l’ordre du Vénérable Maitre[2].

Si la cérémonie enlève sa plénitude matérielle à l’assassiné, elle lui ouvre cependant les portes du plus grand des mystères : la mise en perspective de la vie et de la mort. Les jeux de rôle font comprendre, entre autre, qu’il y a un travail à faire sur la peur en soi de cette violence absolue. “La mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne” [3].

Le travail maçonnique  n’est-il pas d’apprendre à mourir en transmutant cette peur de la mort en bonheur du présent comme un présent de la vie ?

Yehia Benchetrit maîtriser ses peurs :

Illustration : Weight of oneself,sculpture de Mikael Elmgreen et Ingar Dragset, face au Palais de Justice 24 colonnes de Lyon


[1] Voir la gravure  :  gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8409986g.item

[2] Rituel du grade de Maître au RéR, rédigé au Convent de 1782, complété par J.-B. Willermoz en 1802 : gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100906786/f8.item.r=FM4-532

[3]John Donne, Devotions Upon Emergent Occasions Meditation XVIINow this bell tolling softly for another, says to me, Thou must die (1624). Au paragraphe : No man is an island, … (Aucun homme n’est une île) : <luminarium.org/sevenlit/donne/meditation17.php>

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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