Dans les romans de chevalerie du XIIième siècle, une solide renommée tient à l’accomplissement d’un chemin conduit par la vaillance, qui confronte l’ambition du héros à la réalité. Tel, à la Table du Roi Arthur, l’engagement du jeune Perceval, ce preux chevalier qui attire encore des émules friands de victoires !
Perceval a participé à la Quête du Graal ! Voilà qui n’est pas peu dire s’agissant d’une quête visant un objet mythique ! Elle constitue une aventure fabuleuse autant que périlleuse, car il s’agit à la fois de guérir le Roi pêcheur qui a reçu des blessures autant corporelles que spirituelles figurées par la terre « gaste », la terre désolée, mais aussi de l’aider à protéger les faibles et les infortunés. Ainsi le salut de l’Un et le salut de l’Autre sont-ils indissolublement liés…
D’abord valet, Perceval est présenté comme le fils de la Veuve : celle-ci a peu de fortune, une terre misérable, mais une âme maternelle au point de vouloir mettre son fils en dehors des chemins trop dangereux de la chevalerie qu’elle diabolise. C’est pourtant dans l’épaisseur de la forêt que l’innocent Perceval, rencontre ceux qui vont déterminer son destin, éveiller sa conscience et sa lucidité. Leurs armures de couleurs vert vermeil, or, azur et argent, le port altier des cinq chevaliers qu’il y rencontre, l’impressionnent au plus haut point. Dès lors sa décision est prise : il ira à la cour d’Arthur pour y être fait chevalier !
Il en informe sa pauvre mère… Impuissante à le retenir plus de trois jours – le temps nocturne d’une mutation cyclique – elle lui donne quelques conseils comme : « n’attendez pas trop longtemps pour demander son nom à votre compagnon (ou interlocuteur) car c’est par le nom que l’on connaît l’homme ». De telles paroles disent de toute éternité la force accordée à l’énonciation du nom et du statut : elles sont les éléments incontournables pour faire société. Elles vous distinguent des anonymes en vous différenciant de ceux déjà pris par des charges de famille et autres obligations ! Ainsi de Perceval, jeune garçon, orphelin de père, charitable envers sa mère, et profondément animé par le désir d’être l’obligé du monde ! Le sens de la serviabilité envisagée sans réserve jusqu’au sacrifice !
Perceval, une fois fait chevalier par Arthur, se met en route pour l’exécution de ses devoirs. Dans la forêt, il rencontre près d’un château magnifique un homme distingué vêtu d’une blanche robe d’hermine sur le haut même de son pont d’entrée, au-dessus de l’eau d’enceinte.
Et ils entament ce dialogue :
- D’où viens-tu ? – dit l’homme habillé de blanc (rappelons que cette couleur est le symbole de la connaissance et de la sagesse et la couleur portée par ceux qui sont en proximité avec le sacré).
- Je viens de la cour du roi Arthur.
- Qu’y as-tu fait ?
- Le roi m’a fait chevalier.
- Qui t’a donné ces armes ?
- Le roi me les a données.
- Comment ?
Alors le jeune homme raconte son histoire, l’événement en particulier et ses attentes en général.
L’homme, le maître Gornemant de Goort puisque tel est son nom, insiste :
- Que sais-tu faire avec un cheval ? Avec ton armure ? Qu’es-tu venu chercher ici ?…
Et l’impétueux jeune homme de préciser en toute sincérité :
- Je sais le faire courir dans toutes les directions comme je le faisais, quand j’allais à la chasse… je sais revêtir et enlever mon armure… ma mère m’a enseigné d’aller trouver les hommes de valeur, de chercher leurs conseils et de suivre leurs avis…
Favorablement jaugé par l’homme sage, le statut du jeune Perceval se trouve modifié. Son caractère franc et courtois le fait bénéficier du rapport fécond de maître à élève pour progresser sur les voies de la bravoure, mais aussi sur celles de la maîtrise des passions et du geste. Le preux chevalier est en effet digne d’apprendre comment user avec science et excellence des pouvoirs super puissants que le Maître va lui transmettre !
Ainsi, Maître Gornemant de Goort lui offre-t-il’hospitalité, lui apprend à tenir sa lance, son écu, les rênes de son cheval, à se battre et à respecter des règles qui distinguent les chevaliers des vulgaires combattants à pied. Le jeune homme se pénètre d’une véritable discipline morale associée à un art martial exigeant : sa mission n’est elle pas d’aller dans des zones dangereuses, pour servir le Grand Roi Arthur ? Suppléer celui-ci,puisqu’il est le seul garant de la sécurité de ses sujets, tout en dominant ce mal pernicieux qui fragilise l’exercice de la royauté ! Voila pourquoi Perceval est il doublement contraint, doublement « obligé» puisque solidaire !
Dans ses écrits, l’épisode de l’enseignement de Perceval par l’homme en blanc fut enrichi par Chrétien de Troyes de quelques maximes expérimentées comme : « l’effort, le Cœur et de bons yeux sont indispensables pour tout savoir », ou encore « lorsque c’est Nature qui enseigne et quand le cœur y met toute son application, l’apprentissage n’est pas difficile. » Chaque journée de cet enseignement de qualité s’achève par un repas partagé entre l’Ancien aguerri et l’Apprenti zélé, en signe d’estime et de fraternité. Du côté de Geoffroy de Monmouth, les récits de la Table Ronde mêlent merveilleux, profane, et religieux : servir Arthur garantit une forte notoriété, car il s’agit de l’aider à affronter le dragon du mal. Le champ des devoirs est par ailleurs immense : la Bretagne est une terre d’enchantements à libérer et de nombreux lacs et forêts restent à dégager de l’emprise des forces magiques et mystérieuses…
Bien des nouveaux « chevaliers » ont, depuis cette époque, rejoint, d’une certaine façon, la Table Ronde : Prince Vaillant, véritable Perceval moderne du comic créé par Hal Foster, en est un excellent exemple. Mais un exemple parmi tant d’autres : Luke Skywalker combattant le chevalier noir de l’espace : Dark Vador, et bien des super-héros de comics visitent régulièrement la cour du roi Arthur ! Pour eux, il convient éternellement de : « savoir, aimer, agir », un prestigieux programme qui n’écarte personne : ni les garçons intrépides, ni les filles téméraires ! Aujourd’hui, l’esthétique arthurienne se dévoile dans les mangas, les jeux de rôle, les jeux vidéo, les séries télévisées, la musique. Très récemment, Arthur est devenu Arthas dans la saga Warcraft, et non plus le fils d’Uther Pendagron, le gallois, mais il en est le disciple. Quant à Excalibur, elle est renommée Deuillegivre, la lame qui a le pouvoir d’aspirer les âmes de ceux qui ont été tués par son tranchant !,
De plus en plus nombreux des millions de joueurs et de joueuses parcourent leur univers personnel « virtuellement arthurien » sur Internet et affirment « I like Perceval ! I am Perceval ! »
Geoffroy de Monmouth, Chrétien de Troyes et consorts, dormez tranquilles ! Les légendes pour nos temps modernes ne manquent pas de recrues à former et à reconnaître à, au moins, quatre signes distinctifs : un esprit libre, de l’enthousiasme, de bonnes mœurs (attestées par le voisinage) et une éternelle jeunesse ! Allez, que la démarche initiatique commence !
Sources : Geoffroy de Monmouth ; Perceval ou le conte du Graal, Chrétien de Troyes ; le roi Arthur. Un mythe contemporain, William Blanc,Paris, Libertalia, 2016.