Depuis que je suis un cherchant sans savoir ce que je cherche, tout me surprend. Par exemple, que devient l’âme des arbres lorsqu’on les coupe ? Et quand on les élague, vous y avez réfléchi ? Est-ce qu’on écrête leurs idées pour les rendre terriblement communes, banales. Et l’âme des fleurs, que devient-elle quand on en fait un bouquet, vous croyez que ça leur fait plaisir, vous ? Moi, j’ai de la peine pour la marguerite qui se fait effeuiller. Je ne suis pas surpris que ça finisse par « point du tout ».
L’âme, ça n’est pas rien ! Moi qui suis un cherchant, j’ai rencontré l’âme des morts sans la chercher. L’une d’elles s’est posée sur mon épaule. Comme je ne la connaissais pas, j’attendais qu’elle se présente, c’est la moindre des politesses. Mais non ! Elle m’a simplement dit :
- « Excusez-moi, l’âme des morts a froid, alors on se serre contre les vivants pour se réchauffer. »
Je trouvais que c’était un peu cavalier, mais elle disait ça avec un tel aplomb ! Voyant mon désarroi, elle en profita :
- « Il ne manquerait plus qu’ils ne l’acceptent pas ! Avec tout ce qu’on leur a donné ! ».
Je n’aime pas polémiquer mais tout de même, quelle effronterie ! Perfide, je lui demandai :
- « Pourquoi, vous êtes de ma famille ? »
Je m’en doutais, elle répondit à côté :
- « Vous savez, là-haut on est une grande famille. »
- « Ouais… – fis-je en faisant un geste significatif pour bien lui montrer ce que j’en pensais (mais au fait, est-ce qu’elles voient, les âmes ?) – on sait ce que sont les familles… C’est là que se déclarent les plus belles guerres ! Il y a des guerres entre vous ? Et sinon qu’est-ce que vous faites de votre éternité ? »
C’était sacrément envoyé, non ? Je n’allais pas me laisser impressionner par une freluquette qui s’était perchée comme un perroquet sur mon épaule !
Le coup que je lui avais asséné devait être rude, car je la sentais désemparée et elle mit un certain temps à me répondre. Puis, elle finit par dire à mi-voix, pour n’être pas entendue semble-t-il :
- « Ce que nous faisons… c’est… donner du sens aux actions inutiles. »
J’en restai pantois. Et je crus même avoir mal compris. Utiliser toute sa mort à ça !
- « Quoi, par exemple ? »
- « Eh bien, les imprimés qui ne servent à rien, on en fait des fonctionnaires ; les nouvelles où il n’y a rien à dire, deviennent une émission ; les sondages sans intérêt, on les transforme en opinion générale ; les verdicts indignes sont changés en indépendance de la justice ; les enfants qui n’étudient pas sont métamorphosés en victimes de la société ; et que sais-je encore. C’est un travail écrasant. Moi, en tant que déléguée syndicale, je demande les 35 heures. Ça nous permettrait de recruter. Vous ne voulez pas venir nous aider ? »
Je déclinai fermement mais très doucement l’invitation pour ne pas la froisser. On ne sait jamais…
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