Ce sujet est fondamental en Franc-maçonnerie, tant il prête à confusion. Tout le monde comprend instinctivement le sens différencié de ces deux termes. Pourtant, si je dis : « Je suis Franc-maçon » vous classez naturellement mon affirmation dans la rubrique de l’être ! Or, c’est une erreur. Ma pratique maçonnique ne fait pas partie de mon identité, mais bien de mon appartenance. Il en est de même pour tous les métiers ou les nombreux statuts sociaux, tels que le mariage, la nationalité ou la famille.
Nous disons : « je suis marié » et pourtant, il ne s’agit que d’une appartenance au groupe des gens mariés. Partant de ce postulat, sommes-nous des maçons ? La réponse naturelle sera donc non. Nous avons une pratique qui nous place dans le groupe des personnes qui agissent au sein de la Franc-maçonnerie avec plus ou moins d’efficacité. Cette manière de poser le problème entraîne quelques autres questions complémentaires.
La première est celle de l’Initiation. Sommes-nous donc des Initiés ou alors avons-nous obtenu (avoir) une cérémonie que nous baptisons comme tel ? De toute évidence, la réception en Loge ne transforme en aucune manière notre identité, nous ne sommes donc pas différents dans notre essence après l’initiation.
Ce constat devrait donc nous amener à changer notre langage pour affirmer que : « Nous pratiquons la maçonnerie pour nous initier ». Car « être un initié », est le résultat d’une longue métamorphose qu’on ne rencontre pas très souvent en Loge. Pour prendre un parallèle, on pourrait dire que de nombreuses personnes étudient la philosophie, mais combien peuvent affirmer être philosophe ? Au même titre, de très nombreux maçons possèdent le grade de Maître… mais combien sont dotés de la maitrise ?
Ainsi, « avoir » correspond bien à la jouissance d’une chose ou d’un art alors qu’« être » c’est le résultat d’une transformation ou peut-être transmutation, bien souvent lente, car la nature possède le mystère et le contrôle de ses rythmes.
Pour mieux saisir cette nuance, un exercice pourrait répondre à notre questionnement. Si « être » est le résultat de la modification de notre identité et « avoir » l’ensemble de nos possessions ou appartenance, imaginons-nous quelques secondes avant le départ pour l’Orient Eternel. Nous nous affairons à préparer notre valise. Nous savons qu’elle ne pourra contenir que les fonctions qui résultent de l’être. Aucun objet ou fonction du ressort de l’avoir ne pourra rentrer dans le bagage. Voyons ce que nous pouvons emporter :
- les titres ou la fortune ? Ah non certainement pas.
- Les milliers de livres que nous avons lus et qui ont forgé notre intelligence ? Ah non, pas plus.
En revanche, l’être d’amour que nous aurons su forger et qui aura su aimer ses enfants, ses parents, ses amis… oui, cela nous pourrons l’emporter avec nous ! D’ailleurs, un détail ne trompe pas. Toute richesse que nous laissons ici-bas engendre des conflits chez les héritiers. Tous les notaires savent à quel point le partage des biens matériels en héritage sera compliqué à distribuer et engendre des divisions. En revanche, les bienfaits du cœur, les bonnes actions, l’élévation spirituelle… avez-vous déjà vu des héritiers se chamailler pour en revendiquer la propriété ou le partage ? Les vertus d’un défunt ne font jamais partie du patrimoine familial.
Reparlons maçonnerie, « être » et « avoir » pourraient très certainement être assimilés au premier et au second degré de notre Art. Le fil à plomb du premier degré, sur le sautoir du Second Surveillant symbolise l’intériorité qui conduit à l’ « être ». Ce dernier, une fois bien amarré entre le ciel et la terre peut ensuite aller explorer l’ « avoir » de la matière et des savoirs du second degré matérialisés par le niveau du Premier Surveillant. Continuons notre voyage par la troisième étape, celle de la Maîtrise. Elle doit naturellement nous conduire vers la réconciliation entre ces deux notions d’être et d’avoir qui ne sont séparés que par le résultat faussé de nos passions débordantes ou de nos préjugés.
Il convient donc par le travail de nourrir l’être et de faire prospérer l’avoir, mais surtout de cultiver les deux dans la logique grecque du « Mêdèn ágan » (En latin : Ne quid nimis), qu’on retrouve sur le fronton de Delphes et qui se traduit en langue de Molière par « Rien de Trop ». Tout le monde récite dans les Loges le fameux « Connais-toi toi-même », en oubliant trop souvent la seconde partie du texte avec cette injonction de la sagesse suprême. C’est alors que le fil à plomb peut prendre toute sa dimension initiatique et nous sert alors de boussole pour nous ancrer dans la voie du juste milieu. C’est ainsi qu’en tout temps, nous avons la garantie d’un travail juste et durable dans le monde profane, comme celui du sacré. Comme pour toute chose, la division n’est pas la voie juste du maçon. Chacun le sait, il faut rassembler ce qui est épars. L’idée est généralement acceptée par toutes et tous, c’est dans la pratique que les avis divergent.
Merci.