«Sans transition » est la locution la plus employée par les journalistes de l’information sur les chaines de télévision quand ils passent d’un sujet à un autre, comme si le mot les dispensait de tout préambule circonstancié. Est ce un mot victoire ou un mot défaite ?
Une victoire de rapidité médiatique certes, mais pour nous qui sommes des spectateurs à l’écoute, nous nous sentons à la longue envahis par un sentiment déplaisant généré par l’incohérence d’un débit de paroles minuté entrecoupé par un « sans transition » péremptoire. Difficile même de se prémunir d’un agacement persistant vis à vis de ce terme à la fois répétitif et tellement expéditif !
Transition est un mot d’orateur qui exprime depuis la Renaissance l’art de lier les passages successifs d’un discours, de faire passer celui qui l’écoute (ou qui le lit) d’une idée à une autre de manière progressive et si possible intelligente. Sur les medias, est-ce toujours le cas entre un tsunami au bout de la terre qui fait un nombre de morts terrible et un ravage sur l’environnement effrayant avec le fait divers concernant un mariage princier où on s’interroge sur la couleur du chapeau de la belle mère et sur la position des invités à la cérémonie religieuse et au balcon du palais ?
La disparition complète de la hiérarchie des faits et des commentaires présentés tue les neurones ! Si nous avons de moins en moins de mal à mettre en rapport la sensation pénible d’être transi de froid qui est la racine du mot transition, nous progressons aussi à relier la transition à quelque chose de particulièrement passager, de fugace voire d’inconsistant … Chez les Romains la transitio était pourtant un mouvement qui pouvait être synonyme de changement, d’ascension sociale, une dynamique positive. Aujourd’hui dans le management des entreprises un employeur gagne en image lorsqu’il met en place des « transitions professionnelles » pour conduire des reconversions sur des emplois menacés et ainsi justifier du souci de garder ses employés dans l’entreprise…
C’est au latin chrétien, moyen d’expression d’une morale religieuse sévère que l’on doit la fixation du sens du mot trans-ire. Au Ve siècle ce verbe se met en effet à exprimer le grand passage : celui qui mène de vie à trépas ( : tré-passer : « passer au –delà ») « Transicion » écrit ainsi signifie l’agonie. Quant à Roland Barthes, éminent sémiologue français, il a parlé en reprenant l’ancien sens qui désignait, après les transes de l’agonie, les affres de la peur et des frissons, non pas de transition mais de transissement !
En psychologie, l’analyste anglais Winnicott a nommé transitionnal les objets partiels qu’un usage pédant, en un français non inventif, a qualifiés de transitionnels. Des objets qui aident précisément aux passages d’un état d’âme à un autre : pour les petits : un doudou, une peluche, pour les grands : un verre de whisky (ou juste « un petit café » ?) notamment pour lire des journaux « en ligne » abondants d’ articles si longs…. si longs…. alors que le temps nous presse, ô combien !
Quant à la transition écologique toute aussi exigeante en termes de temps, de substitutions et de bonnes volontés elle nous est promise pour aborder aux rivages d’une société plus sobre et solidaire !
En clair, de transitions en transitions ne s’agirait-il pas de rester bien connecté au monde et de nager, nager, nager dans le courant des informations en évitant de trop se lester pour ne pas couler comme une pierre au fond du fleuve et prendre le risque affligeant d’y être oublié ? ( A moins de se transformer en une de ces pierres de légendes, irisées de vert au contact des algues comme l’étonnante et fabuleuse pierre d’ Agathe : ce serait déjà une bien belle consolation et une sacrée « news » ! )