ven 19 avril 2024 - 18:04

L’arche de Noé

Fluctuat nec mergitur

Une boîte de bois sauva l’humanité et la nature : l’arche de Noé.

Une tablette mésopotamienne d’argile, présentée au British Museum de Londres, vient bousculer ce que l’on savait du mythe. En décryptant les 60 lignes en cunéiforme (la plus ancienne écriture du monde) présentes sur ses deux faces, Irving Finkel, éminent assyriologue britannique, a en effet découvert que celle-ci recélait un trésor : la description détaillée de la construction même de l’arche,  destinée à sauver de la noyade un couple de chaque espèce présente sur Terre,  plus de mille ans avant celle figurant dans le livre de la Genèse. Et, surprise : l‘arche est… ronde, c’était un coracle.

Pour la première fois, les dimensions précises de l’embarcation, sa taille et sa forme sont clairement décrites. Avec cette particularité remarquable qui veut que le héros nommé Atrahasis, sorte de proto-Noé babylonien, façonne une arche ronde. Dans cette tablette, le dieu Enki apprend ainsi à Atrahasis que la base de l’embarcation doit couvrir une superficie de 3600 m2 et que son diamètre est de 70 m. Irving Finkel explique qu’il a dû effectuer de longs calculs de conversion pour transcrire les unités de mesure antiques.

Je vous invite à suivre Irving Finkel, avec son humour très british, nous exposer une histoire d’arche d’avant Noé.

Au XVe s., l’iconographie biblique la représentait également comme ronde comme on le voit dans La Bible de Furtmeyr, 1465-1470, p.13 et suivantes : dl.wdl.org/8924/service/8924.pdf.

Et pourquoi ne pas poursuivre l’incompréhension de l’arche de Noé tout en s’amusant avec un texte déjanté mais…raisonné et documenté? nioutaik.fr/index.php/2011/03/18/613-larche-de-noe-cest-vraiment-nimporte-quoi

De l’arche nautique à l’Arche d’Alliance, les Hébreux ont emporté leur Dieu pour l’installer dans le Saint des saints du Temple de Jérusalem, fixateur et centralisateur de sainteté. Ce lien est inscrit dans les dimensions de la téba qui répondaient à une géométrie sacrée. La Torah rapporte les dimensions de l’arche de Noé ; sa hauteur faisait 30 coudées, sa largeur 50 et sa longueur 300 coudées (Gen 6,15).  Cela permet de les rassembler avec la lettre vav (le flux vital) pour donner le mot, de quatre lettres équivalant  à

lashon, la langue en hébreu(לשון,  laméd  ל valeur 30, noun  נ valeur 50, shin  ש valeur 300 et vav valeur 6). Patrick Burensteinas nous fait comprendre que retirer le verbe, c’est anéantir la matière.[1]

Dans ce sens, les dimensions de l’arche (la téba, הבָתֵּ, qui veut dire aussi le «mot», la boîte de la parole) répondent à une géométrie sacrée liée à celles du tétragramme YHVH. En effet, en multipliant les valeurs des deux premières lettres du Tétragramme, (Yod par Hé, 10×5=50), on obtient la dimension en largeur de l’arche. La multiplication des valeurs des trois premières lettres Yod par Hé par Vav (10x5x6 =300) donne la longueur de cette construction. Enfin, la multiplication de la valeur des deux dernières lettres du Tétragramme  (Vav par Hé,  6 x 5 = 30) correspond à la hauteur de la Téba.

L’arche, qui ouvrait les portes sur une nouvelle humanité, est également en relation avec le Beith Ha Miqdash, le Saint Temple. La compartimentation en trois parties de la Téba le confirme ; elle reproduisait les trois divisions du Temple de Jérusalem : le Saint des Saints, le Lieu Saint et la Cour.

L’iconographie chrétienne a pris l’Arche de Noé pour symbole de l’Église. Dans les bas-reliefs et les vitraux des églises du Moyen Âge, l’Arche est souvent représentée sous la forme d’un navire que surmonte une maison; quelques personnages montrent la tête aux fenêtres, Noé laisse échapper une colombe. On la trouve ainsi en illustrations des premières Bibles du XVe s. Le Déluge est interprété par les Pères de l’Église comme la figure, l’antitype, du baptême (1 Pe 3, 18) et l’arche comme celle de l’Église [2]. (La construction de l’Arche de Noé, Chronique de Nuremberg, vers 1490, p.91 : dl.wdl.org/4108/service/4108.pdf)

Prenez plaisir à compléter mes raccourcis avec le texte de Thierry Rodmacq, Le déluge un mythe universel : http://p7.storage.canalblog.com/74/99/122210/122870205.pdf

La Franc-Maçonnerie n’est pas en reste.

Dès le milieu du XIV° siècle l’histoire de Noé, mêlant Histoire et légendes, apparaît associée à la Maçonnerie, elle a fait de Noé un franc-maçon, sans doute en référence au symbolisme de la construction de son arche[3]. L’arche contient aussi un secret, peut-être celui de la Tradition primordiale, une parole qui sera perdue, comme on le lit dans le Manuscrit Graham de 1726[4].

Fra Angelico, Couvent de San Marco à Florence

Certains ont pensé qu’il s’agissait des reliques d’Adam contenues dans un sarcophage. Tantôt son crâne (qui sera enterré par les descendants de Noé sous le mont Moriah et qui a donné l’appellation de Golgotha) recevra le sang du Christ. Tantôt son luz (l’os imputrescible au bas de la colonne vertébrale) auquel l’âme demeurerait liée après la mort et jusqu’à la résurrection inaugurant celle de tous les morts. De là à interpréter que le crâne du cabinet de réflexion n’est autre symboliquement que celui du premier homme [5].

Vers 1740,  apparaît la base du grade de Nautonier de l’Arche qui aboutira en 1871, à Londres, aux statuts d’une Grande Loge des Nautoniers de l’Arche Royale[6],

En 1745, dans l’Histoire abrégée de la maçonnerie  intégrée à son Testament, le chevalier de Graaf, affirme ainsi : «Quelques-uns de nos écrivains placent l’époque de la maçonnerie sous Salomon et attribuent cet établissement à Hiram (…) mais c’est à la construction de l’Arche de Noé qu’il faut constamment remonter.»

Dans le catéchisme de «Compagnone» de La Vraie Maçonnerie d’adoption[7], on peut lire[8] : «Que signifie l’Arche de Noé ? R. Le cœur humain agité par les passions, comme l’Arche l’était par les vents sur les eaux du Déluge. D. Pourquoi Noé a-t-il construit cette Arche ? R. Pour se sauver, lui et sa famille, de la punition générale ; de même les Maçons viennent en Loge, pour se soustraire aux vices qui règnent si souvent dans les autres Sociétés.» Et s’en suivent les analogies entre les matériaux de l’arche et les vertus d’un vrai franc-maçon.

On ne peut s’étonner que Noé fût retenu dans l’histoire des commencements de la Franc-maçonnerie spéculative, car les 7 commandements noachides[9] sont une matrice des fondements de la religion universelle du franc-maçon des Lumières : Justice et Respect de l’autre pour construire un monde meilleur. Laurence Dermott ira jusqu’à écrire (en 1756) dans sa Constitution, Ahiman Rezon, qu’«un maçon est tenu par son engagement d’obéir à la loi morale en vrai noachide[10]» comme premier devoir d’un franc-maçon.

Noé, mythe philosophico-spirituel des francs-maçons, sera remplacé dès 1730, par un autre constructeur : Hiram[11]. La Maçonnerie du bois laisse la place à cette Maçonnerie de la pierre[12].

En énonçant une version inédite de l’histoire maçonnique, le chevalier de Ramsay, dès 1736, propose de renoncer aux origines opératives d’une franc-maçonnerie issue des métiers de la construction jugées trop viles pour des aristocrates. Quoique tout aussi légendaire que les précédentes, c’est au profit d’une origine plus noble que Ramsay lui donne la forme d’une «chevalerie rêvée». En réaction, la Maçonnerie des Charbonniers accueillera «une humanité moins sélectionnée qui put trouver l’outil du progrès individuel et collectif».

Aujourd’hui, la Franc-Maçonnerie initie-t-elle encore des fils de Noé ?

Illustration du thème : Bible de Koberger, 1466, p.23 : dl.wdl.org/18183/service/18183.pdf


[1] À partir de 23’ de la partie1 de la conférence de: lesamphis.org/blog/patrick-burensteinas/

[2] MurielDebié, « Noé dans la tradition syriaque. Une mer de symboles », Revue de l’histoire des religions

[3] La Constitution dite d’Anderson de 1723 laisse croire que Noé et ses fils furent de vrais maçons. «Noé et ses trois fils Japhet, Sem et Cham, tous Maçons authentiques, continuèrent après le déluge les arts et traditions antédiluviens et les diffusèrent largement à leur postérité croissante.» Dans l’édition de 1738, Anderson appelle l’arche, bien que de bois, le «château flottant».

[4] «L’Écriture qui dit que Sem Cham et Japhet eurent à se rendre sur la tombe de leur père Noé pour tenter d’y découvrir quelque chose à son sujet, qui les guiderait jusqu’au puissant secret que détenait ce fameux prédicateur. Ici, j’espère que chacun admettra que toutes les choses nécessaires au nouveau monde se trouvaient dans l’arche avec Noé».

[5]Le crâne du franc-maçon : ecossaisdesaintjean.over-blog.com/article-le-crane-101549839.html

[6] Survivance des anciennes confréries de métier de l’eau.

[7] Texte de Louis Guillemain de St Victor, 1787, qui sera repris en 1789 dans son Recueil Précieux de la Maçonnerie adonhiramite.

[8] À partir de la p. 53 : books.google.fr/books?id=854GAAAAQAAJ&pg=PA53&lpg 

[9] C’est une liste de sept impératifs moraux, considérée comme le code civil le plus ancien de l’humanité, avec comme commandements : nécessité d’avoir des tribunaux, interdictions de l’homicide, du blasphème, de la débauche, du vol, de l’idolâtrie, de la cruauté envers les animaux.

[10] Fils de Noé, premier nom des francs-maçons

[11] Qui remplace également Betsaléel qui construisit en bois d’acacia l’Arche du Temple du désert des Hébreux.

[12]  Cette maçonnerie évoquera, plutôt que la construction de l’arche, la transmission des savoirs avec les deux colonnes construites par les descendants de Noé.

1 COMMENTAIRE

  1. La Chine n’est pas en reste avec des légendes variées du déluge, On y parle d’une courge qui sauva un couple de frère et sœur .
    On y retrouve toujours un personnage féminin central, Nuwa, encore objet de cultes aujourd’hui :

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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