Noé, un saint en quelque sorte !
Le Livre d’Hénoch rapporte que la femme de Lamek mit au monde un enfant «plus blanc que la neige, plus rouge que la rose; ses cheveux sont plus blancs que la laine, et ses yeux jettent des rayons comme le soleil ; quand il les ouvre, il remplit la maison de lumière. Et aussitôt après qu’il est sorti des mains de la sage-femme, il a ouvert la bouche et a béni le Seigneur». Lamek fut terrifié du prodige et alla voir son père Métoushèlah pour lui dire qu’il avait engendré un enfant différent de tous les autres, lequel consulta Hénoch. Hénoch expliqua qu’à cause de la malignité du monde, un déluge devait s’abattre, mais que Noé et ses enfants seraient épargnés[1].
Noé (Noa’h) aurait vécu 950 ans, ayant eu trois fils : Sem, Cham et Japhet. Son histoire est contée dans la Bible (Genèse 6 à 9). Noa’h se présente comme un miroir du Béréchit. Avec le déluge, Dieu détruit le monde qu’il a créé et la construction d’une nouvelle humanité est désormais entre les mains de Noé et de ses enfants. Une deuxième création qui implique une nouvelle structuration de la famille avec ses conflits, ses impasses et ses bénédictions[2].
Comme les héros sumériens qui avaient pour nom Ziusudra (Vie prolongée), Atrahasis (Très sage) ou Utnapistim (celui qui a trouvé la vie), avant le déluge, Noé rassembla ce qui était épars dans l’arche (téva, תבה), caisse flottante pour sauver le vivant de la création du déluge annoncé. Il aurait peut-être aussi emporté des connaissances écrites ou symboliques assurant la transmission essentielle d’un savoir autant spirituel, culturel que technique et scientifique, un résumé des principales connaissances de son époque. L’eau, ou l’épreuve, l’ordalie de l’eau. Il y a danger de mort dans l’épreuve, et c’est un danger pour le reste de l’humanité et le reste de la création, mais dont les habitants de l’arche vont triompher. L’épreuve est surmontée en raison de la bonne foi de Noé, homme juste qui marchait avec Dieu (qui suit sa loi). L’épisode du déluge permet de passer du Premier âge du monde au Second, ce qui représente à la fois une nouvelle naissance pour l’humanité et la création, et une nouvelle alliance entre Dieu et l’homme[3].
Il est à remarquer que les bâtisseurs d’empire naissent dans une corbeille flottant sur les eaux (Osiris dans un coffre-panier sur le Nil, Sargon fondateur de l’empire d’Akkad sur l’Euphrate, Moïse sur la mer des roseaux, Romulus et Rémus sur le Tibre). Le sarcophage est en même temps une corbeille pleine de vie comme l’arche de Noé.
Le jésuite Philippe Labbé, vers la fin du XVIIe siècle[4] retient le déluge de Noé comme charnière entre la 1ère et 2ème époque de l’Histoire du monde comme l’avait fait avant lui St Augustin en 426 dans La cité de Dieu (Le livre XV porte sur le «premier âge» de l’humanité jusqu’à Noé, le livre XVI porte sur l’«enfance», qui correspond aux épisodes bibliques allant de Noé à Abraham).
D’autres légendes rapportent des histoires de déluge[5].
Une légende est présente chez les Grecs. Empli de colère par la perversité humaine, Zeus choisit le déluge pour laver la surface de la terre. Poséidon appelle les fleuves à submerger les villes et celui qui n’est pas englouti meurt de faim. Seul le Mont Parnasse s’élève au-dessus de l’eau. Deucalion, fils de Prométhée, et Pyrrha, sa femme, se sont réfugiés dans un petit bateau. Lorsque Zeus voit que ces rescapés sont honnêtes et pieux, il disperse les nuages. Les eaux refluent et la mer revient à ses anciens rivages. Arrivé au Mont Parnasse, Deucalion et Pyrrha remercient les dieux, et ne voient autour d’eux qu’un désert. Implorant Zeus de les aider à rendre la vie à la terre, ils reçoivent le conseil de voiler leurs têtes et de jeter derrière eux les ossements de leur grand-mère. Deucalion comprend que cette grand-mère est la Terre. Aidé de Pyrrha, il ramasse des pierres qu’il jette par-dessus son épaule. Les pierres que jette Deucalion se transforment en hommes. Celles que jette Pyrrha se transforment en femmes.
Un mythe similaire est connu en Inde qui fut jadis partiellement sous influence culturelle grecque. Le mythe du Déluge apparaît pour la première fois dans le Satapatha Brahmana, un rituel probablement daté du VIIe siècle avant notre ère. Ici, c’est un poisson doué de parole qui avertit Manu de l’imminence du Déluge. Il lui conseille fermement de construire un bateau. Lorsque la catastrophe éclate, c’est ce poisson qui tire le bateau vers le nord et l’arrête près d’une montagne. Manu y attend patiemment le reflux des eaux. Puis il offre un sacrifice et obtient des dieux une fille. Il s’unit à elle, engendrant tout le genre humain. Dans le Mahabharata, Manu est un ascète. Dans le Bhagavata Purana, c’est le roi-ascète Satyavrata qui est averti de l’approche du Déluge par Hari (Vishnu) qui a pris la forme d’un poisson. Mais, dans le mythe hindou, rien ne semble relier le déluge avec un ressentiment quelconque des Dieux vis à vis des hommes.
L’épisode de l’ivresse et de la nudité de Noé (Genèse, 9, 18 à 27) donna lieu à de nombreux commentaires dont ceux de l’idée d’une castration du patriarche par Cham (ou son fils) à l’instar de l’Osiris égyptien, du dieu hittite Anu, ou du grec Cronos[6]. Il est donc étonnant que les eunuques furent interdits en Franc-Maçonnerie. (Illustration : Hartmann Schedel, Liber chronicarum, 1490, p.100 : dl.wdl.org/4108/service/4108.pdf)
En hébreu yayin (יין), du vin, a pour valeur 70 comme le mot sod (ד ו ס), le secret. Avec l’ivresse de Noé, ne faut-il pas comprendre que c’est un secret qui est hypostasié ? L’ivresse doit alors être interprétée comme une extase mystique, une connaissance d’un rang supérieur qu’il convient de voiler ou de protéger dans une arche (téba). Dans cette seconde interprétation, la nudité de Noé n’est pas son sexe, mais le symbole d’une révélation qui en fait un véritable initié. Japhet qui se détourne refuserait-il d’approcher les mystères, étant peut-être trop jeune (illustration : La Bible de Furtmeyr, p.15 et suiv. dl.wdl.org/8924/service/8924.pdf).
En 1936 fut découvert le Manuscrit de Graham datant de 1726 qui serait la copie d’un document plus ancien rapportant cette légende de Noé qui ne figure pas dans la Bible. Sem, Cham, et Japhet s’approchèrent de la tombe de leur père Noé, espérant découvrir le secret sauvé des eaux qu’aurait détenu celui-ci. Ils se mirent d’accord pour adopter comme secret, s’ils ne trouvaient le véritable secret, la première chose qui tomberait sous leur regard. Ils ne trouvèrent qu’un cadavre en cours de décomposition, ils tirèrent un doigt qui se détacha de lui-même, puis le poignet, puis le coude ; ils relevèrent le corps mort et le soutinrent en plaçant pied contre-pied, genou contre genou, poitrine contre poitrine et joue contre joue. Puis ne sachant que faire, ils reposèrent le cadavre et l’un dit «il y a de la moelle dans cet os», le second dit «l’os est desséché», le troisième dit «ça pue». Ils prononcèrent le nom considéré aujourd’hui comme mot de substitution. La traduction de marrow in the bone, «la moelle dans l’os» serait l’une des origines du mot substitué et peut s’expliquer symboliquement par «la sève qui est dans l’arbre», la lumière est intérieure et elle transcende la forme apparente de la mort.
Une des raisons qui a fait abandonner Noé au profit d’Hiram, pourtant presque inconnu dans la Bible, est sans doute que l’acte héroïque d’Hiram, qui préfère la mort plutôt que de dévoiler les secrets, est plus prestigieux, ou tout du moins plus efficace, que le cas de Noé qui, lui, est mort de vieillesse.
Vous trouverez sur le site < hautsgrades.over-blog.com/search/No%C3%A9//> une pépinière de textes qui abordent tout autant de réflexions sur la légende de Noé.
Illustration du thème: La Bible de Koberger, 1466, p.26 : dl.wdl.org/18183/service/18183.pdf
[1] Chapitre 105 : http://www.bibleetnombres.online.fr/Le_Livre_d%27Enoch.pdf
[2] akadem.org/paracha/parachat-hachavoua-5781/noa-h–un-deuxieme-commencement/45006.php
[3] Philippe Langlet, Le déluge, Rite de passage
[4] Abrégé chronologique de l’histoire sacrée et profane avec les observations nécessaires à l’étude de la Chronologie, Paris, 1666
[5] jacques.prevost.free.fr/cahiers/cahier_22.htm#table
[6] Robert Graves et Raphaël Patai, Les Mythes hébreux, Fayard, 1963, p.129 à 134.
Article très plaisant à lire et riche de références….
Il me semble que l’histoire du Déluge se source aussi en Mésopotamie dans la légende superbe de Gilgamesh…
Je vérifie !
A bientôt !
Claude Laporte
Bjr…et n’ai rien à pardonner qui ne se doivent,sur un si beau travail.A chaque croisement,c est toujours le même plaisir de Vous lire Mdame.Bravo et à la prochaine fois.Soyez protégée .Marco
Les hébraïsants me pardonneront la reproduction du mot secret en hébreu qui se lit de droite à gauche et auront rectifié le mot (ס ו ד) . Merci