jeu 31 octobre 2024 - 09:10

Et la laïcité dans tout ça ?

J’aimerais pouvoir réécrire ma phrase fétiche, celle qui me permettait de lutter contre l’angoisse de la page blanche. Cette phrase toute simple : « j’étais en Loge hier soir ». Le problème est qu’en ce moment, c’est un peu compliqué, entre le couvre-feu, les jauges etc. Par contre, on peut aller à la messe, et plus spécialement à la messe de minuit du 24 décembre. Bon, si les gens peuvent aller à l’église, pourquoi pas ? Il y a juste quelques soucis dans cette histoire.

Premièrement, l’autorisation a été annoncée par le chef du gouvernement (vous savez, l’incarnation vivante de François Pignon).
Deuxièmement, une phrase toute simple, énoncée par le même chef du gouvernement, à propos de Noël qui « occupe une place à part dans nos vies et nos traditions ». Autrement dit, le chef du gouvernement commet volontairement un acte illégal. Vous allez comprendre.
Mais avant, j’aimerais que l’on m’explique en quoi se rendre à une cérémonie religieuse chrétiennei est plus sûr que d’aller au cinéma ou au théâtre, alors que des protocoles stricts, incluant des jauges ont été mis en place durant l’entre-deux-confinement. Sans compter que le public de la messe y chante ! Dans le même ordre d’idée, pourquoi fêter seulement le Noël catholique et pas les équivalents dans les autres religions ? Ah ben, en raison de la place à part dans nos vies et traditions. Super. On va dire ça aux oubliés de Noël, ceux qui remplissent les statistiques des dépressions et suicides, ceux qui sont seuls, avec ou sans famille et qui ne supportent pas la mièvrerie et la surdose de bons sentiments qui les ramène à leur douleur… Et puisqu’on peut fêter Noël, donc le retour de la Lumière, pourquoi ne pouvons-nous pas fêter la Saint Jean d’hiver des Francs-maçons, qui équivaut à Noël ? Peut-être est-ce trop abstrait pour nos ministres « plus sinistres que ministres »…

Pour en revenir à mon histoire de loi, sauf erreur ou omission de ma part, il me semble qu’il existe une loi qui sépare entièrement l’Église de l’État. On a d’ailleurs fêté (enfin, évoqué, plutôt) ses cent quinze années. Vous l’aurez compris, je parle de la loi de la laïcité, celle dont nous sommes si fiers, surtout les Francs-maçons (étrangement silencieux à ce propos, ou bien j’ai mal réglé mes alertes). Ainsi, qu’un ministre accorde une dérogation spéciale à une communauté religieuse, au motif de l’histoire du pays, est, à mon sens, une faute grave (passible de sanctionsii dans l’administration). D’une part, cette exception risque d’accentuer le ressentiment de ceux que cette religion ne concerne pas (y compris les athées, fussent-ils stupides ou libertins irréligieux) et de contrevenir au principe d’égalité. D’autre part, qu’un représentant de la République marque une préférence ou une discrimination -ce qui est la même chose- pour une religion en dit long sur l’avenir de la laïcité, et le danger que nous courons. A ce stade, je crois utile de rappeler que la laïcité est une forme d’éthique, dans la mesure où elle oblige à un renoncement pulsionnel : le renoncement à faire de l’autre un objet rendu identique au soi. En effet, par la laïcité, en tant que ciment d’une société apaisée, tout citoyen se voit mis au même niveau : il n’y a ni religion ni croyance supérieure à d’autre, et personne n’a à faire de prosélytisme, ou au contraire, à subir une conversion forcée. Elle permet donc d’éviter une forme subtile de violence.

La République ne reconnaît aucun culte. Alors au nom de quoi doit-on privilégier Noël, cette fameuse fête qui « occupe une place à part dans nos vies et nos traditions » ? L’électorat catho-tradi ? Ca va être quoi, l’étape suivante ? Sous-traiter l’enregistrement des naissances, mariages et décès à l’église, comme sous l’Ancien Régime ?

Il me semble que depuis le XVIIIe siècle, nous vivons un processus de sécularisation de la société : le clergé et l’autorité religieuse se voient retirer les fonctions d’état-civil qui leur étaient dévolues. Toutefois, dans les sociétés sécularisées, le poids religieux reste fort. Par exemple, pas si loin de chez nous, en Pologne, l’IVG a été rendue illégaleiii par les autorités sous la pression de courants religieux intégristes… A l’inverse, dans une société laïque, les droits et devoirs sont définis non pas en fonction de motifs religieux, mais plutôt de motifs humanistes et d’évolutions de la société, comme le mariage ouvert aux personnes de même sexe, qui représente une certaine avancée sociale. Avancées en général combattues par les mouvements religieux…

En fait, outre le fait de l’incompétence et de l’amateurisme désormais connu de nos dirigeants, j’ai l’impression que nous avons un signal faible d’un phénomène plus grave : l’incursion en politique du religieux, ou plus précisément, d’une idéologie d’inspiration religieuse. Un très dangereux mélange, et ce, quelle que soit la religion. Et le pire est que les guignols ne se cachent même plus. Pire, leur discours semble extrait de l’oeuvre de penseurs puritains tels que Thomas Carlyle, cet intellectuel anglais qui a poussé à outrance l’éthique protestante, en expliquant que la vie ne devait être que souffrance et qu’il fallait en baver pour espérer la rédemption. Il faudra que je lui consacre un billet, d’ailleurs, à ce brave homme…

A l’occasion des récents attentats et protestations contre Charlie Hebdo, un prélat en France a déclaré qu’on ne badinait pas avec les religions. Ce qui n’augure pas du meilleur, loin s’en faut. Les droits les plus élémentaires risquent d’être remis en cause pour satisfaire un électorat religieux. Parmi ces droits en danger, celui de rire, de s’exprimer par le rire, ou de caricaturer (et accessoirement, de remettre en cause l’autorité, ultime argument des Pieds-nickelés au pouvoir). Ou de disposer de son être et de son corps (les femmes en savent quelque chose). Ou celui de se cultiver. A en juger par la catastrophe en cours, aller au théâtre, au musée, au concert ou au cinéma va bientôt relever de la nostalgie.

Sinon, j’ai une idée, inspirée de l’histoire de l’hôtel de la Grande Loge de France (ancien monastère devenu bal populaire et salle de cinéma durant l’Entre-deux-guerres) : organiser des projections à thème sur la religion dans des églises. Revoir Le nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud ou La dernière tentation du Christ de Martin Scorcese, La vie de Brian des Monty Python ou même la série des Don Camillo, ça pourrait le faire et ça ne tomberait pas sous le coup de la loi, puisque ce serait un office en l’honneur d’un saint patron du cinéma. Ben quoi,si on a le droit d’aller à l’église, on peut y faire ce qu’on veut, non ? Comment ça, je suis de mauvaise foi ?

Bonnes fêtes de fin d’année quand même.

J’ai dit.

iA part ça, petit rappel : les premiers foyers de contamination identifiés correspondaient à des rassemblements religieux dans l’Est de la France.

iiOn reparle du ministère de l’Education nationale, dont les nervis voulaient sanctionner Samuel Paty, sur des motifs liés à la laïcité ?

iiiEn réalité, les conditions d’accès à l’IVG ont tellement été tellement durcies que dans les faits, l’IVG est devenue illégale, bien que la loi ne soit pas explicite.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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